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Mai 68, j'aurais16 ans dans trois mois, je prépare avec fébrilité mon BEP de comptabilité. Si je suis reçue je pourrais commencer à travailler pour aider ma maman qui nous a élevé seule mes trois soeurs et moi.
Nous habitons dans un beau quartier de Paris, dans le 8ème arrondissement, avenue de Friedland, notre appartement est au cinquième étage sans ascenseur, il a été fait à partir de deux chambres de bonne réunies. On y est à l'étroit, sans intimité. Le soir, pour dormir, il faut déplier les lits et les refermer le matin pour avoir une pièce à vivre. Pas de salle de bain, notre toilette nous la faisons dans la cuisine, devant l'évier.
Depuis ce matin, la radio parle sans arrêt de problèmes avec des étudiants à Saint Michel et à la Sorbonne, qu'ils dépavent les rues de Paris pour se battre contre les forces de l'ordre, qu'ils occupent la Sorbonne. On entend parfois l'un d'eux, un certain Kon-Bendit ou son homologue Krivine (le seul que je connaisse qui soit resté fidèle à ses idées d'ailleurs), s'exprimer au micro d'un reporter, et clamer leur fameux 'il est interdit d'interdire".
Dans mon quartier parisienne, c'est un monde que nous ne connaissons pas, les étudiants de l'université font partie de la bourgeoisie parisienne, ils semblent bien loin de nos préoccupations d'enfants d'ouvriers. Oh, nous mangeons à notre faim, nous partons en colonnies de vacances, mais nos parents travaillent dur et n'ont pas beaucoup de loisirs. Nous savons que nous n'avons que très peu de chance voire aucune d'aller à l'université car il n'y a là-bas qu'une classe riche dont les parents ont les moyens de subvenir aux frais de leurs études.
Pour moi, mai 68, reste marqué comme une période où tout est bloqué, il faut marcher des heures pour aller à la seule librairie scolaire de Saint Michel (Gibert Jeune), chercher les livres nécessaires à mes révisions en vue de mon exament de Juin. Je suis en colère, je me demande pourquoi ce sont ceux qui sont les plus nantis qui récriminent aussi fort.
Aujourd'hui, lorsque je regarde ce que sont devenus ces soi-disants "révolutionnaires", je suis surprise de les retrouver à des postes confortables, le plus souvent dans les administrations, et lorsqu'ils sont patrons, souvent intolérables vis à vis de leurs employés. Donneurs de leçons à notre jeunesse qui elle ne demande que du travail et de quoi vivre décemment.
La révolution bourgeoise de mai 68 avait-elle pour but de s'accaparer les meilleurs emplois, les meilleurs revenus, les postes administratifs où l'on reste jusqu'à un âge suffisament jeunes pour vivre tranquillement une retraite dorée ? Pour moi cela ne fait aucun doute,
Alors, si un jour on souhaite vous embrigader dans un mouvement, pensez d'abord aux intérêts que cela représente pour ceux qui vous demandent de vous joindre à leur mouvement. Cherchez quels sont les buts qu'ils souhaitent atteindre et quel en sera le coût pour vous. Prenez le temps de faire la part des choses et, bien plus souvent que vous ne le croyez, vous verrez que seuls leur intérêt personnel est en jeu.
Enfin c'est juste mon avis !!!