Bonnet d’âne pour les adolescents français ? Le classement des pays de
l’OCDE en matière éducative semble donner une piètre image de la France. Et pourtant, si les inégalités sociales continuent à croître (comme dans tous les autres domaines, en temps de
crise), la France n’a pas à rougir de ses performances intellectuelles.
Comme "prévu" depuis plusieurs jours, la France se retrouve en très mauvaise
place dans le classement PISA réalisé par l’OCDE à partir d’une étude qui évalue le niveau de
connaissances des adolescents de 15 ans. PISA signifie : Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
Bien que CNN avait connaissance du classement dès le 1er décembre 2013, c’est deux jours plus tard
que les médias français ont eu l’information.
Il est toujours très difficile pour la France d’accueillir des classements internationaux (c’est aussi le cas
pour les meilleures universités du monde avec pour critère la notoriété des travaux de recherche) car elle est restée dans sa tradition arc-boutée sur son principe d’égalité de tous les élèves
devant l’école. Égalité théorique.
Je me souviens qu’il était même interdit de faire des classements trimestriels dans les classes, savoir qui
étaient les meilleurs élèves de la classe. Mais cette interdiction n’empêchait nullement lesdits élèves de le faire eux-mêmes en collectant les différentes moyennes générales. Quoi de plus
motivant, pour un élève classé deuxième de travailler encore plus dur pour atteindre la première place le trimestre suivant ? C’est la saine émulation des compétitions où l’enjeu est
peut-être narcissique mais néanmoins moteur.
Dès la veille de la publication (le 2 décembre), le Ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon dramatisait lourdement ces résultats "inacceptables" et en profitait pour vendre sa "refondation de l’école"
dont on se demande vraiment à quoi cela peut correspondre sinon à ce changement des rythmes scolaires qui place les municipalités, le personnel enseignant et les parents d’élèves dans la plus
grande perplexité. Pas sûr que les occupations périscolaires soient à même de redresser le tir d’ici trois ans. Le gouvernement semble s’être trompé sur les priorités. Cela dit, Vincent Peillon
annoncera une nouvelle série de mesures pour "refonder l’école" le 12 décembre 2013 ; nous verrons bien ce qu’il proposera.
D’après les informations parcellaires qui ont été mises en avant dans le "service après-vente" du classement,
la France pêcherait justement par son manque d’égalité. L’un des premiers marchés des cours particuliers, le pays laisserait à l’abandon les élèves les moins privilégiés de ses classes.
Les meilleurs élèves seraient toutefois encore meilleurs par rapport aux autres pays que dans la précédente
étude publiée il y a trois ans.
En mathématiques, la France se situe ainsi à la 18e place sur les 34 pays membres de l’OCDE, mais
à la 13e place pour les élèves issus de milieux favorisés et à la 33e place pour ceux issus de milieux défavorisés. L’écart est immense (la fracture sociale ?).
Pourtant, il n’y a pas de fatalité à une sorte d’aristocratie intellectuelle ; une récente étude avait conclu par exemple que seulement 5% des élèves de l’ENA avaient des parents issus de la
haute fonction publique.
Évidemment, il faut savoir raison garder et prendre un peu de recul.
Déjà, parce que la France n’est pas en si mauvaise place dans l’excellence intellectuelle. La France est par
exemple classée première ex-æquo avec les États-Unis pour la Médaille Field (la plus prestigieuse distinction pour les mathématiques, délivrée seulement tous les quatre ans à des chercheurs de
moins de 40 ans), avec 11 lauréats. Parmi les derniers lauréats de 2010, il y a deux Français, Cédric
Villani et Ngô Bao Châu (ainsi que Wendelin Werner en 2006 et Laurent Lafforgue en 2002). Depuis 1994, il y a toujours eu un Français parmi les lauréats à chaque attribution.
Pour le Prix Nobel de Physique, la France est classée quatrième (13 lauréats dont Serge Haroche en 2012 et
Albert Fert en 2007) derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Pour le Prix Nobel de
Chimie, en quatrième position aussi (8 lauréats dont Yves Chauvin en 2005) derrière les mêmes pays, tout comme pour le Prix Nobel de Médecine (13 lauréats dont Jules Hoffmann en 2011, Luc Montagnier et
Françoise Barré-Sinoussi en 2008). Quant au Prix Nobel de Littérature, la France est classée première, avec 14 lauréats (dont Jean-Marie Le Clézio en 2008 et Gao Xingjian en 2000), devant les trois autres pays du peloton de tête.
Il faut ensuite relativiser, parce que le classement PISA se fait avec une fenêtre d’indétermination de 10
places (erreur de plus ou moins 5 places !), c’est dire si l’étude est précise et si les changements dans le classement d’une étude à l’autre sont significatifs.
Enfin, parce que la France est comparée à des pays asiatiques dont les Français refuseraient nettement le
système éducatif hyper-élitiste, en particulier en Corée du Sud et en Chine (en tête du classement). Certains élèves travaillent 50 heures par semaine, avec des cours très tard en début de nuit,
et sont poussés psychologiquement pour préparer les concours et les examens afin d’atteindre les plus hauts niveaux. Dans ces pays, on est loin du débat un peu dérisoire des rythmes scolaires (le
pendant éducatif des 35 heures ?).
Pour autant, la situation française n’est évidemment pas satisfaisante, surtout parce que l’étude pointe du
doigt la grande disparité entre les élèves les plus favorisés et les élèves les moins favorisés socialement.
Ce qui semblait rarement commenté, pour analyser le classement PISA, c’est la grande différence d’atmosphère
au sein même des classes selon les pays : lorsqu’un enseignant est obligé de passer 50% de son temps à faire la police pour obtenir un peu de discipline, il est sûr qu’il y a perte de
capacité dans l’acquisition des connaissances. De même, lorsqu’on réduit le nombre total d’heures de cours dans une année, on ne s’étonnera pas que les programmes (bien que sans cesse allégés) ne
soient pas achevés à la fin de l’année.
Au lieu de s’agiter assez inefficacement avec ce classement, les ministres du gouvernement de
Jean-Marc Ayrault feraient mieux d’abord de ne pas continuer à détricoter le lien social et notamment, de ne pas supprimer des initiatives
socialement heureuses, comme les internats d’excellence.
Lors de sa campagne présidentielle, le Président François
Hollande avait placé la jeunesse comme priorité de son quinquennat. Visiblement, comme pour sa lutte contre le chômage, les mots ne paient
plus…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (4 décembre
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Vincent Peillon.
Les internats d’excellence.
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/pisa-on-se-calme-144622