Philippe Colliard a passé beaucoup de temps pour penser et écrire cette géométrie qu'il explique au lecteur, supposé être un collégien et qu'il tutoie dès le début du livre. Ce n'est pas le tutoiement de celui qui sait devant l'ignorant, mais plutôt de l'ami qui t'emmène par la main pour te montrer un chemin que tu ne pourrais pas parcourir tout seul, par peur, par ignorance de son existence ou par manque de forces.
"J'écris ce livre pour toi, et j'essaierai de ne pas te décevoir". La tâche est rude car le chemin de la construction axiomatique de la géométrie l'est, mais il est impensable que l'auteur marche seul loin devant, sans que celui qui souhaite comprendre reste à ses côtés et puisse répondre aux délicates questions: Qu'est-ce qu'un point? Qu'est-ce qu'une droite? Qu'est-ce qu'un plan? et toutes les autres qui en découlent.
Non, non "Ce n'est pas un roman". " Fil après fil, [le livre] tisse devant toi chacun des éléments de ta géométrie: chaque ensemble de points, chaque théorème, chaque transformation."
Alors, comme Clairaut qui souhaitait placer le "Commençan" sur les traces du "découvreur" à travers la résolution de problèmes pour aborder l'univers mathématique, Philippe Colliard adopte démarche analogue pour entrer en Géométrie par la porte axiomatique. L'apprenant tutoyé est celui qui va suivre le chemin du "découvreur" sans se faire abandonner ni manipuler en cours de route. Se faire abandonner car la pente serait trop rude et se faire manipuler par des tours de passe-passe rhétoriques ou des raisonnements évités pour poursuivre plus loin, au lieu d'expliquer le fondement.
Aux frontières de l'étendue au sens géométrique, de l'espace physique géométrique, de la logique et de la construction axiomatique, les gestes de l'auteur se doivent d'être précis et rigoureux, en fin pédagogue, pour que le binôme géométrie/lecteur reste lié tout au long du chemin.
L'auteur a du faire appel à ce qu'il nomme 24 "métaxiomes", 8 physiques et 16 mathématiques, pour réaliser cette construction conjointe incluant le lecteur commençant. Ces métaxiomes pourraient être qualifiés d'axiomes pédagogiques. Ils n'enlèvent rien à la rigueur du propos mais permettent une approche plus visuelle, plus sensible des concepts abordés afin de mieux les appréhender
Le départ: qu'est-ce qu'un point?
Le point perd son statut naïf d'objet comme on le conçoit de façon intuitive en le représentant par une croix, il devient l'emplacement sur lequel vient naturellement se placer ce qui est appelé un objet ponctuel.
L'idée de cet objet ponctuel est tout simplement magique, pour ne pas dire mathémagique...
Mais c'est quoi, un objet ponctuel?
Son signe caractéristique est que c'est un "objet plus petit que petit"
"Choisis un objet, n'importe quel objet. Par exemple un Airbus modèle réduit, télécommandé.
Imagine (eh oui) que tu aies le pouvoir de le faire rétrécir 10 fois, cent fois,... un million de fois...
Avec un microscope suffisamment puissant, tu peux tout de même retrouver sa forme, voir ses ailes, ses réacteurs. Ce n'est pas un objet ponctuel. Imagine que tu continues à le faire rétrécir, encore. Jusqu'à ce que, malgré tes efforts, il ne puisse plus rétrécir davantage!
[...]
Mais tu t'entêtes, tu t'acharnes a le faire rétrécir une fois de plus, une fois de trop, et l'Airbus implose. Il rentre en lui même. Et là, il perd sa forme. Aucun microscope, même surpuissant, ne te permettra plus jamais de voir que c'était un Airbus... C'est devenu un objet "plus petit que petit". [...]
Maintenant tu as ton objet ponctuel.
Qu'est-ce qu'un point? Tu ne devines pas? Un endroit "plus petit que petit". Seul un objet ponctuel pourrait l'occuper sans en déborder... [...]
D'où l'entrée en scène du premier métaxiome physique:
Mphy-0 Un objet ponctuel qui se déplace occupe constamment un point. "
Philippe Colliard explique:
La construction axiomatique
Pour le reste du voyage, et même tous les autres voyages, les escales, les terminus, afin de découvrir les boites à outils qui se créent à mesure que la dextérité et la compréhension se forgent, je ne vois qu'une possibilité: terminer l'aventure avec le livre, dans le livre, en se laissant accompagner par l'auteur et les jeunes personnages qui n'oublient pas de faire "la bonne remarque au bon moment".
Au fur et à mesure de l'avancée dans le livre, les intentions de l'auteur s'affirment: permettre au lecteur de saisir l'approche euclidienne de la géométrie. Il est difficile pour ne pas dire impossible que les collégiens entrent dans cet univers, malgré ce qu'en disait Jean-Baptiste De La Chapelle en 1763 qui était même plus ambitieux:
« Euclide peut être étudié à six ans ; l’on a à cet âge des yeux et des mains. »
Le livre permet cette entrée, et même si le lecteur ne parvient pas à lire l'intégralité du livre, il est en mesure d'en saisir la portée et la philosophie générale dès les premières pages, celle de construire chacune des marches avant de faire un pas concernant des objets mathématiques abstraits et universels, afin de créer des vérités universelles. Cette démarche unique et particulière aux mathématiques est difficilement explicable, enseignable, visualisable sans un support ad hoc.
Quelques extrait de l'ouvrage sont présents sur le site Mathemagique.
"... Donc, D'après..." Une construction axiomatique de la géométrie au collège" de Philippe Colliard, trouvera naturellement sa place dans la bibliothèque du collégien motivé, du lycéen intéressé, du parent curieux et de l'honnête homme qui souhaite approcher de façon concrète le concept de construction axiomatique en mathématiques.
Ce livre intéressera aussi l'enseignant actuel ou futur, indépendamment du niveau d'enseignement. Il trouvera aussi tout à fait sa place au CDI d'un collège ou d'un lycée.
Bonne lecture.
La couverture du livre.