L'affaire est faite, définitive. François est revenu, l'autre, l'ancien. On pensait bien qu'Hollande était devenu tel le Sphynx, comme Mitterrand jadis. Mais cette semaine, c'était confirmé. Une opération de prostate et un sommet africain, le tour est joué. Retour vers le futur, il nous manque le labrador, la roche de Solutré et le chapeau.
François Mitterrand réincarné.
La prostate d'abord.
Une affaire qui fut d'abord un grand moment de solitude, un trouble collectif, le sabordage inconscient d'une éditocratie malade. Mercredi, France Info lâche un scoop: Hollande, quinze mois avant l'élection de mai 2012, a été opéré de la prostate, opération bénigne, mais qui fait jaser. Nos nouveaux chevaliers de l'investigation post-moderne affutent leurs plumes et multiplient débats et éditoriaux assassins sur la nécessaire transparence qu'Hollande n'aurait pas respecté.
On se pince.
Cette opération de la prostate nous évoquait un autre malade, François Mitterrand, qui résista à son cancer deux septennats durant, avant de mourir un jour de janvier 1996, épuisé.
Les services publics, aussi
Mercredi,
c'est le faux choc. Mitterrand avait en son temps à faire avec les
partisans de l'école privée, bizarrement auto-baptisée "libre". Ce mercredi de décembre, une étude internationale dénommée PISA, immense test de connaissance chez nos gamins, place la rance en 25ème place sur 34 au sein de l'OCDE.
Indignation
générale, on fait mine de découvrir les ravages d'une décennie de
coupes budgétaires et mauvaise gestion de la droite: baisse des dépenses
d'éducation, surcharge des classes, mauvaises rémunérations, réforme
ratée de la formation des profs, etc. Laurent Wauquiez, éphémère
ministre de l'enseignement supérieur sous Sarkozy, ose accuser la
gauche, PISA a été réalisé en ... mai 2012, doit-on lui rappeler. Vendredi, Vincent Peillon annonce encore 4.000 postes supplémentaires au collège.
De
la santé, on s'inquiète aussi. Le premier septennat de Mitterrand avait
vu s'envoler le nombre de médecins du secteur 2, un statut créé en
1980 qui regroupe aujourd'hui 60% de la profession. Ce 1er décembre, 10.000 d'entre eux acceptent de geler leurs honoraires libres, en échange d'une meilleure prise en charge de leurs charges patronales. Les inégalités médicales sont criantes. Huit millions de Français dépendent de la CMU ou de l'aide à la complémentaire santé. Les patients supportent une vingtaine de milliards d'euros de dépenses médicales non remboursées, sans compter les cotisations sociales ou aux complémentaires.
Qui aura le courage de sauver la Sécu ?
L'Afrique ensuite.
Mercredi démarre une séquence africaine. François Hollande multiplie les discours - développement économique mercredi, protection de la faune jeudi - avant un sommet à l'Elysée ce vendredi. Ce sommet, Hollande l'a voulu. C'est une initiative française, qui rassemble une petite quarantaine de chefs d'Etat du continent à l'Elysée. On se rappelle la Baule, en juin 1990, seizième conférence des Chefs d’Etat de France et d’Afrique. Hollande l'Africain ?
On se souvient tous de la Françafrique. Claude Guéant et son fils, ou Patrick Balkany - dont l'un des directeurs municipaux de Levallois-Perret vient de rejoindre Marine Le Pen - tentent encore de faire des "affaires". Mais Hollande a désactivé quelques sales réseaux, tels Alexandre Djhouri ou Robert Bourgui. Il n'a pas envoyé son secrétaire général "dealer" quelques juteuses affaires dont les juges se préoccuperont quelques années plus tard. Son ministre des affaires étrangères ne "conseillait" pas des autocrates avant de prendre son poste au Quai d'Orsay. Les juges qui enquêtent sur les biens mal acquis de quelques autocrates africains ne sont pas empêchés par le parquet de Paris.
La France ne joue plus au gendarme. Jeudi, des troupes débarquent bien en Centrafrique, où une guerre désormais civile fait rage depuis un an. Mais l'ONU apporte sa caution. Il s'agit d'épauler la MISCA, pour éviter davantage de massacres de civils (300 morts encore cette semaine). Une opération "coup de poing", courte et rapide, promet le ministre de la Défense. A Paris, Hollande plaide pour la constitution d'une force d'intervention rapide africaine plus efficace, annoncée en mai dernier lors d’un sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. Les accusations de néocolonialisme, qu'on lit encore dans les colonnes de l'Humanité ou en Algérie par exemple, semblent anachroniques. "Malgré les apparences, la relation de la France avec l'Afrique a changé" commente le journaliste Jean-François Achilli. Car en Afrique, le prétendu leadership français est largement bousculé par la Chine ou les émirats, ou le terrorisme islamiste au Sahel.
Ce vendredi, la mort d'un géant de notre histoire récente, Nelson Mandela, la veille au soir, s'impose au sommet de l'Elysée. Drapeaux en berne dans tous les bâtiments officiels en France, Hollande et ses invités respectent une minute de silence: "aujourd'hui, c'est Nelson Mandela qui préside les travaux de ce sommet" résume le président français.
Le décès de l'ancien président de la réconciliation sud-africaine provoque une onde de choc, et quelques outrances. La réacosphère se lâche encore en commentaires racistes sur Twitter; le brûlot Valeurs Actuelles préfère célébrer le décès de l'ancien tortionnaire Aussaresses, que Jean-Marie Le Pen regrette déjà.
L'impopularité enfin
François Mitterrand a rapidement été rattrapé par une multitude d'affaires. Mediapart n'existait pas mais Edwy Plenel était déjà là. Irlandais de Vincennes, financement occulte, écoutes de l'Elysée, les années 1980-1990 eurent leur lot de scandales qui affaiblirent davantage le locataire de l'Elysée. Hollande s'est épargné ces écarts-là.
Mitterrand n'était pas populaire. Un point commun de plus avec François Hollande. 1983-2013, trente ans et le même cirque de la rigueur, les mêmes incompréhensions à gauche. 1993-2013, le même cycle de crise économique qui déstabilise les certitudes et les alliances. Les sondage se succèdent, et tournent la tête des meilleurs esprits. Sur Canal+, jeudi midi, Ali Badou ose demander à Najat Vallaud-Belkacem s'il n'est pas impossible de gouverner quand les sondage sont si mauvais. "Mois après mois, le président de la république et son premier ministre continuent de s'enfoncer dans l'impopularité" s'inquiète faussement le Figaro, jour après jour.
La Vème République serait-elle devenue une dictature de l'émotion sondagière ?
François Mitterrand avait un Parti Communiste français à gérer. Il l'absorba. Ce PCF n'osa jamais l'opposition aussi frontale que celle de la "gauche de la gauche" s'autorise aujourd'hui. François Hollande laisse le Front de gauche de côté. Ce dernier, dimanche dernier, manifestait avec d'autres contre les hausses de TVA de janvier prochain. Ces mêmes hausses étaient fustigées par toutes sortes de patrons ou d'artisans au motif qu'elles allaient peser sur leurs marges. Hausse des prix ou baisse des marges ? Allez comprendre... Il fallait en rester à l'essentiel: la TVA demeurait reste cet impôt injuste et la réforme fiscale est nécessaire. Mais la semaine débuta sur un comptage sans fin du nombre de participants de cette dernière manif.
La Sarkofrance, pour sa saison 2, a pris l'habitude de buzzer sur l'inutile. Jean-Luc Mélenchon est encore la star des gazettes. Dans quelques mois, le premier moment de vérité électoral validera, ou pas, cette célébrité médiatique.
Avant de filer en Chine, Jean-Marc Ayrault poursuit ses consultations sur sa grande remise à plat. Mais les éditocrates préfèrent commenter les va-et-viens sondagiers. L'impôt rentre mal. On s'en inquiète. Mais qui veut réellement réduire ou supprimer les niches fiscales ? Il fallait sortir des slogans caricaturaux. Dans une excellente tribune le 3 décembre,
Vincent Drezet, de Solidaires Finances Publiques, Pierre Khalfa, de la
fondation Copernic, et Christiane Marty, d'Attac, détaillent ce qui
cloche et nous fait trinquer: "les recettes fiscales ont perdu l’équivalent de 6 points de produit intérieur brut entre le début des années 1980 et 2010". Ailleurs, des responsables du Parti de Gauche et
d'EELV publient un appel à une révolution fiscale.
Qui veut en débattre sans outrance ni caricature ?
Les années 80 avaient déjà cette rage outrancière, sous l'effet combiné d'une crise interminable, d'une extrême droite rance en plein revival, d'une droite paumée d'avoir échoué, et d'une gauche déchirée par et sur la conduite du pays.
Le souvenir de François Mitterrand était certainement très présent cette semaine.
Mais au bénéfice de qui ?
Crédit illustration: DoZone Parody