« […] je m’occupe à mes mémoires. Cette occupation me tient lieu de délassement. […] Je donne souvent dans des éclats de rire, ce qui me fait passer pour fou, car les idiots ne croient pas qu’on puisse rire étant seul »
Casanova avait l’habitude de tenir un journal sur ce qu’il appelait ses « capitulaires » : ceux-ci n’ont pas été conservés par le mémorialiste, mais certains premiers jets d’Histoire de ma vie figurent dans les papiers qu’il avait gardés : restés d’abord au château de Dux, ils sont aujourd’hui conservés aux Archives d’État de Prague.
Notes préparatoires à la rédaction d’Histoire de ma vie Giacomo Casanova. Papier, 22 x 18 cmSource : SOA Praha (Archives d´État de Prague)
Sur trois colonnes, Casanova a inscrit sur la page ci-dessous des listes de noms, acteurs de ce théâtre amoureux qu’est Histoire de ma vie.
Casanova fut accueilli comme bibliothécaire, en septembre 1785, par le comte de Waldstein dans son château de Dux. Ne pratiquant guère la langue allemande, les longs mois d’absence du comte lui pèsent et le plongent dans une solitude et une tristesse profondes.
Son roman utopique, Icosameron, se solde par un échec qui finit de le ruiner encore plus si cela était possible. Ses recherches mathématiques n’ont pas le succès escompté . De plus il se heurte à l’hostilité du personnel du château qui ne lui rends pas la vie très confortable.
« On dit que ce Dux est un endroit délicieux, et je vois qu’il peut l’être pour plusieurs ; mais pas pour moi, car ce qui fait mes délices dans ma vieillesse est indépendant du lieu que j’habite. Quand je ne dors pas, je rêve, et quand je suis las de rêver je broye du noir sur du papier, puis je lis, et le plus souvent je rejette tout ce que ma plume a vomi. La maudite révolution de France m’occupe toute la journée » (Lettre à la princesse Clary, 1794).
Sur ce feuillet ont été jetés des éléments qui ont servi à la rédaction de passages figurant dans les livres I à V d’Histoire de ma vie et ont été biffés sans doute au fur et à mesure de leur utilisation. D’autres, non biffés, sont restés inutilisés.
Est-ce à son médecin de cette époque, un Irlandais du nom d’O’Reilly, que nous devons l’existence de l’œuvre ?
Il recommande en effet à Casanova, qui le consulte, de « récapituler les beaux jours passés en Venise et des autres parts du monde ».
Sans doute ce conseil rejoint-il un projet ancien, annoncé déjà lors de la rédaction d’Il Duello (1780) et précisé dans Histoire de ma fuite (1787). En tout cas, Casanova se met immédiatement au travail et les lettres qu’il adresse à son ami Opiz témoignent que la rédaction de ses mémoires lui rend, en effet, la santé :
« Ma santé est bonne, et je m’occupe à mes mémoires. Cette occupation me tient lieu de délassement. Je me trouve en les écrivant jeune et écolier. Je donne souvent dans des éclats de rire, ce qui me fait passer pour fou, car les idiots ne croient pas qu’on puisse rire étant seul. » Correspondance avec J. F. Opiz, éd. Fr. Kohl et Otto Pick, Leipzig, Kurt Wolff, 1913