Il n'y a pas que chez PointLignePlan ou chez les tenants du « cinem-art contemporain » (par exemple, Akerman ou Apichatpong que l’on adore pourtant ici) que l’on voit surgir les images « produites à la jonction du cinéma et des arts plastiques », mais bien parfois aussi dans les recoins du cinéma d’exploitation le plus premier degré qui soit.
Deux exemples avec ce que l’on pourrait appeler d’une part un « film d’artiste », d’autre part un « film sur les mystères de la création ».
UN FILM D’ARTISTE
Comme mise en bouche, ce magnifique générique de Saul Bass pour Grand Prix (John Frankenheimer 1966).
Quatre minutes dont il y a fort à parier qu’elles valent bien mieux que les 175 qui vont suivre (trois heures, quand même !). Ce qui frappe ici, c’est comment Saul Bass fait se rencontrer son art habituel de la géométrie, des camaïeux et des papiers découpés (visible au hasard parmi tous ceux-là)…avec une esthétique machiniste et quasi constructiviste, plus d’ordinaire exploitée par Dziga Vertov.
UN FILM SUR LE MYSTERE DE LA CREATION
Il use des gestes et des postures du photographe (le flash, la lumière, le développement, la révélation), du graveur (le grattage au millimètre), du peintre (l’action painting) voire du sculpteur (le malaxage de la pâte verte), de l’imprimeur, du sérigraphe et même du styliste (un dernier lavage en machine qui donnera à sa production la même patine qu’un jean délavé d’Hedi Slimane). Ce pourrait être un artiste total et ce n’est…..
…. que le faux monnayeur de To live and die in LA – Police Fédérale Los Angeles (William Friedkin 1985). Dans cette séquence (comme dans la précédente d’ailleurs), l’évidente ombre portée de Warhol. A un certain poujadisme qui voit dans la figure de l’artiste contemporain, celle d’un escroc intellectuel, cette séquence leur renvoie ironiquement la pareille en affirmant que celui qui possède la souveraine maîtrise des gestes de la création aujourd’hui, ce n’est autre que le truand. A ce propos, le patronyme de Willem Dafoe dans le film ne laisse aucun doute : Rick Masters. Mais cette séquence n’est pas qu’ironique, puisque quelque part, elle informe d’une certaine réalité de la production d’une partie de l’art aujourd’hui, un art cherchant à concilier l’artisanat et le high-tech, un art qui ne se fabrique plus dans les « ateliers » d’antan, mais (et là encore héritage de « l’atelier usine » de la Factory warholienne) bien davantage au sein d’équipes organisées dans des « agences » si ce n’est carrément des bureaux de PME.
Toute dernière ironie de l’histoire. On sait Friedkin assez peu sensible (et c’est un euphémisme) au « cinéma d’auteur » (lui qui brocarda l'admiration de Coppola ou d'Arthur Penn pour Antonioni) et le voici livrant un pur moment de plasticien, non seulement avec cette séquence, mais également avec le film dans son ensemble, sans doute la plus belle application du pop art au cinéma. Il n’y a qu’à voir comment le générique condense la quintessence des années 80, tout en rattachant cette époque à une origine pop et acidulée. De fait, voir là la source de tout Michael Mann est une évidence.