Une bête s’est frayé un chemin
jusqu’à l’intérieur de moi
j’ai beau tenter de résister
j’ai beau tenter de me défendre
à coups de serres, à coups de bec
dans la chair vive de mes entrailles
elle griffe, elle mord, elle me tenaille
Et moi, moi qui aurais tant voulu
la faire manger dans ma main
ou encore qu’elle me précède
ou me suive à distance
comme une ombre
pas plus qu’une ombre
me voilà pris au piège
Bien avant de franchir la porte j’avais les mains moites, des sueurs froides, une boule dans la gorge et le cœur qui palpite. Comme toi je me serais bien passé de cette thérapie de groupe.
« Pour que la médication se révèle efficace, il faut suivre la thérapie », avait décrété le psy, tout en insistant sur l’importance de « libérer la parole ». Cette parole censée nous arracher à nos douleurs muettes.
Un petit groupe. Placés en cercle, sept ou huit éclopés. Quelques chaises vides de temps en temps. Une succession de mélodrames juxtaposés et rejoués chaque session. Fatras de peines et de colères dans un local trop exigu. Et moi, dans ce tumulte, dans ce trop-plein, le plus souvent pressée par le psy, j’arrivais à peine à bafouiller quelques mots.
— Ça va, ça va…
— Plus de tremblements, plus de vertiges, tu t’habitues à ta médication ?
— Oui, oui, ça va…
Pourtant ça n’allait pas du tout. Et toi, figé sur ta chaise, les bras croisés, le regard flou, tu te taisais.
« Les mots viendront en temps et lieu », avait coutume de dire le psy qui croyait bien venir à bout de ton silence par la patience. Mais toi encore tu te taisais.
Tous les deux pris au piège de ce rituel imposé, nous nous étions vite liés d’amitié. Et bientôt j’en vins à connaître la vraie raison de ton mutisme.
« Qui sait ce qui pourrait surgir d’une blessure entrouverte ? Je sens déjà tapie dans l’ombre une bête en moi qui s’agite. »
Et c’est ainsi qu’au bout de six semaines, et les pilules et les séances, tu as fini par tout laisser tomber. Pour jour et nuit t’enfermer dans ta chambre. À l’affût des bruits de la rue.
« Ma décision est prise, je vais bientôt franchir la porte, enfin m’affranchir de la bête. »
Et moi je n’ai rien vu venir.
Près de toi, pas de lettre d’adieu. Simplement un poème. « Une bête s’est frayé un chemin… »
Pour t’oublier, j’ai fui la ville. Parfois encore je pense à toi, et derrière cette porte que tu disais vouloir franchir, il m’arrive d’entendre un appel. Comme si quelqu’un m’invitait à le suivre.
Mais est-ce bien toi ou est-ce la bête ?
Notice biographique
Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à