Une fois encore, le vocabulaire ne lésine pas. Le dos est la piste d’atterrissage de bien des tourments. En avoir plein le dos, porter le monde sur ses épaules, faire le dos rond, ça me tombe toujours sur le dos, faire le gros dos, avoir le dos large. C’est aussi le terrain d’activité de nombreux conflits : tourner le dos à quelqu’un, se mettre tout le monde à dos, mettre une calamité sur le dos de son voisin, renvoyer deux ennemis dos à dos. N’oublions pas les parasites, ceux qui vivent sur le dos d’un autre ; attention alors à ne pas se mettre cette personne à dos ! On notera une nuance subtile dans les sciences naturelles : lui faire un enfant dans le dos. C’est encore le lieu d’épineux défis, le dos au mur, avancer la mitraillette dans le dos.
Dès mes premières classes ayurvédiques, au centre Kaivalyadhama de Lonavala (Maharashtra), j’ai perçu que l’Ayurveda se préoccupait particulièrement du dos. Dans le but, évidemment, de prévenir ou d’amoindrir douleurs, nœuds, et tensions. Détente garantie !
Les traitements sont fascinants, à la fois très rudimentaires et très sophistiqués. La personne traitée est allongée sur la table de massage, à plat ventre, le dos nu. Avec de la pâte à chapatti, sorte de pâte à pain utilisée comme pâte à modeler, le thérapeute crée une petite piscine circulaire sur la peau, de la taille d’une main, au-dessus des vertèbres cervicales, sur les lombaires ou sur le bassin. Les chapattis sont ces petites galettes très présentes dans l’alimentation du Maharashtra ; imaginez qu’en France, on vous applique sur le bassin de la pâte à pain : même les boulangers ne le font pas. L’Inde ayurvédique raffole de ces pratiques ancestrales.
Dans ces petites piscines circulaires, à l’aide d’une pipette, le thérapeute verse de l’huile de sésame très chaude. Pour nourrir les tissus, les fortifier et surtout équilibrer les énergies. Le thérapeute attend quelques minutes. Puis, avec la même pipette, vide la piscine, et la remplit à nouveau d’huile très chaude. Il renouvelle l’opération quatre ou cinq fois. Bien entendu, le bienfait est instantané.
Le chouchoutage de dos ne fait pas seulement appel à la pâte à chapatti. Dans des soins différents, on vous masse le dos avec des poches de riz au lait chaud, ou des feuillages de nirgouli bouillis dans l’huile de sésame. Parfois même, un bâtonnet d’or pur chauffé à blanc est appliqué sur une tension pour en venir à bout, car l’or stimule les nerfs et ravive les fonctions. Evidemment, un cataplasme d’huile chaude est ensuite apposé sur la peau, de façon à calmer la brûlure. J’ai même vu un traitement du dos avec des sangsues vivantes qui buvaient (en se délectant) le mauvais sang, le dos étant le réceptacle de bien des inquiétudes.
Au vrai, au-delà du riz au lait, du bâton d’or et des animaux suceurs de sang, les soins du dos sont beaucoup plus sophistiqués qu’ils n’en ont l’air. On notera d’abord que tous les soins dorsaux se font, comme il se doit, sous contrôle des médecins, qui ne définissent les traitements qu’après un examen précis. Les douleurs provenant du cou ou du bassin sont assez communes, tandis que les douleurs au milieu du dos sont plus rares et relèvent du domaine des émotions.
D’un point de vue ayurvédique, l’un de mes professeurs d’Ayurveda, le Docteur Bhutada, résume ainsi les soins du dos : « Les problèmes du cou correspondent à un désordre de l’énergie Pitta, tandis que le bas du dos relèvent plus de l’énergie Vata. »
LE HAUT DU DOS
Les douleurs présentes dans le haut du dos, du torticolis aux épaules tendues en passant par les omoplates ultra-sensibles, sont liées à l’estomac et au duodénum, et sont la conséquence de problèmes d’acidité dans le corps. Ils nécessitent le plus souvent une réduction de Pitta. Si un déséquilibre survient dans votre vie professionnelle ou votre vie de famille, des tensions dans le cou se développeront très rapidement. Il convient alors de relaxer la personne à traiter, de l’aider à restaurer sa confiance en soi. Puis le thérapeute procède à un traitement appelé Nasya, décontractant de la sphère ORL, avec massage facial au ghee, huile chaude dans les narines, bain de vapeur, gargarisme, inspiration de tarmaric grillé. « Ce traitement, explique Jagdish Bhutada, équilibre Pitta. Le cou sera ainsi très détendu. Puis on procède à un massage local de la nuque et des épaules avec de l’huile de moutarde, et s’il le faut des applications de pâtes herbeuses ou d’argile, ou un bain d’huile chaude dans la « piscine de chapattis. » Comme il se doit en Ayurveda, une discussion avec le praticien permet d’équilibrer l’alimentation ou le mode de vie de la personne à traiter : « Même si la douleur est ressentie au cou, explique Bhutada, il faut toujours savoir quelle en est l’origine, c’est ça qu’il faut traiter en priorité. »
LE BAS DU DOS
Dans le bassin existe une énergie bien connue des yogi et des praticiens ayurvédiques, c’est le Kundalini, « comparable à un serpent qui s’étire du bassin vers le haut du corps. C’est la raison pour laquelle tous les massages dorsaux ayurvédiques vont du bas vers le haut. »
Les excès de stress ou les idées noires provoquent une perte de stabilité et un phénomène de dépression. Là commence le mal de dos. Le Kundalini se déchaine en plusieurs vagues, perturbant les intestins, les reins, la rate, pour finir par indisposer le bassin. Beaucoup de poids se développe sur l’abdomen, provoquant gaz et problèmes digestifs, qui vont souvent de pair avec les douleurs du bassin : c’est alors qu’on en a « plein le dos » ! Les traitements sont comparables à ceux utilisés pour contrer les dépressions. « Il faut redonner de l’énergie ! » affirme le Docteur Bhutada. Ici interviennent les bains d’huile chaude dans la pâte à chapattis, les vigoureux massages locaux, et si possible les lavements à l’huile de sésame, très présents dans le Panchakarma, sorte de purification saisonnière détoxifiante. Les médecins ayurvédiques assurent également qu’il faut travailler sur l’âme, ce que l’on maitrise si bien en Orient. Au bout de quelques jours, les douleurs disparaitront.
AVEC LES PIEDS AUSSI
J’ai gardé pour la fine bouche les massages du dos (et du corps) effectués dans le Kerala… avec les pieds ! Vous avez bien lu ! Non, le thérapeute ne vous piétine pas sauvagement, au contraire ! Pour avoir reçu ce soin et y avoir assisté à multiples reprises, je vous assure qu’il s’agit de l’un des meilleurs massages du monde, les plus profonds et les plus efficaces. Ces massages sont assurés avec douceur par un thérapeute pieds nus (bien sûr) accroché à deux cordes. « Avec les pieds, on a plus de force ! » explique Krisnadas, l’un des Gurudji de Vallabhatta, une famille qui exerce à Chavakkad depuis huit générations. Le village entier vient se faire soigner le dos chez ces spécialistes, qui, en occident, seraient à la fois médecins, masseurs-kinésithérapeutes, et ostéopathes. Mon dos à moi, passé entre ces expertes mains, a rajeuni de dix ans au moins.
UN PEU DE YOGA
Les vertus thérapeutiques du Yoga, cousin germain de l’Ayurveda, sont multiples. Elles contribuent bien évidement à limiter les douleurs dorsales. Brahmdatt Sharma, professeur de Yoga à Delhi, recommande plusieurs postures pour détendre le dos. « Toutes les postures peuvent être bonnes pour le dos, explique-t-il, mais certaines le sont tout spécialement. Les torsions vertébrales, quand on est allongé sur le dos, les genoux tournés d’un côté et la tête de l’autre, débloquent le bas du dos et massent les intestins. La Posture de l’Enfant, en position fœtale, à genoux, front au sol, fesses sur les talons, les bras en arrière, détendant énormément le dos. De même que le regroupement des genoux sur l’abdomen, la tête redressée, comme si le menton voulait toucher les genoux. Toujours chauffer les muscles, et travailler sa respiration en profondeur. »
Voilà qui nous amène très naturellement vers le Pranayama (Yoga respiratoire) et vers la méditation, qui feront l’objet de prochaines notes sur ce site.
Eric BHAT
Ayurveda et réflexologie