Photo Steen Christensen
Vous descendez d’automobile entre Saint-Félicien et Saint-Méthode. Le long de la tranquille rivière Ticouapé ou Tikuape, dont le nom ilnu signifierait « l’homme au caribou ». Les inondations provoquées par le rehaussement du lac Saint-Jean dans les années 1920 ont poussé la rivière hors de son cours et elle s’est répandue en de nombreux et peu profonds marécages, où la vie animale et végétale pullule. Le plus vaste et le plus visible borde la 169 sur la droite, juste avant d’arriver aux premières maisons de l’agglomération méthodoise. Vous ne pouvez le manquer : un îlot recouvert de joncs et de quenouilles trône en son centre.
La municipalité a prévu des aires d’arrêt. Vaut mieux les utiliser que de se tordre le cou pour observer les familles de pilets, de harles et de sarcelles qui parcourent joyeusement les eaux mortes… et d’ainsi provoquer des collisions !
Par un beau début de soirée, vous descendez donc l’écore pour vous installer au pied d’un chicot, derrière la folle avoine. C’est l’ouïe qui d’abord capte la surabondance de vie qui vous entoure. Cancanages, appels des grenouilles, bruits stridents des grillons, cri d’un huard qui se profile contre les herbages serrés de l’îlot et, si le vent est calme, les roucoulements plaintifs des tourterelles tristes qui, du côté nord de l’étendue d’eau, s’interpellent dans le crépuscule prochain, d’un toit de grange à l’autre.
Du site oiseaux de proie
Si vous avez ma chance de bossu, vous le verrez alors surgir, lui, qui ne devrait pas hanter ces parages hors des périodes de migration. En premier lieu, vous n’apercevrez contre le ciel souffre, au sud, qu’un trait noir. Un fuseau gonflé au centre, avec de vagues oscillations à ses extrémités. Puis, en se rapprochant, ce fuseau se métamorphosera en oiseau de proie et virera vers la droite pour survoler la mare à une dizaine de mètres de la surface, avant de faire du sur place, de brusquement lancer ses ailes vers l’arrière et de se laisser choir dans la masse liquide qui semblera l’absorber complètement. L’oiseau noir et blanc, au bec crochu, en ressortira dans un éclaboussement et disparaîtra à tire d’ailes, une perchaude gigotant entre ses serres. Vous aurez eu le privilège d’observer en action le balbuzard, ou l’aigle pêcheur, seul rapace pêcheur de l’est de l’Amérique du Nord. J’écris bien privilège car, d’habitude, hors des temps de migration, il fréquente des lieux plus isolés : côtes du fleuve ou de l’océan, rivières et grands lacs au cœur de la forêt… Ce rapace diurne de forte taille – ses ailes atteignent jusqu’à 1,8m d’envergure – pourrait donner des leçons d’aérodynamique : s’il réussit à capturer un poisson de poids respectable, il le transportera tête dans la direction du vol, de façon à offrir la moindre résistance à l’air.
Belles photos en perspective…
L’AUTEUR…
Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon
du Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998). Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013). Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011). En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010). Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (Marcel Broquet). On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL. De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue. Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).