Mike Cron, Steve Hansen et Gilbert Enoka dans le train pour Limerick
Les All Blacks se sont caractérisés sur cette fin d’année 2013 par une incroyable confiance en eux ! Dotés d’une foi « inébranlable » en leurs capacités, pleins d’assurances dans les moments décisifs, ils ont également fait preuve d’une patience collective impressionnante. L’occasion est venue pour mettre en lumière le travail mental effectué par cette équipe en coulisse, autour d’un homme : Gilbert Enoka.
- Qui est Gilbert Enoka ?
Gilbert Enoka est le « psy privé » des All Blacks. Leur mentor.
Il aime être appelé « entraîneur des compétences mentales », mais au fil des ans, il a glané de nombreux surnoms comme « l’homme esprit » ou « motivation-man ».
Son travail consiste à aider les joueurs à se développer pour atteindre leur meilleur niveau dans les situations où ils pourraient être en difficulté.
Lui-même a parcouru un long chemin. Plus jeune d’une fratrie de six frères, une mère infirme et un père ayant quitté le foyer, tout n’était pas rose pour lui. Il estime pourtant aujourd’hui ne pas avoir à se plaindre.
«J’ai compris très vite que si je devais faire quelque chose de ma vie, il fallait que je le fasse moi-même »
Diplômes en poche, il travaille auprès des joueurs de volley et dans le privé auprès de grands groupes industriels. Gilbert Enoka est doué. Il comprend les aspects mentaux qui bloquent l’amélioration des performances. Jusqu’au jour où Leigh Gibbs (coach des Silver Ferns, Netball féminin) lui confie un rôle d’entraîneur adjoint. C’est par ce biais qu’il entre en contact avec Wayne Smith et intègre le Super 12, puis les All Blacks.
Aujourd’hui, Gilbert Enoka parle des All Blacks comme le groupe d’individus le plus talentueux avec lequel il n’a jamais travaillé :
« Richie McCaw est potentiellement le meilleur de l’équipe … ses habiletés mentales sont de premier ordre. »
Mais avant de se sentir comme chez lui au sein des All Blacks, il a fallu du temps pour se faire accepter. Plusieurs fois dans sa carrière, il s’est retrouvé mis à l’écart. Les All Blacks n’échappent pas à cette règle, comme ce fut le cas à l’arrivée aux commandes du rude et controversé John Mitchell par exemple.
«Depuis que je travaille, j’ai toujours appelé la psychologie du sport comme le vilain petit canard de toutes les sciences sportives. Les gens sont à l’aise avec la bio-mécanique, la physiologie etc, mais à partir du moment où vous voulez travailler sur ce qu’il se passe dans votre tête, les gens commencent à se dire : « un psy ? Pourquoi ? Si j’ai besoin d’un psy, c’est qu’ils pensent que quelque chose ne va pas bien chez moi … ». Surtout l’ancienne génération, pour eux, c’est presque de la sorcellerie ! ». Gilbert Enoka
- « La méthode Enoka »
Il rit quand il entend dire qu’il ne faut jamais montrer ses faiblesses, « la vieille garde ne fait pas que du bien … Les All Blacks ont parfois été pris au piège par la tradition. Ils se sont dit, nous devons faire ce genre de chose, parce que les anciens ont fait comme ça, parce que c’est sûrement ce qu’aurait fait le grand Collin Meads ».
Gilbert Enoka veut en premier lieu que les jeunes All Blacks se crée leur propre héritage.
« Nous leurs avons demandé ce que cela signifiait pour eux d’être un All Blacks. Et ce qui ressortait le plus c’est que, lorsqu’ils mettaient le maillot, ils se sentaient le devoir d’y aller, que c’était leur tour. Leur temps et leur moment »
C’est d’ailleurs dans ce sens que le « Kapa O’Pango » a été travaillé et conçu avec l’aide de Derek Lardelli. Tout cela fait partie de la « mouvance Enoka ».
« Ils ont développé quelque chose qui les représente, quelque chose qui leur est attribué. Nous avons encore franchi un cap. Nous avons resserré les liens de la diversité multiculturelle néo-zélandaise car les joueurs ont désormais une représentation visuelle de quelque chose qui représente ce que signifie être un All Blacks.»
Lors des séances de groupe, les All Blacks apprennent avec lui à être vulnérables. Ils apprennent à parler de la vie. De l’amour. De l’univers.
« Il faut encourager les gens à parler ouvertement de la vie quotidienne, des petites luttes de la vie de tous les jours. Parler ouvertement de votre entourage, de l’impact de toute cette lumière sur vous et vos proches, des incidences etc. Si nous pouvons amener les gens à surmonter cette culture du silence, nous allons créer un environnement où les gens se sentent soutenus, plus libres de pouvoir être eux-mêmes. Les seules cultures que je veux voir disparaître, sont celles du secret et de l’individualisme. Nous voulons vraiment pouvoir promouvoir l’idée que si nous partageons quelque chose, avons confiance en nous, faisons les choses ensemble, nous allons réaliser de grandes choses. Des choses qui nous dépassent. »
- Comment la Nouvelle-Zélande a construit son équipe après l’échec démoralisant en ¼ de finale de la Coupe du monde 2007 ?
C’est après cette défaite que Gilbert Enoka a reçu le feu vert pour pouvoir travailler en profondeur avec les joueurs. Il a d’abord passé la plupart de son temps « au chevet » des joueurs en essayant de contenir leur détresse. Un travail important qui a permis ensuite de dériver sur l’appréhension de cette compétition qu’est la Coupe du monde.
Il a fait en sorte pour que ces matches soient perçus comme tous les autres matches. L’équipe a finalement réussi à accepter et reconnaître le fait que la Coupe du monde était un tournoi à élimination directe où certaines équipes pouvaient « héroïquement » tirer leur épingle du jeu. Que la victoire finale ou l’élimination se jouait sur des détails, sur presque rien …
Graham Henry et Richie McCaw juste après le 1/4 de finale 2007
D’une manière générale, durant cette période un important « état des lieux » a été réalisé au sein du rugby néo-zélandais.
Plus de 50 entretiens individuels ont été organisés avec les parties prenantes des All Blacks. Joueurs, entraîneurs, arbitres, sponsors, dirigeants, diffuseurs, agents, partenaires, administrateurs, médecins, préparateurs …
Plus de 1 500 pages de documents ont été examinées, allant de la description du poste de Graham Henry jusqu’aux feuilles de calcul de la NZRU détaillant les statistiques de performances des joueurs, en passant par le rapport remis à l’IRB sur la « contribution malheureuse » de Mr Barnes lors de ce fameux ¼ de finale.
Les All Blacks eux, ont bénéficié d’un programme de conditionnement physique sur mesure, qui sur 4 ans, a donné lieu à un gain moyen de 1.5 kg de masse musculaire, une amélioration de 2% de leur rapidité et une progression de leur puissance de 17%.
Mais de toutes ces améliorations, c’est peut-être l’accent mis sur le leadership et les valeurs du groupe dirigé par Gilbert Enoka qui ont été les plus importantes.
C’est également avec lui qu’est née en 2007 la devise « de meilleures personnes, feront de meilleurs All Blacks ». Et c’est encore aujourd’hui en 2013, la pensée dominante.
Tout ce travail, n’a été possible que, parce que l’encadrement des All Blacks, Graham Henry, Wayne Smith et Steve Hansen en tête l’ont voulu. Ils ont reconnu avoir commis des fautes de management, ils ont accepté de corriger, de prendre des mesures et d’introduire dans leur environnement des séances de formation mentale en donnant davantage de responsabilité à « leur psy ». Et ça marche.
« Gilbert travaille individuellement avec les joueurs et cela au cours des sept dernières années. J’ai été impliqué et je pense que nous avons vu une bonne amélioration. Le travail effectué avec Mills Muliaina par exemple, a vraiment très bien fonctionné. » Wayne Smith
Pour favoriser les prises de décisions et habituer les joueurs à commander, décider et assumer, Gilbert Enoka a mis en place au sein du groupe divers ateliers. Deux fois par semaine, par exemple, un groupe de 10 joueurs se réunit et se répartit 2 ou 3 joueurs dont ils assument la charge.
De longs « tête à tête » entre joueurs et entraîneurs sont effectués. Les forces et faiblesses de chacun sont entièrement disséquées afin de mieux comprendre ce que les joueurs ont besoin d’améliorer et quels points ont-ils besoin de travailler en particulier.
Dans l’ensemble, les joueurs sont encouragés à devenir plus à l’aise, mais aussi plus attentifs aux critiques, ainsi qu’aux attentes.
« Travailler sur l’aspect mental est un élément clé pour les All Blacks. C’est désormais un travail continuel » Wayne Smith.
Récemment c’est Victor Vito qui a été convié à passer du temps avec Gilbert Enoka afin de surmonter ses obstacles mentaux qui l’empêcherait d’exprimer son véritable potentiel au sein des All Blacks.
« Je vais voir avec Gilbert Enoka des zones que je n’ai jamais vraiment explorées ». Victor Vito
Le nom de Gilbert Enoka continue de resurgir quelque fois, comme c’était le cas dernièrement pour la victoire mémorable contre les Springboks à l’Ellis Park.
« Il a fait un travail magnifique. Nous sommes reconnaissants d’avoir eu toute cette force mentale. Nous avons vraiment beaucoup travaillé sur ce secteur. C’était un match spécial avec un groupe spécial. Ils ont conquis quelque chose que peu de gens ont fait en montrant beaucoup de force mentale ». Steve Hansen
Mais Gilbert Enoka sait rester dans l’ombre. Peu d’entretien, peu d’interview, peu d’images de lui. Il laisse les joueurs prendre du crédit et l’équipe prendre confiance en elle en s’affirmant.
Après le 14/14 réalisé en 2013, Graham Henry a tout de même tenu à mentionner le guide mental des grands All Blacks: « Gilbert Enoka a joué un grand rôle dans tout ça … ».
« Les joueurs sont libres de prendre des décisions claires et logiques. Ils sont patients, gardent le contrôle et ne se préoccupent pas de la pression du tableau de bord. Il faut vivre le présent en gardant le contrôle ». Gilbert Enoka
Gilbert Enoka avec le staff des All Blacks 2011
Crédits: sources stuff.co.nz, nzherald.co.nz, photos Getty Images (zimbio.com)