Le talentueux scénariste et réalisateur de Margin Call revient au cinéma avec l'un des plus beaux films de l'année. All Is Lost est une œuvre forte, audacieuse, poignante. Soutenue par un Robert Redford qui, à 77 ans, trouve l'un des meilleurs rôles de sa carrière, cette histoire de survie en pleine mer à la portée universelle tendance métaphysique développe un lien ineffable avec les spectateurs. A ne pas manquer.
En découvrant le pitch du film de J.C. Chandor, on pense évidemment au chef d'œuvre d'Alfonso Cuarón, Gravity : une histoire simple, de survie, projetant son personnage principal dans un environnement hostile où toute communication est impossible. Pourtant, les deux long-métrages ne partagent pas les mêmes ambitions ni la même approche, se complétant plutôt que s'affrontant sur le même tableau. Défi technologique et narratif pour le réalisateur d'Harry Potter, recherche du minimalisme du côté de Chandor. Les thématiques se font pourtant écho, on y parle de vie et de mort, de lâcher prise, de lutte, au cours d'une sorte de cheminement intérieur, mental, pour le héros, en parallèle à son parcours physique. Ne boudons pas notre plaisir : les deux films sont à ne pas rater, et proposent parmi les plus beaux moments de cinéma de cette année.
La petite particularité de ce All Is Lost est qu'il s'inscrit parfaitement dans la continuité de l'univers de son jeune réalisateur, initié avec Margin Call en 2011, malgré une métaphore peut-être légèrement trop appuyée en début de film. Le précédant long-métrage de Chandor mettait en scène une équipe de traders la nuit avant le crash boursier à Wall Street, tandis que celui-ci nous raconte une histoire de naufrage causé par un container de chaussures de sport fabriquées en Asie. De là à y voir une parabole sur la situation économique mondiale, il n'y a qu'un pas que l'on peut franchir aisément…
Mais All Is Lost est bien sûr avant tout une formidable histoire de survie, propulsant un homme dans une situation périlleuse face à la Nature déchaînée, semblant incarner une sorte d'entité répressive. « Notre homme » comme l'appelle le metteur en scène, est une sorte de miroir, conférant au film une dimension existentielle et développant un lien ineffable avec ses spectateurs. « Il est la personnification de leurs émotions élémentaires : espoirs, peurs, inquiétudes et rêves » ajoute-t-il dans l'interview du dossier de presse. Ainsi, nous ne connaissons quasiment rien du personnage que l'on va suivre : son nom, sa situation familiale, professionnelle, son passé et le but de sa croisière en voilier ne sont jamais mentionnés. Un parti-pris audacieux, et qui ne gêne en rien l'identification, l'homme devenant le réceptacle des projections de chaque spectateur.
Il n'est pas non plus pour autant une coquille vide, et chaque seconde de film nous en apprend un peu plus sur sa personnalité. Pas de voix off surlignant l'action, pas de dialogue (un monologue au début et deux ou trois mots prononcés par la suite rompant le mutisme du personnage avec une intensité extraordinaire), toute la force de cet homme passe par ses actes, ses gestes, ses moments de réflexions, son attitude, son regard. Il fallait un très grand acteur pour pouvoir maintenir l'attention du public pendant ces presque deux heures quasiment muettes, où séquences contemplatives se mêlent à des fulgurances d'action. Défenseur des cinéastes indépendant, fondateur du festival et de l'institut de Sundance, c'est à Robert Redford que J.C. Chandor et le producteur Neal Dodson confièrent le rôle. Une performance remarquable pour cet acteur qui n'a plus rien à prouver, mais qui, en sa qualité d'écologiste et d'humaniste, fut conquis par cette expérience éprouvante et exaltante (il a une nouvelle fois tenu à faire la plupart de ses cascades). Probablement l'une de ses plus belles interprétations.
Le film de Chandor hypnotise par son rythme, faisant la part belle à des tranches de vie en mer captivantes. Le mot d'ordre semble être « crédibilité », les gestes et postures de Robert Redford n'étant jamais remis en question, illustrant à la perfection le savoir-faire tacite nécessaire à l'acceptation par les spectateurs du personnage. Chaque action, chaque décision, semblent mûrement réfléchies, renforçant la sensation de vulnérabilité de cet homme lorsque tout semble avoir été entrepris en vain. Le moindre petit imprévu représente une potentielle menace et l'on surveille avec inquiétude - dans une sorte de mimétisme inconscient du personnage - l'océan Indien qui s'étend indéfiniment. All Is Lost est un film sur l'endurance d'un homme face à l'acharnement du sort, entre lutte et résignation, volonté et renoncement. C'est aussi un très beau récit mettant en avant l'ingéniosité face à l'adversité d'un environnement. Très bien mis en scène et souligné par une bande originale subtile, le film est en outre très soigné dans sa direction artistique et ses décors, dispensant habilement quelques indices sur l'expérience du personnage.
Captivant du début à la fin – magnifique - le film de Chandor est l'un des plus beaux long-métrages sortis cette année, après une sélection hors compétition à Cannes et à Deauville.
A ne pas manquer.
Ma note (sur 5) :
5
Titre original
All Is Lost
Mise en scène
J.C. Chandor
Date de sortie France
11 décembre 2013
Scénario
J.C. Chandor
Distribution
Robert Redford
Musique
Alex Ebert
Photographie
Frankie Demarco & Peter Zuccarini
Support
35 mm, 2.35 :1 / 106 min
Synopsis : Au cours d'un voyage en solitaire à travers l'Océan Indien, un homme découvre à son réveil que la coque de son voilier de 12 mètres a été percée lors d'une collision avec un container flottant à la dérive. Privé de sa radio et de son matériel de navigation, l'homme se laisse prendre dans une violente tempête. Malgré ses réparations, son génie marin et une force physique défiant les années, il y survit de justesse. Avec un simple sextant et quelques cartes marines pour établir sa position, il doit s'en remettre aux courants pour espérer se rapprocher d'une voie de navigation et héler un navire de passage. Mais le soleil implacable, la menace des requins et l'épuisement de ses maigres réserves forcent ce marin forcené à regarder la mort en face.