María Gabriela Isler, Miss Univers 2013
Journée électorale aujourd’hui au Venezuela. Ce n’est pas la fièvre, loin de là. Si l’on excepte les militants purs et durs (des deux camps) qui essaient de faire "comme si", l’atmosphère générale est au désenchantement et à la fatigue. Élections à répétition, inconsistance des candidats, enjeux locaux (bien que cette fois à dimension nationale), discours lénifiants, tout cela n’a pas de quoi tétaniser les foules.
Dans ces circonstances, on sent que le Vénézuélien –le Vénézuélien moyen– a tendance à se replier sur ses valeurs sûres, tels des refuges en eaux troublées.
Mais quelles sont, précisément, les valeurs sûres d’un Vénézuélien ?
Noël
Tiens, ça tombe bien, Noël est en vue ! Dans ce pays officiellement catholique, voilà la valeur sûre par excellence, qui réunit tout le monde, indépendamment des couleurs politiques, autour des mêmes rites.
Les rites religieux ou semi-religieux, bien qu’ils soient en perte de vitesse, conservent une belle vitalité : concerts d’aguinaldos et villancicos (chants de Noël) dans différents lieux, élaboration de pesebres (crèches) à partir d’éléments achetés sur des marchés populaires, messes d’aguinaldo, etc.
Marché de Noël organisé par le gouvernement
Quant au rite profane –la consommation effrénée de fin d’année–, il n’a pas pris une ride, attisé encore par la campagne de baisse des prix lancée par le président Maduro et les marchés populaires organisés par le gouvernement. Depuis plusieurs semaines, les rues et les centres commerciaux débordent de monde, à la recherche non seulement du traditionnel cadeau, mais aussi de la bonne affaire.
L’appétit de consommation est définitivement une valeur sûre pour bien des Vénézuéliens, à tel point que le slogan Comunismo o consumismo?["Communismo ou société de consommation", cela sonne mieux en espagnol) a fait florès dans ce pays qui se veut socialiste.
Dollar
Autre valeur sûre, plus classique celle-là, et réservée celle-là à ceux qui en ont les possibilités –c'est-à-dire les classes moyennes et supérieures : le sacro-saint dollar. Il est vrai que la passion pour le billet vert ne s'est jamais démentie dans ce pays où il a toujours été de bon ton, pour qui en avait les moyens, de posséder un compte bancaire aux États-Unis.
L'attractivité du dollar se décuple, bien évidemment, durant les épisodes de forte inflation, ce qui est le cas actuellement (54 % en valeur annuelle). Si on y ajoute un contrôle des changes limitant l'accès au dollar, ce qui est aussi le cas, la course au billet vert prend des dimensions inouïes.
Embarquement pour l’étranger à l’aéroport de Maiquetía
On voit ainsi des dizaines de milliers de Vénézuéliens voyager à l’étranger afin d’obtenir les dollars au tarif officiel. Les vols sont complets depuis belle lurette, les prix des billets d’avion se sont envolés, mais qu’à cela ne fasse : il reste intéressant et rentable d’acheter le billet, payer sur place ses frais d’hébergement et ses commissions (par exemple aux commerçants qui permettent de tirer du cash sur une carte de crédit) pour obtenir à bon compte quelques milliers de dollars. Au retour, les précieux billets pourront se revendre dix fois plus cher sur le marché parallèle qui s’est créé au Venezuela.
Il est jusqu’à des chefs d’entreprise qui ont offert des voyages à leurs employés pour profiter de leur droit aux dollars du voyageur ! Sans parler des faux billets d’avion et des commerces faussement enregistrés en Europe, pour actionner les cartes de crédits comme si on se trouvait à l’étranger. On voit là la viveza criolla dans toute sa splendeur ! (un concept difficile à traduire, qui pourrait se définir comme une espèce de "chacun pour soi").
Le gouvernement a bien tenté de juguler cette pratique en augmentant les contrôles pour accéder au dollar du voyageur. Rien n’y fait : l’attrait du dollar est plus fort et la viveza criolla trouve à chaque fois de nouvelles pistes pour tromper l’ennemi !
Une fois épuisées les ressources du dollar du voyageur, il reste l’accès au marché parallèle, dont le taux grimpe exponentiellement depuis des années. Basé sur l’offre et la demande de la monnaie vénézuélienne à Cúcuta, ville colombienne au commerce florissant située à quelques encablures de la frontière, le taux de ce marché parallèle est publié quotidiennement sur des sites spécialisés. Actuellement, le dollar parallèle (62 Bs.) vaut dix fois plus que le dollar officiel (6,30 Bs. pour un dollar), une marge énorme qui n’empêche pas la demande de diminuer (mais au contraire, tel un cercle vicieux, la fait augmenter).
Sur ce plan aussi, le gouvernement a tenté de prendre des mesures. Ainsi, il a fermé l’accès aux sites web qui publient quotidiennement le cours du dollar parallèle. En vain. On sait que sur Internet, contourner les interdictions est un jeu d’enfant. Les auteurs de ces pages défendues, liées à l’opposition, ne se sont pas privés pour les appliquer. L’accès au taux de change reste donc ouvert à tous ceux qui s’y intéressent. Voyez par exemple le plus populaire de ces sites, DolarToday : il n’est pas visible au Venezuela sur dolartoday.com mais bien ici, ou encore sur Facebook et Twitter (dont il serait suicidaire pour le gouvernement d’interdire l’accès).
Beauté
Alyz Henrich, Miss Terre 2013
Troisième valeur sûre : la beauté corporelle. Elle fait partie de l’idiosyncrasie vénézuélienne. Je vous en ai déjà longuement parlé. Pour tout dire, lassé de répéter toujours la même nouvelle, j’avais consciemment omis de vous signaler la récente victoire vénézuélienne au concours de Miss Univers. J’en profite pour vous annoncer maintenant que María Gabriela Isler a remporté la couronne ! C’était le 9 novembre dernier à Moscou. Et pas plus tard qu’hier, j’apprends qu’une autre vénézuélienne, Alyz Henrich, a remporté aux Philippines le titre de Miss Terre (un concours que l’on dit plus écolo ! Mystère !).
Ces beautés formatées continuent à faire rêver hommes et femmes du Venezuela, quoique pour des raisons différentes ! Elles représentent la beauté féminine idéale pour le/la Vénézuélien(ne). Leur beauté, pour indéniable qu’elle soit, n’est pas, pourtant, très criolla (créole) : nombre de Miss sont issues de familles mixtes (dont le père est généralement européen et la mère vénézuélienne). C’est le cas de María Gabriela Isler, dont le père est Suisse. De Alyz Henrich, je ne sais rien, mais son nom révèle tout de même une origine étrangère. Ce glissement vers le teint pâle et la haute posture, en dit long sur l’estime de soi du Vénézuélien ou de la Vénézuélienne, qui est loin de correspondre majoritairement à ces canons.
Cela étant, cet idéal de beauté, valeur-refuge s’il en est, permet d’occuper les filles et les dames durant de longues heures de magasinage, puis de maquillage et d’aprêtage. De leur côté, les hommes les regardent, tout simplement, ou leur lancent des piripos (compliments galants). Voilà qui permet d’oublier un tant soit peu la dureté des temps…
Fête
Dernière valeur sûre du Vénézuélien, la fête est de tous les instants. Car ici, tout est prétexte à rumba. Une valeur sûre pour qui veut échapper quotidiennement au quotidien !
Allez, bientôt les résultats des élections, on fait la fête, et peu importe qui gagne !
Classé dans:Désolant, Etonnant, Traditionnel Tagged: Amérique latine, beauté, consommation, dollar, fête, miss, miss univers, Noël, Venezuela