Ils étaient trois, hier soir. Trois frères Winterstein, dignes héritiers de Django, à jouer dans une des salles du restaurant "Le pied de boeuf", à Sélestat
Leur nom Winterstein, signifie pierre d'hiver. Pierre d'hiver, peut-être, mais pierre froide au coeur brûlant! Toute leur musique exprime, au delà de la nostalgie manouche, la chaleur de la vie. A jouer de sa guitare tout au long de la nuit, avouent-ils, leur père, Joseph, les empêchait de dormir. Ils ne pouvaient que suivre son exemple. Ils perpétuent donc à leur tour la tradition... mais aussi le mystère de leur culture et de leur origine. Ils parlent et chantent dans cette langue yéniche qui emprunte au roman et au yiddish nombre de ses traits, mais où se mêlent bien d'autres influences linguistiques. C'est que leur histoire est si longue qui traverse l'Europe, d'errance en stigmatisations jusqu'à cette terre, au bord du Ried, où ces trois-là ont grandi et ont fréquenté l'école et où grandissent à présent leurs enfants.
Le ried, ils le connaissent bien. La nature fut longtemps leur domaine. Des générations y ont puisé de quoi survivre. Ils s'y sont abrités. Ils l'ont animée de leurs rires et des lueurs de leurs feux de camp. Ils l'ont fait vibrer au son de cette étrange musique qui est devenue la leur après avoir été empruntée aux quatre points cardinaux.
Au commencement, le Ried n'est qu'un fragile roseau! Du moins est-ce le sens du mot allemand "Rieth". Par extension, tout le paysage formé de prés inondables et de forêts parfois bordés de joncs et roseaux s'incarne dans le terme ried. C'est une région parcourue de mille petites rivières où la nappe d'eau souterraine affleure en sources claires appelées « Giessen » (sources phréatiques), donnant naissance à des "brunnwasser" (rivières phréatiques). D'après le site Le Grand Ried.
Hier soir, donc, Les frères Winterstein ont joué pour la survie de cette région naturelle qu'est le Ried à présent menacé. Il est bien plus rentable, en effet, pour un paysan de pratiquer la monoculture du maïs que de préserver ces terres inondables où les troupeaux trouvent l'herbe tendre et abondante. Sauver le Ried!
C'est le message de François Steimer qui a fait de sa vie un engagement pour le respect de la nature. François était là hier soir, parlant avec simplicité et émotion après une balade jusqu'au crépuscule dans ce Ried qu'il connaît comme sa poche. Nous l'avons suivi. Il a expliqué la couleur des prairies, l'attente des oiseaux migrateurs, la patience à observer la vie animale. Plus tard, lorsque nous nous sommes retrouvés entre amis autour d'une bonne table, il a fait renaître un instant la silhouette du Docteur Schmidt, cet humaniste qui s'en allait soigner gratuitement les Yéniches de la région de Sélestat. Et nous, qui ne connaissions pas le Docteur Schmidt, nous l'avons vu soudain s'approcher et trinquer discrètement à notre table, levant son verre avec nous à la santé des musiciens.
Une soirée décidément comme il n'en est guère! Merci à toi, Jean-Mick, qui nous l'offrais pour fêter ton anniversaire que tu souhaitais le plus discret possible. Histoire de donner du sens à l'enchaînement des jours qui en sont souvent tellement privés! Merci encore!