Le format est inhabituel et le poids aussi. Le chef pâtissier de l'Hotel Bristol, Laurent Jeannin, nous livre ses recettes dans un très beau livre dont les textes ont été écrits par Emmanuelle Jary.
Etant très sensibilisée à la photographie culinaire depuis la remise des Lentilles d'or je vais tout de suite saluer le travail de Virginie Garnier dont je n'avais pas cité le nom dans mes chroniques de She's cake, la Cuisine du Cambodge, un Brunch à New-York, Cantine California ...
C'est elle aussi qui signe les clichés des 55 recettes traditionnelles japonaises du Tokyo de Loïc Hanno, sorti chez Hachette au mois d'octobre dernier.
Pour le chef du Bristol, chaque photo de dessert est exécutée en plongée sans pour autant écraser le sujet. La couverture en témoigne : le lecteur est placé au-dessus de l'assiette comme s'il était l'invité du repas. La cuillère est à portée de main ... au cas où.
Les couleurs éclatent. Cela fait envie, très envie. Et pourtant il n'y a aucun décor pour parasiter l'oeil. Même l'assiette (à une exception près) s'est évanouie au profit d'une évocation en motif de broderie.
Le chef se fait aussi discret, photographié en noir et blanc. A peine a-t-il noué le tablier, sur la page opposée au Sommaire qu'il nous embarque sur son chemin le temps d'une journée type. Et commencer par les gourmandises du petit-déjeuner est une excellente idée.
Celui qui a été élu meilleur pâtissier de l'année en 2011 ne craint pas de tomber de son piédestal. Il démarre les leçons en nous initiant au Granola, au croissant, à la brioche. Il poursuivra avec simplicité au moment du goûter avec des cookies (mais crousti-fondants), des sablés (mais diamants) ou des madeleines (mais glacées au citron vert p. 94). La nage de pêches qu'il propose (p. 150) est d'une simplicité désarmante. Comme cela fait du bien de constater qu'on peut être un grand chef et ne pas s'enferrer dans le compliqué.
Il y a parfois quand même des questions qui surgissent. Par exemple à propos du streusel qui est une sorte de croute comme celle qui recouvre un crumble et qu'on peut employer en petits morceaux pour agrémenter ou décorer un dessert. Laurent Jeannin le réalise au chocolat et à la cannelle. Il figure en deux endroits dans le livre (p. 165 et 182). Les quantités d'ingrédients diffèrent, mais dans les mêmes proportions, ce qui est jusque là logique. Par contre dans la première recette il est cuit, pas dans la seconde et on peut se demander s'il y a eu un oubli.
Ce n'est que dans les dernières pages que surgiront les desserts d'exception qui ont construit sa réputation d'esthète.
Même le Nyangbo (p. 158) sembleront à notre portée parce que pour chaque recette un peu complexe une série de photos retrace l'essentiel du pas à pas sous l'intitulé "les bons gestes". C'est rare à ce stade de sophistication de lire des recettes réalisables et c'est à saluer.
Je m'interroge sur la motivation de Laurent Jeannin. A nous révéler ainsi ses tours de main, ne court-il pas le risque que nous n'allions pas déguster ses spécialités au Bristol ? A moins qu'il ne nous donne justement l'envie de venir d'abord les gouter pour en mémoriser le goût avant de tenter de les reproduire.
Par contre on se demande pourquoi les photos sont miniatures, à la quasi limite de la visibilité. Pourquoi aussi les astuces (si judicieuses) sont dans une couleur de police gris clair ? L'ouvrage n'aurait rien perdu de son allure élégante avec une typographie d'une police nettement plus grosse. L'espace (vide) est un luxe qui aurait été un peu minoré, mais le confort de lecture y aurait énormément gagné.
Quand on connait le surnom du chef, oeil-de-lynx, on s'étonne qu'il faille une loupe pour le lire.
Quoiqu'il en soit je ferai cet effort tant la promesse de régal est élevée. Ses soufflés au chocolat (p. 64) seront mes desserts de Réveillon. Voilà c'est dit. C'est promis.
Pâtisseries au fil du jour de Laurent Jeannin chez Solar, novembre 2013