(Article publié en même temps que l’émission 154 de
Podcast
Science sur les rythmes circadiens)
Tout bon musicien vous le dira, l’univers est fait de rythmes, que ce soient les pulsations périodiques d’étoiles à neutrons, les mouvements relatifs des astres, les dégradations nucléaires des isotopes ou encore les rotations abstraites qu’effectuent les particules… L’univers semble générer des rythmes dès qu’il peut… Et le vivant n’échappe pas à la règle! Les cellules se divisent périodiquement, les organes fonctionnent périodiquement et même la reproduction a ses périodes.
Tout bon musicien vous
confiera aussi qu’un bon orchestre joue au même rythme. La clé c’est que les musiciens
suivent les instructions d’un chef d’orchestre pour se mettre au même tempo. Mais comment
ça marche pour le vivant? Est-ce que nos rythmes sont menés par un chef d’orchestre?
Comment nous synchronisons-nous?
Avant de nous pencher sur les rythmes du vivant, demandons-nous quels sont les rythmes
qui sont les plus susceptibles d’influencer les organismes. Sachant que la source d’énergie
la plus abondante et quasi inépuisable de notre planète est la lumière du soleil, on
comprend qu’il s’agisse d’un facteur environnemental ultra important pour les être vivants.
Or, le phénomène rythmique qui est le plus évident sur notre planète, c’est l’alternance de
lumière. Pas étonnant que ça en fascine certains:
En déplaise à Jacquouille, l’alternance
Jour/Nuit n’est pas le fait d’un interrupteur céleste. Le fait est que notre planète tourne
sur elle-même et que sa période de rotation, tenez-vous bien, dure grosso-modo un jour (86400 secondes pour être un
chouïa plus précis). Durant cette période, un point du globe est successivement exposé à la
lumière du soleil puis aux ténèbres insondables qui se trouvent à l’opposé. Voici une
animation d’un jour tiré de véritables images acquises par le module MODIS du satellite TERRA qui survole la Terre à
700km d’altitude:
L’alternance jour/nuit constitue donc un rythme géophysique qu’on appelle
le rythme nycthéméral quand on a été bien élevé. Nycthéméral, ça vient du grec
nukthêmeron, mot composé à partir de nux, nuktos, « nuit », et hêmera, « jour ». Si vous
voulez donc avoir la classe, au lieu de parler d’un jour, parlez d’un nycthémère, ça fait
plus chic! Par contre, articulez bien et évitez cette expression en face de personnages
hostiles, ça pourrait prêter à confusion...
Le rythme nycthéméral n’est
pas le seul cycle solaire perçu sur notre planète. Sous la plupart des latitudes
terrestres, il existe un rythme astronomique plus long, correspondant à une variation
lumineuse étalée sur une période d’environ 365,25 jours: les saisons. Voici une illustration
particulièrement frappante de ce phénomène: il s’agit de 4 photos de notre planète prises
par un satellite géostationnaire (Meteosat-9) à 6h12 à 4 moments clés de l’année, le 21 décembre (solstice d’hiver), le 20
mars (équinoxe de
printemps), le 21 juin (solstice d’été) et le 20 septembre (équinoxe d’automne). Sur ces
photos, on voit très bien le terminateur, cette ligne qui sépare la
face éclairée de la planète de la face non éclairée. On s’aperçoit que l’angle du
terminateur varie au cours d’une année:
La
vidéo suivante nous montre le phénomène sur une année complète, mais en accéléré:
En guise d’écran de veille, c’est plutôt sympa!
D’ailleurs, au passage, est-ce que vous savez pourquoi on a des saisons sur la
Terre? Moi, étant petit, j’étais persuadé que c’était dû au fait que notre Terre gravite
chaque année autour du Soleil selon une orbite elliptique, avec un moment de l’année où la
terre se trouve près du Soleil et un autre où elle est plus éloignée, une distance variable
par rapport au Soleil qu’on nomme excentricité orbitale
quand on est ingénieur à la NASA. Cependant, si c’était le cas, nous aurions des saisons
identiques aux deux hémisphères, Nord et Sud. Le fait est que lorsque l’hémisphère Nord se
trouve en période hivernale, l’autre hémisphère a la chance de profiter de l’été. Ma
confusion enfantine vient d’une part du fait que dans les nombreuses illustrations de
l’orbite terrestre de mes bouquins de cours, l’ellipse y était très fortement marquée. Or,
l’orbite terrestre autour du soleil est en réalité quasi circulaire et n’a donc qu’un effet
minime sur notre climat. Bon alors? C’est quoi l’origine des 4 saisons (s’impatientent
Vivaldi et le Pizzaïolo)? Et bien c’est l'inclinaison de l'axe nord-
sud de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite autour du Soleil (23.5°).
Étant penchée, notre Terre présente toujours un pôle vers les soleil. Quand c’est l’été
dans l’hémisphère Nord, c’est que la Terre est penchée de façon à présenter le pôle Nord
vers le soleil. Les rayons que cet hémisphère reçoit sont quasi-perpendiculaires, donc
moins dispersés dans l’atmosphère. 6 mois plus tard, l’inclinaison n’a pas changé et le
pôle nord se trouve à l’opposé. Les rayons du soleil que reçoit l’hémisphère nord sont plus
obliques, plus dispersés dans l’atmosphère, il fait plus froid, les gens sont gronchons,
c’est la merde: c’est l’hiver!
On résume ça avec 2 vidéos bien faites par le MIT:
Bref, trêves de
considérations astronomiques: vous comprenez maintenant qu’il existe des rythmes lumineux
géophysiques pouvant influencer les organismes vivants. L’aspect le plus important de ces
rythmes, c’est qu’ils sont hautement prévisibles, tellement prévisibles qu’on est capable
de savoir à quelle heure s’est levé le soleil il y a 2000 ans et de construire des éphémérides pour les siècles à venir. Ces fluctuations lumineuses
annoncent, en plus, des fluctuations climatiques. Les organismes possédant des moyens
d’anticiper ces fluctuations ont un avantage non-négligeable pour survivre et on peut
facilement s’imaginer qu’au cours de l’évolution, nombreuses sont les lignées qui ont
acquis des systèmes permettant de prédire ces rythmes. Mais bon, c’est bien beau d’imaginer
ce que peut faire l’évolution, mais c’est une autre paire de manche que de véritablement
identifier les rythmes du vivant qui sont à l’écoute des rythmes astronomiques. Pour se
faciliter la tâche, les premiers scientifiques à s’intéresser au sujet ont tenté de
chercher les rythmes qui correspondent grosso-modo aux rythmes solaires. Exit donc les pulsations du
cœur, le nombre de fois qu’on fait
pipi, qu’on cligne des yeux, etc… Si on s’intéresse aux fluctuations nycthémérales, ce
qu’on cherche, ce sont des biorythmes circadiens, c’est à dire d’environ un jour (circadien vient du
latin circa, « environ », et diem, « jour »). Si on s’intéresse maintenant aux fluctuations
saisonnières, on se mettra à la chasse des biorythmes circannuels.
Les premières
observations de biorythmes circadiens remontent à l’antiquité! Par exemple, le philosophe
grec Théophraste rapporte dans son Histoire des plantes qu’Androsthène de Thasos,
capitaine d’un navire sous Alexandre le Grand, avait
observé sur l’île de Tylos
(aujourd’hui connu sous le nom de Bahrein) un arbre « dont les indigènes disaient qu’il
dormait ». Il s’avèrera qu’il s’agit du Tamarinier dont les feuilles se ferment
en effet chaque nuit et s’ouvre chaque matin:
Ce genre de
mouvement qu’effectuent les plantes en fonction du soleil s’appelle l’héliotropisme (Du grec ancien ἥλιος hélios « soleil » et τρόπος tropos « direction
») ou phototropisme (Du grec ancien φωτός
photos « lumière »). Bien sûr, il n’y a pas que le Tamarinier qui soit capable
d’héliotropisme: on pense tous spontanément au tournesol, ou à l’héliotrope chez qui le nom même de
l’espèce correspond au phénomène. Mais en fait il y a un nombre incalculable de plantes à
fleurs chez qui les pétales s’ouvrent et se ferment en fonction de la lumière. D’ailleurs
toutes ne s’ouvrent pas au même moment, ce qui a donné l’idée à Carl von Linné, en 1751, de
concevoir une horloge
florale. Le célèbre naturaliste suédois avait en effet noté que les plantes à fleurs
pouvaient être triées en 3 groupes en fonction de leur comportement: les plantes
météoriques dont les fleurs s’ouvrent et se ferment en fonction des conditions climatiques,
les plantes tropiques qui s’ouvrent et se ferment en fonction de la longueur du jour et
enfin, celles qui nous intéressent aujourd’hui, les Equinoxiales qui s’ouvrent à heure fixe
de la journée quelque soit la saison et sans tenir compte des conditions météorologiques.
Sans avoir jamais pris le temps de planter son invention, Carl von Linné avait tout de même
réalisé de nombreuses observations permettant, théoriquement, de construire une horloge
florale dont les quadrants seraient constitués de diverses plantes dont les fleurs
s’ouvriraient à des périodes différentes de la journée.
Mais cette expérience peut nous laisser perplexe quand
même: comment ces plantes font-elles pour savoir l’heure de la journée si elles ne se
laissent ni influencer par la météo, ni par la longueur d’exposition au soleil? C’est comme
si la plante possédait un système interne permettant de lui indiquer l’heure du jour: un
mécanisme endogène…
Le premier à avoir cherché à caractériser ce mécanisme endogène est un astronome français, Jean-Jacques d’Ortous de Mairan, qui, en 1729, a pris des plants de Mimosa pudica, capable de phototropisme, et les a enfermés dans sa cave.
De Mairan a alors
observé que le comportement des feuilles de la plante, s’ouvrant le matin et se refermant
le soir, continuait même dans l’obscurité totale! Vu que de Mairan était astronome et qu’il
avait d’autres chats à fouetter cette année qui était riche en évènements astronomiques à
étudier, on a que très peu de détails sur son protocole, dont
il a confié le rapport à l’Académie Royale des Sciences, à son ami Jean Marchant.
Heureusement, de nombreux botanistes (Johann Gottfried Zinn, Henri Louis Duhamel du Monceau, Alphonse Louis Pierre Pyrame de Candolle) ont reproduit l’expérience avec des protocoles très rigoureux, à températures et humidités constantes, sans possibilité de fuite de lumière, et ont confirmé le résultat de de Mairan.
Cependant, rendons à l’astronomie et à la marine ce qu’il leur revient: sans Androsthène de Thasos et Jean-Jacques d’Ortous de Mairan, nous n’aurions pas eu de chronobiologie de sitôt, la chronobiologie étant la discipline scientifique étudiant l'organisation temporelle des êtres vivants.
Les premières expériences de chronobiologie se penchaient donc sur
les rythmes endogènes des plantes, sans influences externes (tout ce qui pourrait leur
donner une notion de temps). On appelle ces protocoles des expériences de libre-cours où
l’on place une plante en obscurité ou en lumière constante. Au-delà de l’existence d’un
rythme endogène, ce qui a surpris ces premiers chronobiologistes, c’est que ces rythmes
n’aient pas une période exactement égale à 24h (24h et des poussières dans l’obscurité et
25,5 heures en luminosité constante chez Mimosa pudica).
Au début,
nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il s’agissait là d’une spécificité des plantes, mais
la curiosité scientifique prend souvent le pas et des chercheurs ont voulu savoir si l’on
pouvait mettre en évidence de tels rythmes endogènes chez d’autres organismes. Le hic,
c’est qu’autant dans l’obscurité, venir observer à intervalles régulier l’activité d’une
plante est chose aisée, autant enregistrer l’activité d’un animal, c’est un poil plus
complexe. Si complexe qu’il faudra attendre le XXe siècle pour que de véritables études de
chronobiologie soient menées sur des rats à l’aide d’une invention particulièrement
ingénieuse: la roue actographique. Le nom de l’invention est bien plus complexe que ce dont
il s’agit réellement! C’est simplement une roue pour rongeur reliée à un stylet placé sur
un rouleau de papier qui se déroule à rythme fixe. Le stylet s’agite dès que la roue fait
un tour et marque le papier de petits zigouigouis d’encre:
C’est
finalement exactement le même système que les anciens cardiographes ou sismographes, sauf
que les vibrations sont générées ici par les tours que la roue effectue, à chaque fois que
le rongeur l’utilise. Bon, bien sûr, il faut que le rongeur ait envie d’utiliser la roue…
Mais en fait, c’est très très souvent le cas et on peut corréler facilement l’activité
motrice de l’animal avec les tours de roue:
La roue
ne s'arrête donc que quand l’animal va manger, faire ses besoins ou dormir. Et ces arrêts
sont visualisables graphiquement, dans ce qu’on appelle un actogramme. Quand le rongeur est
actif, y’a plein de p'tits traits qui forment une sorte de bande continue noire,
interrompue de temps en temps par des pauses, représentées par une ligne droite. Quand le
rongeur pionce, on voit une longue ligne droite. Quand on place notre animal d’intérêt dans
ce dispositif expérimental dans des conditions d’illumination standard (genre 12h de
lumière et 12h d’obscurité), on s’aperçoit que l’activité de l’animal suit grosso-modo le
régime lumineux. Quand y’a de la lumière, le style s’agite, quand y’a extinction des feux,
c’est fini tournez-manège.
C’est donc un protocole expérimental pour vérifier si
ces espèces possèdent des rythmes endogènes influençant leur activité locomotrice. Pour
tester nos cobayes, il suffit de jouer les gros bâtards et de les placer en situation de
libre cours, c’est à dire en lumière ou obscurité constante. C’est comme cela qu’on s’est
aperçu que ces rythmes d’activité suivaient bel et bien une périodicité d’environ un jour
(circadienne donc). Chez les rats, l’étude date de 1922 et a mis en
évidence une période d’activité circadienne de 24h12 en obscurité permanente. Sur
l’actogramme de ces rats, on voit que ce petit décalage de 12 minutes va entraîner, au bout
d’un certain temps, un décalage complet de la bestiole par rapport au véritable rythme
nycthéméral.
Voici un exemple avec un écureuil volant:
Et un exemple avec un Vison:
Pour formaliser ces différentes découvertes, un modèle théorique fut bâti, celui de l’oscillateur central. Dans ce modèle, le rythme endogène d’un organisme est dicté par un oscillateur central autonome. La période de ces oscillations est approximativement égale à 24h. Mais ces oscillations peuvent être influencées par des zeitgebers externes (lumière, température, humidité, etc.) Ceux-ci entraînent l’oscillateur central pour coller aux variations géophysiques. L’oscillateur central permet d’influer diverses fonctions physiologiques via des oscillateurs secondaires (ou esclaves). Quand l’oscillateur central est entraîné, les rythmes physiologiques collent aux conditions externes, mais quand l’organisme se trouve en libre cours, les rythmes se mettent à suivre les oscillations non-perturbées de l’oscillateur central (avec une période différente de 24h). Comme d’habitude, un bon schéma vaut mieux qu’un long discours:
Et puis, un chercheur, Colin Pittendrigh, a compilé en 1960 une liste de 16 observations empiriques concernant les rythmes circadiens dont voici un échantillon:
- Les rythmes circadiens ont une période approchant le rythme nycthéméral de la rotation de la terre.
- Les rythmes circadiens sont ubiquitaires dans le vivant.
- Les rythmes circadiens sont endogènes, autonomes et innés
- Les rythmes circadiens, bien que sensibles à la température, n’y varient pas de manière linéaire (il y a compensation thermique)
- Les rythmes circadiens sont
entrainés par des zeitgebers environnementaux
C’est une liste
particulièrement intéressante parce qu’elle est pour l’instant à l’épreuve du temps, bien
que de nombreux chercheurs s'échinent à briser l’une ou l’autre règle empirique.
À partir de la découverte des rythmes endogènes et des concepts de synchroniseurs, les
recherches en chronobiologie animale sont parties dans différentes directions.
Certains physiologistes voulaient par exemple découvrir où se trouvait ce fameux
oscillateur central. Le protocole est on ne peut plus simple: tu bousilles un organe et tu
vois si le cycle est maintenu en libre cours. Si tu peux, après lésion, greffer un organe
provenant d’un animal sain et observer si le rythme varie, c’est bonnard! Bien sûr, je
caricature et simplifie la grande variété de protocoles mis en place pour identifier ces
organes… Ces organes, on les appellera les organes ou système pacemakers (ce qui
signifie en anglais ‘faiseur d’allure’ et non ce que j'eus cru étant petit ‘faiseur de
paix’... ce qui avait toutefois un sens d’un point de vue médical…)
Par exemple, si vous réalisez chez un moineau une ablation d’une petite glande du cerveau
qui se nomme la glande pinéale (appelée aussi épiphyse) et que vous placez le piaf dans
des conditions de libre cours, son activité locomotrice devient totalement arythmique: on
est incapable de retrouver une période d’activité claire comme on peut en observer chez un
moineau normal: en gros, il fait n’importe quoi, se couche à pas d’heure, un moineau-ado
quoi!
Chez
les mammifères, l’organe qui, lésé, entraîne l'arythmie, porte un nom à coucher dehors: ce
sont les noyaux suprachiasmatiques
(NSC en français), deux petites boules de 10000 neurones chacune et située dans
l’hypothalamus.
Cette fois-ci
vous chopez un hamster, vous réalisez une ablation de ses NSC, et, en obscurité ou lumière
constante, le hamster fera rouler sa roue n’importe quand… Mieux: maintenant, chopez un
deuxième hamster (un fœtus, c’est plus pratique), prélevez ses NSC et greffez-les à celui à
qui vous les aviez ôtées: comme par magie, le hamster greffé retrouve un rythme endogène.
Encore plus magique: ce rythme endogène correspond à celui qui était exercé chez le donneur
et non le receveur!
Chez d’autres bestioles, les pacemakers ont été trouvés encore ailleurs:
dans les lobes optiques des insectes ou encore dans les yeux des mollusques. Le fait que
ces structures soient composées de cellules
photoréceptrices semblait idéal pour réguler le rythme endogène. Du coup des chercheurs
se sont demandé comment les pacemakers des vertébrés étaient connectés avec des
structures photoréceptrices. C’est là que l’histoire devient franchement chelou, car on a
trouvé des photorécepteurs dans la plupart de ces structures qui sont parfois logées bien
profondément dans le cerveau. Prenez la glande pinéale par exemple: non seulement elle est
bardée de cellules photoréceptrices chez presque tous les vertébrés (sauf chez les
mammifères à ce qu’on sache), mais chez la plupart des espèces de vertébrés, on la trouve
associée avec un organe entier photorécepteur. Chez la plupart des poissons et chez les lamproies on parle
d’organe parapinéal, chez les amphibiens on parle d’organe frontal et chez la plupart des
lézards, on cause d’organe pariétal.
Mais
quand je dis organe photorécepteur, faut carrément comprendre une structure capable de
capter la lumière, de transmettre ce signal à des neurones qui vont relayer le message au
reste du cerveau. Moi quand j’entends cette description, ça me fait penser à un œil. Ben,
c’est exactement ça en fait: la plupart de ces animaux possèdent un 3ème œil.
Alors certes, dans la majorité des cas, il n’a pas la tronche d’un véritable œil
(notamment parce qu’il s’agit d’une structure qui régresse au cours du développement), mais
si vous prenez un lézard Sphénodontien, la ressemblance reste assez frappante: l’organe
pariétal, ou devrais-je dire l’œil pariétal, possède un cristallin, une cornée, une rétine
à photorécepteurs de type bâtonnet…
Bref, c’est un œil en haut du crâne et puis voilà quoi! Vu que cette structure semble
partagée largement parmi les lignées des vertébrés et qu’on retrouve l’orbite d’un
troisième œil dans la plupart des crânes des premiers crâniates (les vertébrés possédant
une boite crânienne), il semblerait que l’évolution, se foutant bien de notre gueule, ait
supprimé l’option œil sur le capot à la livraison des mammifères.
Qu’à cela ne tienne: on a nos NSC, nous! Ben, en fait, tous les vertébrés ont des NSC
aussi, bardés de photorécepteurs chez les poissons par exemple. De récentes études ont même
montré que les SNC des têtards de poissons, bien que logés au milieu du cerveau, étaient
sensibles à la lumière et contrôlaient des comportements phototactiques (c’est à dire qu’ils se
mettent à nageouiller en absence de lumière).
A partir du moment où les centres pacemaker de ces
organismes commençaient à être décrits anatomiquement, certains chercheurs se sont mis en
chasse de leur fonctionnement. Paradoxalement, l’un des facteurs prédominants du
fonctionnement de la glande pinéale, la mélatonine, avait été découverte
bien plus tôt par des chercheurs qui voulaient trouver un moyen d’éclaircir la peau… En
effet, en 1917, Carey Pratt McCord et Floyd P. Allen découvrent que des extraits de glande
pinéale de vache éclaircissent la peau de têtards. En 1958, suivant ces expériences, Aaron
B. Lerner décide de découvrir l’agent éclaircissant pour traiter des maladies
dermatologiques et il est le premier à isoler cette hormone qu’il appelle mélatonine (méla:
de mélanine,
tonine: de sérotonine). Cette hormone n’a en fait aucune action sur la
pigmentation et on s’apercevra plus tard que l’accumulation des pigments chez les
amphibiens suit en réalité un rythme circadien contrôlé par la mélatonine… Cette variation
circadienne de la pigmentation est un phénomène qu’on retrouve chez pas mal de bestioles,
que ce soit chez les poissons…
… ou encore chez des crustacés marins…
La glande pinéale est donc responsable de la synthèse de la mélatonine mais cette sécrétion n’est pas continue, elle est uniquement nocturne et suit donc un rythme circadien. On peut d’ailleurs observer le rythme circadien de la production de mélatonine même si on isole la glande pinéale du reste de l’organisme. Très pratique quand on veut en apprendre plus sur les mécanismes à l’origine de l’horloge circadienne. Pendant quelques temps, c’était la direction privilégiée des recherches en chronobiologie et la mélatonine semblait être la molécule miracle à l’origine de tous les rythmes… Mais à son habitude, la génétique a foutu le souk…
Tout commence par les travaux d’un botaniste, Erwin BünningErwin Bünning, qui s’amuse à croiser des plants d’haricots d’Espagne possédant des périodes de rythmes endogènes différents. En effet, dans la même espèce, certains individus présentaient des mouvements de feuilles héliotropiques avec une période de 23 heures, et d’autres de 26h. Bünning se demandait si cela était dû à des caractéristiques génétiques simples et à commencé à établir des lignées de haricots à période stable en les autopollinisant (pratique!). Une fois les lignées établies, il a commencé à les croiser et remarqué que la période des haricots croisés correspondait à la moyenne des périodes des parents: la chasse aux gènes circadiens était ouverte!
Tout bon généticien vous le dira, le moyen le plus
facile de trouver la fonction d’un gène, c’est de trouver des mutants pour ce gène. Ceux-ci
ont été découverts dans les années 70, chez un champignon (Neurospora crassa) et
des mouches du vinaigres (Drosophila
melanogaster). Chez la drosophile, ce furent 3 mutants pour le prix d’un: les
mutants exhibaient 3 types de perturbations circadiennes à deux niveaux physiologique: le
moment de l’éclosion, et l’activité locomotrice. Une souche mutante était arythmique, une
autre avec une période de 19 heures et la 3e avec une période de 28 heures. Et pourtant, il
s’agissait de 3 mutations d’un même gène, qui fut appelé period. Chez le champignon, le gène
isolé fut appelé Frequency… Les biologistes sont parfois hyper imaginatifs… Chez les mammifères, la
quête fut plus longue et il faudra attendre 1988 pour qu’un hamster mutant à l’horloge
circadienne cassée soit caractérisé. Le gène sous-jacent fut nommé Tau… Tau comme le
symbole de la période, l’inverse de la fréquence, bref, le running-gag de chronobiologiste
le plus long du monde… Avec les avancées technologiques en matière de biologie moléculaire,
le réseau génétique circadien fut disséqué assez rapidement. Très vite, on se rendit
compte, chez les animaux en tout cas, que la plupart des gènes circadiens étaient
homologues entre les différentes lignées, c’est à dire hérité d’un ancêtre commun d’entre
la mouche, l’humain, le rat, les mollusques, les vers marins, etc.
Eh ouais, ça
veut bien dire que nous aussi on a des gènes circadiens et d’ailleurs, chez certaines
familles, il existe des syndromes héréditaires de décalage de phase de sommeil: de
véritables mutants du cycle circadien (ils n’ont pas été embauchés par le Pr. Xavier par contre…)
Très vite, les chronobiologistes moléculaires ont découvert que ces gènes
circadiens avaient une activité cyclique: ces gènes sont transcrits en ARN, mais la
transcription n’est pas continue au fil du temps et fluctue. Et ces fluctuations, vous
l’aurez deviné, ont une période proche de grosso-modo 24h…
Du coup, certains ont commencé à construire des modèles pour expliquer cette activité
cyclique. Le modèle le plus simple est appelé boucle auto-régulatrice négative de la
transcription/traduction (oui, c’est paradoxal d’être le modèle le plus simple quand on
porte un nom pareil…) Le modèle s’applique chez les eucaryotes (les organismes dont les
cellules portent un noyau) et part de la transcription d’un
gène circadien, successivement traduit en protéine.
Seulement la protéine a pour action de perturber la transcription de son gène d’origine. La
transcription est donc progressivement inhibée, mais la protéine, qui a une durée de vie
limitée commence à se dégrader, levant l’inhibition et entrainant le début d’un nouveau
cycle:
Bien sûr ce modèle est über simple et de nombreux labos travaillent d’arrache-gène pour
obtenir un modèle qui colle le mieux à la réalité. Cette approche génétique, je vous
l’avais confié, avait foutu le souk dans le travail précédent des physiologistes. Pourquoi?
Et bien parce qu’on retrouve l’expression cyclique des gènes circadiens dans presque toutes
les cellules du corps. Certes, il y a des endroits privilégiés, comme nos fameux
oscillateurs centraux, mais la présence de mini-horloges cellulaires partout a quand même
sérieusement réfréné les ardeurs des physiologistes. Et puis, d’autre part, de nombreux
organismes unicellulaires semblent utiliser ce système sans besoin de grand complexe de
neurones et d’hormones pour pouvoir suivre les rythmes des journées. On peut même observer
des rythmes circadiens chez des lignées de cellules humaines, cultivées en laboratoire!
Mais bon, Karma’s a bitch: les partisans du tout génétique allaient vite fait
se prendre une belle mandale dans la gueule. En effet, parallèlement à la course aux gènes
circadiens, certains chercheurs claironnaient haut et fort des résultats allant
complètement à l’encontre du modèle de la boucle auto-régulatrice négative de la
transcription/traduction. Par exemple, certaines équipes ont mis en évidence des rythmes
circadiens de diverses fonctions cellulaires… de globules rouges humains. Sachant
que les globules rouges n’ont pas de noyau, donc pas d’ADN, donc pas de matériel génétique…
Ça la fout un peu mal pour le modèle. Et puis rapidement, on a trouvé des systèmes
circadiens chez des organismes procaryotes (sans noyau). Certes, ces
organismes possèdent un matériel génétique, mais si on bloque, avec des produits chimiques,
la transcription et la traduction, les fonctions circadiennes continuent quand même. Chez
un de ces procaryote, la cyanobactérie Synechococcus elongatus, le
système circadien non-génétique a été disséqué et implique 3 protéines (KaiA, KaiB et KaiC)
et une source d’énergie chimique (le fameux Adénosine Tri Phosphate ou ATP).
Mieux encore, ces chercheurs, en isolant ces 3 protéines à partir de la
cyanobactérie, ont réussi à reproduire un cycle circadien dans un tube à essai. Tout ce
qu’il suffit de faire, c’est de rajouter de l’ATP en abondance dans la solution!
Qu’est-ce que ça implique sur les rythmes circadiens chez les cyanobactéries, chez les champignons, les plantes, les animaux? Ben franchement on est encore loin de tout comprendre. Ce que ces résultats suggèrent, c’est que l’on possède des horloges circadiennes de différents âges. Certaines sont très vieilles, comme cette horloge moléculaire qu’on retrouve dans les cyanobactéries et qui peut être est la même agissant dans nos globules rouges. D’autres sont juste un poil moins anciennes et se retrouvent dans toutes nos cellules, et puis d’autres ont accompagnées l’émergence des organismes à plusieurs cellules. A travers la quête de nos horloges biologiques, on se retrouve à creuser les strates de notre histoire évolutive, mettant une énième fois en évidence le fait que tous les êtres vivants sont liés par des liens de parenté. Mais ici, en toile de fond, une dimension nouvelle se dégage. Ce rythme latent, ce rythme qu’on cherche dans tout ce qui vit, c’est le rythme des milles milliards de levers et couchers de soleil qui se sont succédés à la surface de notre planète. Cette quête du rythme, c’est l’une des rares occasions que la biologie peut trouver pour toucher du doigt les rythmes de notre immense univers.
Liens:
Article Bibnum sur De Mairan
Références:
De Mairan, J. J. d'Ortous. Observation
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Duhamel Du
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