Je vais aborder dans ce billet un sujet extrêmement technique et je demanderais à tout lecteur potentiel qui aurait des éclaircissements à nous apporter de le faire, car nous sommes tous intéressés par ce problème, les citoyens lambda, les élus locaux, les responsables nationaux de l’aménagement du territoire comme ceux de la ville, les investisseurs nationaux et étrangers.
Le Maroc a célébré cette année le centenaire du dahir du 13 Août 1913 sur l’immatriculation foncière et des commémorations sont organisées en grande pompe par l’Agence nationale de conservation foncière, du cadastre et de la cartographie
Le texte de 1913 a permis de mettre sur pied un régime foncier moderne, clair et efficace. Le professeur Ducroux, qui était le spécialiste incontesté de matière affirmait avec son sérieux légendaire, doublé d’une pointe de bégaiement : “Le régime de l’immatriculation foncière est clair comme le ciel bleu de Marakech au printemps”.
En effet, et sans entrer dans des détails techniques rébarbatifs, que l’on peut trouver dans n’importe manuel de droit foncier, on peut dire que le code de 1913 a tenté de mettre de l’ordre dans un domaine où régnait une confusion certaine.
Le régime établi par le dahir de 1913 visait à “individualiser la propriété immobilière en la déterminant physiquement et juridiquement , avec une connaissance précise de la propriété et du propriétaire”.
Puisant sa source dans le REAL PROPRIETY ACT australien, le code foncier marocain de 1913 s’articule autour de quelques axes simples et efficaces. Il est basé sur le système de l’inscription des propriété sur un LIVRE FONCIER une fois la procédure bouclée et le report sur ce livre foncier de toutes les modifications concernant la propriété.
Je rappelle ici – sans prétention et sous toutes réserves – quelques règles qui régissent ce système :
- la publicité : le public doit être au courant de tout ce qui concerne les immeubles immatriculés.
- l’effet de purge : tout droit réel non révélé durant la procédure d’immatriculation est sans effet.
- l’indivialisation de l’immeuble : chaque immeuble immatriculé porte un numéro, un nom et un plan qui se situe exactement selon des procédures topographiques scientifiques.
- le caractère définitif et inattaquable du titre foncier établi après la procédure d’immatriculation.
- l’effet légal et la force probante du titre foncier.
- la nécessaire continuité dans la chaine des inscriptions sur le livre foncier : chaque nouveau droit acquis doit être détenu par la personne précédemment inscrite.
Bien, tout cela est très bien!
Cela a fonctionné pendant des décennie, permettant certes dans la zone Sud du Royaume aux colons français de s’approprier des terres en toute sécurité et aux étrangers installées dans la zone de Tanger d’acquérir sans souci terrains à construire et immeubles.
La zone Nord qui ne suivait pas ce régime a continué à être régie du point du vue immobilier par le cadre “khalifien” inspirée de la loi espagnole et présentait énormément de lacunes.
Après l’indépendance, les marocains dans leur ensemble ont bénéficié de ce régime qui restait il ne faut pas l’oublier non obligatoire. Une partie non négligeable des affaires immobilières restait du ressort de droit musulman ou des coutumes locales.
Qu’en est-il en fait un siècle après la promulgation de ce dahir “miracle” qui a été largement modifié par la loi n° 14-07 promulguée par le dahir n° 1-11-177 du 25 hija 1432 (22 novembre2011) dans le sens d’un allègement des procédures.
On connait l’impact du foncier sur la vie économique d’un pays, aussi bien en zone agricole qu’un zone urbaine ou en zone industrielle.
Le foncier conditionne l’investissement si la confiance est assurée et si le droit de propriété est garanti.
Or il se trouve que depuis des années, dans la plupart des villes du royaume, on entend parler de scandales concernant les propriétés appartenant à des étrangers ayant quitté le territoire marocain et qui qui ont fait l’objet de transactions frauduleuses, ayant fini par être transcrites sur les livres fonciers. Obtenant ainsi effet légal et force probante irréfragable!
De nombreux biens immobiliers appartenant à des juifs ayant choisi l’exil en Israël ou ailleurs ont connu également le même sort.
On connait la fabuleuse donation immobilière qu’avait le comte de Tovar avait légué à la ville de Tanger. Il semble que la municipalité n’en ait recueilli que des bribes, le reste ayant été “détourné” et finalement inscrit sur les livres fonciers de la ville du Détroit.
Les affaires concernant les biens relevant du patrimoine privé de l’état ou des communes sont nombreuses et alimentent les chroniques régulières de la presse.
Beaucoup de nos compatriotes, voulant accéder à la propriété immobilière auprès d’organismes ou d’établissements spécialisés, se sont heurtés aux pires difficultés pour obtenir leur titre foncier parce que terrain sur lequel étaient construits les immeubles mis en vente était encore en litige.
Si l’on se rappelle les cours du professeur Paul Decroux qui affirmait que l’immatriculation prouve la propriété”, il faudrait se demander si les acteurs du régime foncier n’ont pas parfois outre passé leurs compétences ou négligé certaines de leurs obligations afin de rendre l’immatriculation possible et donc la propriété incontestable.
Parmi les maillons de la chaîne de la procédure d’immatriculation, il ne faut pas négligé la justice et les agents qui gravitent autour du système judiciaires notamment les notaires.
Il ne faut pas oublier le rôle des “agences urbaines”, créées sous l’ère Basri pour que le Ministre de l’Intérieur assoit sa mainmise sur le secteur foncier, dans le but de le réguler. Mais nous savons tous ce que la régulation produit comme effet dans notre pays.
Peut-on parler du domaine foncier sans aborder la corruption? La question est délicate mais mérite d’être posée.
Ceci dit, cent ans après, le Maroc continue à connaitre plusieurs régimes fonciers, en plus du régime d’immatriculation :
- le melk, c’est à dire la propriété privée personnelle ou indivise qui reste soumis au droit musulman, avec tous les aléas concernant notamment l’établissement des actes par les adouls.
- les terres collectives, c’est à dire les terres de pleine propriété appartenant à une collectivité ethnique concernée dont les membres n’ont qu’un droit de jouissance.
- les biens habous , c’est à dire des biens “immobilisées”, donc inaliénables, constitué par un fondateur musulman, au profit de bénéficiaires désignés par lui.
Alors pourquoi tant de tapage autour d’un problème qui finalement reste figé dans ses difficultés et dans ses contradictions!
Il faudrait plutôt secouer le cocotier, faire tomber les responsables impliqués dans tout ce qui peut nuire à ce secteur essentiel de notre économie et de notre développement et repartir sur des bases nouvelles, saines et transparentes!