Fantômes de l’Apartheid (tribute to Mandela)

Par Borokoff

A propos de Zulu de Jérôme Salle 

Forest Whitaker

A Capetown, Brian Epkeen (Orlando Bloom) et Ali Sokhela (Forest Whitaker) sont deux flics au style et au caractère radicalement opposés, ce qui ne les empêche pas de bien s’entendre. L’enquête qu’ils se voient confier sur l’assassinat sauvage d’une jeune Blanche, fille d’un célèbre ancien joueur de rugby, dans un jardin botanique de Kirstenbosch, les conduit à remonter la filière d’un puissant réseau de trafiquants de drogue. Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises (ni de leurs peines). Car derrière le cartel opèrent deux responsables blancs européens, l’un dirigeant un groupe de Sécurité, l’autre travaillant pour un mystérieux laboratoire pharmaceutique ayant mis au point une nouvelle drogue aux effets ravageurs mais dont une des molécules reste inconnue…

Orlando Bloom

Cruelle coïncidence d’écrire cet article au lendemain d’une bien triste nouvelle : la mort de Nelson Mandela (1918-2013), à qui cet article est dédié…

Contre toute attente, l’adaptation du polar éponyme écrit par Caryl Ferey (paru en 2008), est une réussite surprenante par rapport au souvenir des plates adaptations de Largo Winch mais aussi, à l’inverse, des articles qui ont injustement massacré Zulu (il ne faudrait jamais lire un article du Monde avant d’aller voir un film). Zulu n’est peut-être pas un modèle de nuances ni de finesse dans l’écriture et la mise en scène, mais c’est un policier assez tendu pour rendre le suspense et l’action haletants tout en parvenant à plonger le spectateur dans la psyché de deux flics, un Noir et un Blanc, aussi torturés l’un que l’autre, mais pour des raisons différentes.

Dans Zulu, les fantômes de l’Apartheid ne sont jamais loin. Ils constituent même le terreau du film. A l’ambiance poisseuse et ultra-violente de Zulu répond le contexte historique et social encore très trouble et complexe d’une Afrique du Sud et des townships de Capetown gangrénés par la violence, le racisme encore très prégnant, le Sida, les meurtres et les trafics de drogue. Ali Sokhela est un flic noir traumatisé par son enfance  dans un bantoustan du KwaZulu. Ayant assisté en direct à l’assassinat de son père par les milices de l’Inkhata à la fin des années 1970, il a dans la foulée été castré et battu sauvagement, ce qui lui a laissé des séquelles irréparables.

Quant au personnage d’Epkeen, il faut aussi lire entre les lignes. Si le flic joué par Bloom parait « cool » et détendu, s’il a adopté le style mal rasé et débraillé, il n’en est pas moins un type divorcé qui n’a pas une haute idée de lui-même. Ce que confirme sa tendance à boire au travail. En proie à un certain laisser-aller, c’est néanmoins un « bon flic » mais qui se sent coupable autant de la non-éducation de son fils (et d’avoir fait capoter à lui seul son mariage) que de ne pas avoir pu sauver à temps son collègue Fletcher, lâchement assassiné par un gang sur une plage.

Forest Whitaker et orlando Bloom

Zulu peut s’enorgueillir de ses compositions, d’un bon scénario comme d’un suspense et d’une mise en scène enlevée qui ne faiblissent pas pendant 01 h 50 min. Le duo Bloom / Whitaker fonctionne à merveille. Les deux acteurs campant des personnages aux antipodes mais assez fouillés psychologiquement pour les rendre attachants voire bouleversants par endroits. On pense parfois au duo formé autrefois par Glover et Gibson dans la série des L’arme fatale, toutes proportions gardées bien entendu.

Sokhela est un flic austère voire un brin rigide. Introverti et sérieux, propre sur lui, il donnerait presque l’impression d’une maîtrise de lui absolue si certains tics sur son visage, certaines failles dans son expression ne venaient pas trahir et contredire cette première impression. Epkeen a quant à lui l’allure dégingandée et extravertie. Plus jeune que Sokhela, il s’avance avec un style beaucoup plus spectaculaire que son collègue. Avec Sokhela, Epkeen partage pourtant des traumatismes qui les rendent tous deux de plus en plus à fleur de peau, au bord d’imploser, ce que confirme une chute en forme d’Apocalypse, à l’image d’un pays qui n’en a pas fini de ressasser ses démons…

http://www.youtube.com/watch?v=dI5ccB-t7vA

Film français de Jérôme Salle avec Orlando Bloom, Forest Whitaker, Tanya van Graan, Natasha Loring et Sven Ruygrok (01 h 50)

Scénario de Jérôme Salle et Julien Rappeneau d’après le polar de Caryl Ferey : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Compositions d’Alexandre Desplat :