Les comptes en déshérence pistés par l’État vorace

Publié le 04 décembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Les comptes en déshérence pistés par l’État vorace

Publié Par Thibault Doidy de Kerguelen, le 4 décembre 2013 dans Monnaie et finance

Projet de loi sur les comptes inactifs : le groupe socialiste à l’Assemblée nationale remet sur le tapis la question des comptes en déshérence.

Par Thibault Doidy de Kerguelen.

Il existe déjà des lois. En 2005 puis 2007, deux lois ont permis des avancées substantielles dans la recherche des bénéficiaires de contrats d’assurance-vie non-réclamés. Le dispositif AGIRA 2, notamment, permet depuis 2007 aux assureurs de croiser leurs bases clients avec le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), qui recense tous les décès intervenant en France. Ils doivent également, depuis la publication en juillet dernier de la loi de régulation et de séparation des activités bancaires, s’informer chaque année du décès éventuel de leurs clients et publier un bilan de leurs recherches.

Ces lois ne semblent pas avoir complètement réglé le problème. En juillet dernier, un rapport de la Cour des comptes a estimé à 2,76 milliards l’encours des contrats d’assurances-vie non réclamés. Du coup, certaines compagnies devraient être prochainement sanctionnées par l’autorité de régulation pour leur passivité en la matière.

En ce qui concerne les comptes bancaires (comptes courants, livrets d’épargne, comptes à terme, compte-titres, etc), « l’arsenal législatif » est quasi inexistant.

Que contient cette proposition de loi ?

Le renforcement des règles déjà en vigueur pour l’assurance-vie et les étendre aux comptes bancaires inactifs.

Elle commence d’ailleurs, dans son article 1, par définir cette notion de compte inactif. Il s’agit, selon le texte, d’un compte :

  • qui n’a fait l’objet d’aucune opération (hors capitalisation d’intérêts et éventuels prélèvements) pendant douze mois consécutifs,
  • dont le titulaire ne s’est pas manifesté, ni n’a effectué d’opérations sur ce compte et aucun autre dans l’établissement au cours de la même période.

Cette durée de 12 mois est portée à 5 ans pour les comptes-titres, les PEA, les comptes à terme et les livrets d’épargne réglementée (Livret A, LDD, Livret Jeune, Livret d’épargne populaire, épargne logement, etc.).

Un compte devra également être considéré comme inactif si la banque a connaissance du décès du titulaire, mais que les ayants droits ne se sont pas manifestés au cours de l’année suivant ce décès. Pour s’en informer, les établissements de crédit auront l’obligation, comme les assureurs, de croiser chaque année leurs fichiers clients avec le RNIPP, et de publier au même rythme le nombre de comptes inactifs détenus, et leur encours total. La proposition de loi prévoit également dans ce cas un plafonnement des frais pour compte inactif à un montant qui doit être déterminé ultérieurement par un décret en Conseil d’État. Ces frais de tenue de compte sur un compte inactif semblent d’ailleurs assez ubuesques, dans la mesure ou les comptes ne sont pas rémunérés et les sommes déposées « travaillent » pour le compte de la banque dépositaire…

La spoliation légalisée

Après un blabla préliminaire comme savent en écrire les assistants parlementaires qui rappelle le « rôle historique de conservation des dépôts par la Caisse des dépôts et consignations », aussi bien pour l’assurance-vie que pour les comptes bancaires, le texte prévoit qu’au bout de 10 ans sans opération (hors capitalisation d’intérêts et prélèvements de frais) ou sans manifestation du titulaire, ou de 2 ans en cas de décès avéré de ce dernier, la banque aurait, selon le texte, l’obligation de clôturer le compte et de transmettre les fonds à la CDC.

L’institution les conserverait alors 20 ans dans le cas d’absence d’opération ou de manifestation, 28 ans en cas de décès connu. Dans l’intervalle, elle devrait publier périodiquement, « par voie électronique », l’identité des titulaires des comptes en déshérence. Elle garantirait également la valeur du capital qui lui a été confié. Enfin, passé ce délai (soit trente ans après le constat de déshérence), les sommes seraient acquises à l’État, les titulaires ou ayants droits ne pouvant plus les revendiquer.

Sous réserve bien sûr que le texte soit examiné et voté en l’état, l’ensemble de ces dispositions doit entrer en vigueur le 1er janvier 2015. À cette date, les banques et les assureurs auront un an pour transmettre à la CDC ou à l’État, le stock de comptes bancaires en déshérence et d’assurances-vie non réclamées qu’elles conservent encore dans leurs livres. La proposition de loi, toutefois, ne dit rien sur la manière dont l’effectivité de ce transfert sera contrôlé, ni sur les sanctions encourues par les établissements qui y rechigneront.

Ce qui est dingue dans cette affaire, c’est que tout cela pourrait être réglé par le droit courant. S’il y a décès, il y a succession. Si l’assurance-vie peut poser problème par sa nature (désignation d’un bénéficiaire), les autres comptes concernés par cette proposition de loi entrent dans l’actif successoral. Il n’est pas difficile, dès lors, d’obliger les établissements à saisir l’exécuteur de la succession afin de lui faire intégrer les avoirs détenus… Quant à l’assurance vie, une disposition prévoyant l’obligation pour une compagnie d’avertir les ayants droits dès la connaissance du décès. Si ces ayants droits sont introuvables ou refusent le bénéfice, reversement dans l’actif successoral… Mais, bien sûr, ces dispositions, simples, respectueuses du droit des citoyens risqueraient de réduire ce que l’État vorace espère récupérer de cette affaire…


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