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Ben Arès dans la transe du « Tromba »

Par Pmalgachie @pmalgachie
Le quatorzième livre de Ben Arès, écrivain installé à Toliara, est un roman à l’inspiration très malgache, même si Tromba est publié en Belgique, son pays d’origine. Poète, Ben Arès bouscule le récit traditionnel en lui insufflant la force d’une écriture personnelle. Cet entretien, dont des extraits ont été publiés dans Le Soir, est repris de mon autre blog, Actualité culturelle malgache. Car son intérêt ne réside évidemment pas seulement dans le cadre géographique (et social, et linguistique, etc.) de l'ouvrage mais aussi et peut-être surtout dans le travail d'écriture qu'y mène Ben Arès. Ben Arès dans la transe du « Tromba »
Tromba est un livre sur lequel vous travaillez depuis longtemps ? Oui, quatre ans. Il s’est construit un peu à la fois ? Exactement. C’est un peu lié au contenu. La première partie a été écrite assez vite mais retravaillée par la suite. Il fallait vivre des choses pour continuer. En même temps, je voulais conserver la fraîcheur du premier regard, si je puis m’exprimer ainsi, même quand je retravaillais. Donc, il s’est construit progressivement. D’une certaine manière, ce livre est-il le reflet de votre propre évolution par rapport à Madagascar ? Peut-être peut-on le dire ainsi. Il fallait prendre le temps de découvrir, il y a des choses que je ne voulais pas avancer sans les constater, les ressentir, les vivre… Découvrir et accepter de ne pas tout savoir ? Voilà, ça aussi. Parce qu’en effet il y a des choses qui restent en suspens, il n’y a pas une réponse à tout. Ce pays, comme je le perçois depuis quatre ans, est un peu comme une anguille qu’on saisit et qui s’échappe. Ben Arès dans la transe du « Tromba » Le titre du livre, Tromba, n’apparaît dans le texte que tout à la fin du roman et s’explique dans la postface. Pourquoi Tromba ? Parce que c’est une transe, comme le dit aussi le titre ? La transe, c’est une traduction qu’on peut donner de tromba, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’est le processus d’écriture qui est une possession en soi, le sens principal du tromba, dans la mesure où on peut s’approprier les personnages et être en même temps possédé par eux. Il y a aussi une expérience personnelle, un dialogue avec cet enfant disparu et présent, qui draine tout le livre. Surtout dans la première partie ? Oui, dans la deuxième partie il ne transparaît pas de manière claire mais, quelque part, c’est toujours là aussi. La deuxième partie est constituée de sept voix de femmes différentes, alors que la première partie est portée par la voix unique d’un narrateur qui vous ressemble beaucoup. Pourquoi ? Dans la deuxième partie, le personnage masculin n’est plus vraiment là. Ou plutôt, il n’est présent que de manière sous-jacente, en tant qu’observateur. Le point de départ, le projet de base, c’était la première partie ? Essentiellement, oui. Ce qui m’a fait basculer, et qui est venu de manière instinctive, c’est que je suis tombé, d’une certaine façon, sur un cul-de-sac. Il s’est produit un déplacement qui se traduit par les différences entre les deux parties principales. C’est peut-être déroutant, même s’il y a un texte charnière qui permet de faire le lien. Je devais abandonner le regard que j’avais avec ma propre culture. Et puis, écrire, c’est aussi communiquer. Pas seulement une expérience personnelle mais aussi traduire ce que quelqu’un d’autre pourrait vivre. Y a-t-il, à travers ce livre, l’ambition de parler de Madagascar sur un registre différent de ce qui se dit habituellement ? Je n’en sais rien. J’ai exprimé les choses comme je les ressentais, avec intensité mais sur une longue durée. L’écriture, dense et poétique, pleine de ruptures de rythme, est-elle là pour traduire cette intensité ? Le rythme est toujours présent dans mon écriture, avec des allitérations, des assonances, il se traduit aussi dans la ponctuation… Au départ, je suis plutôt poète même si je me dirige de plus en plus vers la narration. Il reste cette trace du travail sur le langage qui me parle très fort. C’est peut-être plus présent dans la deuxième partie que dans la première, qui est plus narrative. On n’arrive pas à cela dès le premier jet ? Non, il y a du travail. Dans le premier jet, je lâche ce qui vient et je relis après un temps parfois assez long, plusieurs mois parfois, pour poser un regard distancié. Et là commence le travail du chirurgien, presque, au scalpel, on gomme, on barre des mots… Pourquoi une postface était-elle nécessaire ? C’est à la demande de l’éditeur. Je n’avais pas envie de donner toutes les clés d’accès, j’ai donné des pistes et le lecteur les prendra comme il aura envie de les prendre. Mais je voulais le laisser libre d’entrer sans filet dans le texte et de se faire sa propre idée. S’il a été un peu dérouté, il aura quelques pistes à la fin. Dans cette postface, vous écrivez : « Je suis et resterai de race irritable. » Qu’est-ce à dire ? Je suis quelqu’un de réactif par rapport à des opinions, des idées, des regards comme on en découvre ici sur le pays, avec toujours les mêmes clichés émis par lesVazaha sur les Malgaches. Je ne peux pas me taire, je réagis constamment par rapport à cela, cette manière de mettre tout le monde dans le même sac, de généraliser constamment. Je lutterai toujours contre ça. La deuxième partie est une sorte de réponse à ces clichés : les sept portraits sont différents parce que j’ai besoin de croire à l’individu. Pour différencier les personnages, il faut leur donner des voix individuelles. C’est aussi de l’ordre du travail sur la langue ? C’est du même ordre. Il y a des liens avec la langue malgache, notamment dans l’étymologie des noms de lieux, qui donnent des couleurs, des tonalités. C’est intéressant, parfois, quand on traduit les noms de lieux, parce que cela leur donne un sens. Antsirabe, c’est là où il y a beaucoup de sel, le pays des épines pour l’Androy… C’est porteur de sens et peut-être de certains caractères. Au-delà de ça, chaque région possède sa personnalité. Mais, au-delà de ça aussi, il y a des personnes… La géographie, précisément, occupe une place importante dans le livre. Dès la première partie, il y a beaucoup de mouvement, même s’il est initié de manière lente. Et la plupart des sept personnages féminins de la deuxième partie n’ont cessé de bouger dans leur vie. Ce mouvement correspond-il à quelque chose de fondamental ? Je ne me suis pas posé la question. Mais peut-être voulais-je me déplacer par rapport à ma situation personnelle, qui avait une implantation géographique, pour aller plus loin. Les gens bougent tout le temps et il me semblait important que ce mouvement soit présent de la même façon que les Malgaches se déplacent. Ce sont des nomades : ils vivent dans une ville, ils vivent dans une autre… Du coup, vous battez en brèche cet apriori constant sur les tribus de Madagascar… Voilà, les tribus, les ethnies… Les métissages continuent entre différentes ethnies et entendre dire que tous les Antanosy sont ainsi, tous les Merina autrement, c’est assez irritant aussi. D’autant plus que c’est nous, les Vazaha, qui faisons cela, tandis que les Malgaches ne s’en préoccupent pas tellement… Enfin, ça dépend, ils s’en préoccupent à d’autres niveaux… Il y a, en tout cas, dans les sept portraits, pas mal de déplacements, rapportés avec leur voix. Leur voix ou celle que prend l’écrivain pour traduire ce qu’elles disent ? Peut-être, oui. Je leur fais dire ce que, normalement, elles ne diraient pas. En cela, c’est inventé. Mais c’est comme si leur ressenti était traduit par des mots – qui ne sont pas le moyen par lequel tout le monde s’exprime. Les mots sont mes outils d’interprétation.

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