Pour défendre les relations privilégiées de
son entreprise avec le Festival international de jazz (FIJM) de Montréal, Alain
Simard, pdg de l'Équipe Spectra, déclarait dans La Presse du 5 août 2011 que «Le Festival de jazz doit
avoir un meilleur marché pour le Métropolis (Équipe Spectra) que quand on le
loue à evenko (Groupe CH)». Et 2 ans plus tard......
Depuis quelques mois les médias parlaient d’une
transaction majeure et imminente dans l’industrie du divertissement au Québec. La presse Affaires annonçait l’acquisition
de l’Équipe Spectra par le Groupe CH. La transaction serait d’une valeur de 35 à 50
millions de dollars.
Le Pdg de L’Équipe Spectra, Alain
Simard avait réagi à l’article deLa Presse Affaires en insistant que « si les
négociations aboutissent, L’Équipe Spectra deviendra une filiale à part entière
du Groupe CH, «au même titre que le Canadien, le Centre Bell ou Evenko». Une
réaction qui confirmait déjà que L’Équipe Spectra était à vendre. Mais ceci n'est plus une rumeur mais une réalité. C'est fait officiellement depuis ce matin, l'Équipe Spectra appartient désormais au Groupe CH trainant dans son sillage sa kyrielle d'OSBL qui nous appartiennent, du moins par principe.
Ce qui m’amène à une question fondamentale. Vu qu’une bonne partie du chiffre d’affaires de l’Équipe Spectra, et donc sa valeur réelle, dépend de ses liens avec la kyrielle de Festivals qu’elle gère, les contrats de gestion et autres contrats de services avec ses festivals font-ils partie du deal? L'argent payé par le Groupe CH à Alain Simard et ses accolytes dépend-il de ces contrats de gestion avec les Festivals? La question est fondamentale car ses festivals sont tous des Organismes sans but lucratif (OSBL) qui, théoriquement sont autonomes, appartiennent à la communauté montréalaise et non à l’Équipe Spectra, et mieux sont par nature invendables.
Cette annonce relance aussi le débat sur certaines pratiques « acceptées » dans le milieu des grands Festivals au Québec ou des promoteurs privées créent des OSBL qu’ils contrôlent, directement ou indirectement, pour aller chercher le plus de subventions possibles, tandis que leur entreprise privée profite des retombées financières des activités générées par ces OBNL à l'aide des subventions publiques. Dans le cas de L’Équipe Spectra, chaque OBNL créé constitue autant d’opportunités d’affaires.
Les retombées économiques des Festivals
Évacuons tout de suite, la question des retombées économiques des grands festivals. Je n’ai aucun doute que ces festivals ont des retombées économiques réelles. Parfois, les méthodes d’évaluation sont discutables mais il est indéniable que le FIJM, par exemple, contribue de façon significative au dynamisme économique et culturel de Montréal.
Je ne m’attarderai pas sur ce point car ce qui m’intéresse, c’est la structure de gouvernance de ces grands Festivals. Vous avez intérêt à lire le billet jusqu’à la fin pour bien comprendre la situation.
Présentons la grande famille Spectra
L’Équipe Spectra
Fondée en janvier 1977 par Alain Simard, André Ménard et Denyse McCann, elle regroupe aujourd'hui une douzaine d'entreprises privées (dont une importante agence de gestion d'artiste). Les administrateurs de l’entreprise sont : Alain Simard, André Ménard, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont.
Les filiales de l’Équipe Spectra sont : Spectel Vidéo, Disques Spectra, Amérimage-Spectra, Amerimage Productions, Les Films Zingaro, Spectra Animation, Sogestalt Télévision, Spectra International Distribution, Spectrum de Montréal, Spectra 5 V film, Spectra Marketing, Agence Spectra Scène.
L’Équipe Spectra gère aussi plusieurs festivals d’envergue et des salons d'instruments de musique :
- Festival international de jazz de Montréal - FrancoFolies de Montréal - Festival Montréal en lumière - Salon des instruments de musique de Montréal (SIMM) - Salon de guitare de Montréal - Grand Prix de Guitare de Montréal - Camp de blues
Le Festival international de Jazz de Montréal (FIJM)
Le FIJM est un organisme sans but lucratif créé en 1981 à l’initiative d’Alain Simard, d’André Ménard et de Denyse McCann. Les administrateurs du FIJM : Alain Simard, André Ménard, Me Francois Boyer, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont, Laurent Saulnier, Claude Gendron, Jacinthe Marleau.
Selon un article de La Presse du 5 août 2011, pour organiser ses trois festivals, Équipe Spectra se verse en cachet 4% du budget du Jazz et de Montréal en lumière, ainsi que 2,5% du budget des FrancoFolies. Il s'agit d'un cachet total de 1,6 million de dollars (1,14 million pour le FIJM, 223 000$ pour les FrancoFolies et 272 000$ pour Montréal en lumière). À ce prix, Spectra fournirait le personnel de direction et de gestion, l'expertise et les frais de bureaux.
Premier constat : En regardant les administrateurs du Groupe Spectra et ceux du FIJM, vous remarquerez que les 2 organisations sont tellement « fusionnées » que même avec un couteau, j’aurai du mal à tracer la frontière entre les deux. Continuons la présentation….Le constat ci-dessus est aussi valable pour les autres festivals gérés par le Groupe Spectra.
Les Francofolies de Montréal de Montréal
Le festival a été fondé en 1989 par Jean-Louis Foulquier, fondateur des Francofolies de La Rochelle, Alain Simard, fondateur (FIJM) et Guy Latraverse.Sa mission est de « promouvoir la chanson d'expression française, de favoriser sa diffusion et de stimuler la circulation des artistes de toute la francophonie[]»
En termes de gouvernance Les Francofolies sont administrées pratiquement par les mêmes personnes que le FIJM provenant en majorité de l’Équipe Spectra : Alain Simard, André Ménard, Me Francois Boyer, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont, Laurent Saulnier, Guy Latraverse.
Montréal en lumière
Le festival Montréal en lumière est un autre événement d’envergure géré par l’Équipe Spectra. Il a été fondé en 2000 de la volonté concertée des milieux touristique et économique montréalais de créer un événement festivalier pour relancer la saison touristique hivernale.
Le conseil d'administration de Montréal en lumière est composé de 15 membres. Outre le président, Alain Simard, et le directeur général, Jacques-André Dupont, il regroupe neuf intervenants montréalais des milieux culturels, du tourisme et des affaires. Quatre représentants de L'Équipe Spectra, maître d'œuvre et concepteur du projet, complètent le conseil : Claude Gendron, Vice-président Finances, L'Équipe Spectra inc, Nathalie Carrière, Vice-présidente – Communications et Publicité, L'Équipe Spectra inc, Michelle Régnier, Vice-présidente – Commandites, L'Équipe Spectra inc., Laurent Saulnier, Vice-président – Programmation et Production, L'Équipe Spectra
La Maison du Festival de jazz
Le complexe est aménagé sur la rue Sainte-Catherine ouest dans l’édifice Blumenthal, voisin de la nouvelle Place des Festivals à Montréal. L’édifice regroupe sous un même toit une salle de spectacle, un bistro, des salles d'exposition, un centre de documentation audiovisuelle et les services liés à la production du Festival International de Jazz de Montréal.
Le gouvernement du Québec, le Gouvernement du Canada et l'Équipe Spectra ont financé le projet évalué à 15 millions de dollars. La Maison a pratiquement les mêmes administrateurs que le FIJM : Alain Simard, André Ménard, Me Francois Boyer, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont, Laurent Saulnier, Claude Gendron, Jacinthe Marleau
Récapitulons l’aspect gouvernance
Organisation
Statut juridique
Présidence
Administrateurs
Équipe Spectra
Compagnie
Alain Simard
Alain Simard, André
Ménard, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont.
Festival de Jazz OSBL Alain Simard Alain Simard, André Ménard, Denyse Mccann, Laurent Saulnier, Claude Gendron, Jacques-André Dupont, Jacinthe Marleau, Me Francois Boyer,
Les
FrancoFolies
OSBL
Alain Simard
Alain Simard, André Ménard, Denyse Mccann, Jacques-André
Dupont, Laurent Saulnier, Guy Latraverse, Me
Francois Boyer
Montréal en
lumière
OSBL
Alain Simard
15 membres dont 5 provenant de
Spectra : Alain Simard, Claude Gendron, Nathalie Carrière, Michelle
Régnier, Laurent
Saulnier
La Maison du
Jazz
OSBL
Alain Simard
Alain
Simard, André Ménard, Denyse Mccann, Jacques-André Dupont, Laurent Saulnier,
Claude Gendron, Jacinthe Marleau , Me Francois
Boyer
Le génie d’Alain Simard ou comment noyauter efficacement des OSBL
Le tableau ci-dessus élaboré à partir du registre des entreprises du Québec démontre bien que la Grande famille Spectra est plus que tricotée serrée, elle est plutôt ficelée serrée. C’est évident qu’il n’y a rien qui peut se passer dans ses « pseudos OSBL » sans la bénédiction du pdg de l’Équipe Spectra.
La gouvernance de l’Équipe Spectra est caractérisée par une stratégie de contrôle systématique des Festivals (OSBL) avec lesquels, elle a des contrats de gestion. Beaucoup d’observateurs ont même l’impression que ces OSBL sont des propriétés de l’Équipe Spectra puisque c’est le même président Alain Simard partout. Même si les administrateurs provenant de l’Équipe Spectra sortaient à chaque fois que les OBNL doivent prendre une décision sur l’octroi d’un contrat ou non à l’Équipe Spectra, ca reste une situation hautement spéciale et fortement douteuse.
Je ne suis pas entrain de dire que ce type de structure organisationnelle est illégal mais nous sommes loin d’une situation de gouvernance éthiquement souhaitable. Nous sommes dans un cas typique d’ «OSBL- passerelles» qui semblent servir essentiellement les intérêts de l’entreprise privée Équipe Spectra en ouvrant grandement une autoroute vers les subventions publiques.
La combinaison "Le Groupe Juste pour rire Inc. et le Festival Juste pour rire" est également bâtie sur un modèle similaire. Pire, de nouveaux entrepreneurs commencent par s’inspirer du modèle car ils ont compris que c’est la voie la plus payante pour faire sa place dans le petit marché du divertissement du Québec. J’en cite, pour preuves, quelques-uns :
- Festival International film Montréal (OSBL) et Zaza production Inc
- Héritage Maritime Candada - Festival du bateau classique et Perspective maritimes inc.
- Festival International du Start up de Montréal (OSBL) et Embrase Inc.
Le Laxisme des bailleurs de fonds publics
Personnellement, je ne comprends pas comment des bailleurs de fonds publics peuvent accepter que les actionnaires d’Équipe Spectra soient en même temps présents sur les Conseils d’administration des OBNL qui leur donnent des contrats. A part les contrats de gestion, il y a tous les contrats de production, de promotion, de location de salles et d’équipements, etc. qui constituent la partie la plus importante des dépenses des Festivals. Je n’ai aucune information sur la part de tous ces contrats qui va aux différentes filiales d’Équipe Spectra mais je serais étonné, jusqu'à preuve du contraire, qu’Équipe Spectra n’obtienne aucun autre contrat à part ceux de gestion. La situation de conflit d’intérêts n’est pas qu’apparente, elle est réelle, évidente et insultante pour les contribuables. Certains diront : ça change quoi si quelques individus seulement profitent de ces lacunes de gouvernance, vu que les Festivals sont bien gérés. C’est à cause de ce genre de situation que le grand public pense que les gens d’affaires ne sont que des roublards, des « fourreurs en règle » parce qu’il y’a réellement anguille sous roche pour des entreprises phares, les plus visibles et les plus connus du monde du divertissement.
Quand on parle de modèle de gouvernance démocratique, nous avons ici l’exemple à ne pas suivre. Le mariage Équipe Spectra et ces festivals est tellement incestueux que mille codes éthiques ne réussiront pas à dissiper des doutes sur autant d’imbrications et de potentielles situations de conflits d’intérêts.
Et puis, les codes d’éthiques valent ce qu’elles valent, ils n’ont pas empêché des supercheries de tout genre à la Ville de Montréal, et les scandales de corruption chez SNC Lavalin. Passage d’Équipe Spectra au Groupe CH avec les mêmes structures ?
Les partenaires institutionnels ont historiquement fermé les yeux sur les situations évidentes d’apparence de conflits d’intérêts de l’Équipe Spectra parce que d’une part, les Festivals sont bien gérés et leurs retombées socio-économiques sont indubitables et d’autre part L’Équipe Spectra représente dans la conscience collective, la réussite d’une entreprise d’ICI, un membre respecté du Québec Inc.
En passant au Groupe CH, Équipe Spectra mérite t-elle de conserver les mêmes faveurs des partenaires publiques et des contribuables? N’est - il pas le temps pour les propriétaires de l’Équipe Spectra, qui viennent de s’en mettre plein les poches grâce à l’historique générosité des bailleurs publics envers les grands Festivals qu’ils géraient, de sortir définitivement des C.A de ces OSBL pour une meilleure gouvernance crédible ? Pourquoi les OSBL ne profiteraient pas de l’occasion pour réviser les contrats de gestion qui passent maintenant dans le portefeuille du Groupe CH ?
Rien n’empêchera le Groupe CH d’aller chercher de futurs contrats de gestion des grands Festivals, mais au moins, les contribuables auront l’espoir que cela s’est fait dans des conditions de libre concurrence exemptes de conflits d’intérêts car pour une fois , ce ne sera pas « M. Simard, président du Festival de Jazz de Montréal qui négocie avec M. Simard, Président du l’Équipe Spectra »
Par ailleurs, qu’est-ce qui garantira que le nouveau propriétaire gardera les mêmes relations consensuelles entre les Festivals majeurs gérés par Équipe Spectra et les autres moyens et petits Festivals de Montréal et du Québec?
Pour finir, je ne dirai pas Non à un classique hivernal du Canadien à la Place des spectacles, avec pour spectacle d'ouverture, une prestation de l'orchestre symphonique de Montréal. Je rêve déjà du vran-vran de la la Symphonie glorieuse en l'honneur de la Sainte flanelle. Vive la convergence libre!