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Haïti, kenbe la ! de Rodney Saint-Éloi

Par Ishtar @nadjaproduction



« Haïti, kenbe la ! Haïti, redresse-toi !», c’est ainsi que Rodney Saint-Éloi, directeur de la maison d’édition Mémoire d’Encrier, titre son récit du goudou-goudou, le séisme qui avait détruit Haïti il y a trois ans.À peine arrivé à Port-au-Prince pour participer à l’événement littéraire Étonnants- Voyageurs, il allait vivre au jour le jour la tragique catastrophe.
Haïti, kenbe la ! de Rodney Saint-Éloi« Comment peut-on tout ressentir en même temps, la mort et le goût extrême de vivre avec rage chaque seconde ? » . L’auteur nous relate sa descente aux enfers, à la manière de Dante, ou du Candide de Voltaire lors du tremblement de terre de Lisbonne. Toutes les tragédies se ressemblent, et la rage de vivre, de revivre l’histoire d’Haïti, depuis les débuts de la colonisation, de l’arrivée des esclaves, la révolte courageuse des Haïtiens, l’indépendance et les clivages sociaux. Deux camps, écrit-il : les riches et les pauvres, les mulâtres et les noirs. Tout est dans le regard comme le mentionne Robert Solé, lors d’un récent entretien. Celui de Rodney Saint-Éloi est fait de lucidité, et de lumière qu’il sait communiquer.
Tout est parterre : « le palais blanc qui abritait les fantasmes tyranniques des gouvernants du pays » « impossible à présent de fermer les yeux. Les présidents n’ont plus de fenêtres fermées sur le bidonville. Ils ne peuvent plus se cacher la vue de la misère ». Cette taboula rasa « ouvre la voie à toutes les utopies, aux rêves les plus fous », « Il reste à fonder un contrat social qui tient compte de tous les Haïtiens. » « Pourquoi a-t-il fallu un séisme pour sentir ce désir d’avoir cause commune ? » La catastrophe le pousse à s’interroger.  La modernité et l’intelligentsia haïtienne y sont évoquées : l’actualité du créole dans les écoles, et ceux qui rêvaient de société juste et égalitaire, de réforme, tous et tout sont « figés là sous les décombres ».
Tout est retourné à la terre : « les hypocrisies sociales. Les saints. Les églises. Les préjugés. Les classes. Les banques ». Et les enfants jouent encore.
L’auteur sait épouser le rythme et le mouvement de son peuple : « une mouche tournoie, un enfant saute à la corde, cinq chauffeurs réclament la même course, trois bagagistes se battent autour d’une valise », comment la vie continue malgré le cataclysme ? Un pasteur continue à célébrer un mariage alors que le marié est emmuré dans les pierres . Saint-Éloi alimente son récit de sa trajectoire d’Haïtien exilé à Montréal, où il a fondé Mémoire d’Encrier, sa maison d’édition unique en son genre car il y publie une diversité remarquable de voix autochtones, et des écritures d’ici et d’ailleurs. Il nous transmet sa colère et sa critique de la société haïtienne. Fait de flash back son style est cuisant : une écriture qui vient du fond de sa gorge, habitée de cauchemars : « des images qui marchent en moi comme des araignées folles », et des enfants qui rient à côté de cadavres. Il regarde les choses comme il est au fond de lui.
Son journal de bord au lendemain du désastre nous bouleverse, comme la tragédie elle-même, par son incroyable force de vie.
Rodney Saint-Éloi, Haïti, kenbe la !, éditions Michel Lafon, 2010, 267p.Préface de Yasmina Khadra

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