L’annonce de la construction d’un nouveau pont Champlain reliant Montréal à la rive-sud, en enjambant le fleuve et la voie maritime du St-Laurent, est une bonne nouvelle. Le pont existant, construit il y a à peine 50 ans, sera démoli. C’est incompréhensible et scandaleux. Comment accepter qu’une œuvre de génie si importante ait été si mal conçue et bâtie. Quelles en sont les raisons et qui est responsable? Allons-nous simplement laisser passer sans savoir où a été l’erreur ? J’espère que non.
Les études de circulation actuelles du ministère du transport démontrent clairement que l’augmentation exponentielle du nombre d’automobiles a créé une congestion quasi-permanente sur le pont Champlain actuel, et les projections futures ne font qu’empirer le problème. Il est clair depuis longtemps qu’il faut un nouveau pont avec une capacité plus grande et que ce n’est pas seulement les poutres décadentes du pont actuel et les réparations qu’elles exigent qui le rendent désuet mais aussi la congestion automobile croissante qui le rend de jour en jour de plus en plus inaccessible.
Nous voulons un nouveau pont solide et efficace. Nous le voulons beau parce qu’il est l’entrée de Montréal où passent les Américains qui viennent visiter le Québec et l’est du Canada. Le gouvernement canadien a compris et c’est pourquoi, il a choisi, pour ce faire, l’architecte danois Poul Ove Jensen, 76 ans, de réputation internationale en construction de ponts. Ce dernier a été le designer, entre autres, de l’imposant pont Stonecutters à Hong Kong. Il travaillera avec le groupe d’ingénieurs britanniques en construction ARUP, 19e au monde, spécialiste de projets en Partenariat-Privé-Public. Cette firme a réalisé dans les années récentes l’autoroute A30 et le pont sur le canal Beauharnois. Je suis surpris que ces architectes et ingénieurs aient obtenu, sans soumission, le contrat de cet important projet sous le nez des firmes québécoises d’ingénierie qui comptent parmi les plus importantes du monde, dont Lavalin, 9e au monde, Genivar, 16e au monde et le groupe américain Aecom, installé à Montréal, 4e au monde.
Les seuls professionnels canadiens de construction impliqués dans le design du projet, seront les architectes de la firme montréalaise Provencher Roy, qui assistera l’architecte Jensen. Même si une très bonne équipe a été rassemblée et qu’elle a réalisé dans le passé d’importants projets, elle n’est pas la seule au monde capable de rendre de tels services. Cette méthodologie de nomination directe par le fédéral est, de nos temps, surprenante et frise l’inacceptable. Le ministre Lebel la justifie par le manque de temps, le pont devant être terminé pour 2018. Pourtant, le ministre fédéral des Transports Strahl disait en 2011 qu’il fallait remplacer le pont Champlain dans 10 ans. Qu’a fait le gouvernement depuis ? Alors que normalement on cherche à élargir la recherche de solutions possibles en mettant en compétition des bureaux d’études et d’architectes et que l’on sait que cette période est longue pourquoi n’a-t-il pas lancé alors un appel international d’offres ? Le fait que le fédéral ait « by-passé » cette étape importante fait en sorte que les architectes, ingénieurs et constructeurs québécois et canadiens n’auront pas eu l’opportunité de présenter leurs propositions et leurs équipes. Pourquoi ?
Ce qui exige beaucoup de temps dans la construction d’un nouveau pont, c’est la décision gouvernementale, le choix du projet, l’accord du public et les approbations des plans et devis par les organismes de règlements et de surveillance environnementale. Ce ne sera pas le cas pour le nouveau pont Champlain puisque nous sommes tous embarqués dans le même bateau ! On n’a pas le choix ! Tout le monde doit mettre l’épaule à la roue et l’urgence dictera la vitesse du design, des approbations et de la construction.
Quant aux difficultés techniques, elles ne sont pas extraordinaires puisqu’on connait bien le fleuve, le courant d’eau, les exigences de la canalisation du Saint-Laurent, les vents, les glaces, les propriétés du sol et les conditions climatiques et sismiques. Même si le projet est important, ce n’est pas un ouvrage de dimensions exceptionnelles qui soulève de nombreuses difficultés de réalisation, si on le compare à d’autres. La détermination du tracé sera vite faite. Les besoins des municipalités riveraines de la rive-sud sont bien connus et celles-ci seront desservies de façon satisfaisante sans qu’il y ait un fort impact sur leur milieu bâti ou projeté. Les options seront peu nombreuses. Tout ça, pour dire que les conditions locales et les contraintes connues ne seront pas des embûches aux architectes et ingénieurs pour déterminer les caractéristiques définitives du projet et leur permettre de produire rapidement les rapports et esquisses d’une proposition finale.
Le gouvernement du Canada n’est propriétaire au pays que de 5 ponts, soient le Jacques-Cartier, le Champlain, la partie fédérale de l’Honoré-Mercier, l’international de Cornwall et l’international de Sault-Ste-Marie. C’est la raison pour laquelle il défend sa décision de rendre payant le passage sur le nouveau pont Champlain, car il dit vouloir être juste envers les autres provinces qui n’ont pas de telles infrastructures. Oui, le Québec et l’Ontario ont le fleuve, mais l’Ouest a le blé qu’Ottawa finance en partie. Les maires de Montréal et de la Rive-Sud ainsi que la PM Pauline Marois ont réclamé, en unisson, un passage gratuit pour les automobilistes. Ils prétextent qu’un péage sur un pont entraînera le péage sur tous les ponts du fleuve. Je ne crois pas que cet argument soit suffisamment fort pour convaincre le PM Harper puisque le péage sur le nouveau pont de l’autoroute 125 n’a pas entraîné le péage sur tous les ponts de la rive nord. Je crains que la bataille soit perdue d’avance, mais j’encourage les élus à continuer leur campagne de persuasion du PM canadien en utilisant de nouveaux arguments, tel le blé de l’Ouest.
Quant aux estimés de coûts, le ministre Lebel a assuré qu’ils seront respectés. Cela veut dire quoi ? Sur quelle base déterminera-t-il qu’ils le seront ? Si on se fie à l’ordre de grandeur des coûts à ce jour, évalués 3 à 5 milliards, il y aura sûrement des économies car ces chiffres n’ont aucun sens et sont exagérément élevés si on les compare aux coûts de projets similaires dans le monde. Le budget qui fera partie des études préliminaires nous permettra de suivre l’évolution des coûts du projet pour nous assurer qu’ils ne dépasseront pas ceux estimés par les professionnels et acceptés par les ingénieurs du gouvernement.
Le nouveau pont Champlain est un projet d’utilité publique et sa réalisation doit être menée rondement et bien.
Qu’arrivera-t-il du vieux pont Champlain lorsque le nouveau sera ouvert à la circulation? On parle de le démolir. Est-ce une bonne solution ? Nous savons tous que le problème du pont actuel vient des poutres qui sont appuyées sur les piliers profondément ancrés dans le sol du fleuve. Il semble que les piliers soient bon, tout comme la superstructure d’acier au-dessus de la voie maritime. En réalité, si toutes les poutres étaient remplacées, le pont Champlain réparé pourrait être utilisé encore de nombreuses années. Évidemment, si on exécute de tels travaux, le pont sera fermé à la circulation durant une année ou deux. Ce qui est impensable et inacceptable si on n’a pas un nouveau pont. De plus, la capacité-automobile du pont réparé sera toujours insuffisante et le problème de la congestion croissante ne serait pas réglé.
Selon ce qu’on nous dit, le nouveau pont règlera tous les problèmes de circulation pour tous les automobilistes, les camionneurs, le transport en commun. Elle sera fluide. Il sera plus gros, aura plus de voies de circulation dans les deux sens, des voies réservées aux autobus, au covoiturage, une ligne de train léger sur rails dans les deux sens. Tout ça en fera un pont qui coûtera cher.
Mais si on faisait deux ponts. Un pour les automobilistes. Un autre pour le transport en commun, les camions et le métro. Et cela en réparant le pont actuel. Voici un scénario imaginable : On maintient le pont actuel en bonne condition pour la circulation. On bâtit un nouveau pont Champlain plus petit que celui imaginé par le gouvernement et qui sera dédié éventuellement exclusivement aux automobilistes. Une fois terminé et ouvert à la circulation, on ferme le pont existant et on entreprend de le transformer rapidement en un pont dédié éventuellement exclusivement aux autobus, au camionnage et au métro. En remplaçant toutes les poutres et le tablier actuel par de nouveaux éléments qui tiennent compte de la nouvelle utilisation, il deviendra moins large, moins lourd et pourra être assis sur les piliers existants capables de tenir beaucoup plus de poids. Cette transformation pourrait se faire en moins d’un an puisque tout pourra être fabriqué et préparé pour installation pendant la période de construction du nouveau pont.
Je me rappelle le pont Champlain à ses débuts lors de l’expo 67. On y circulait facilement, rapidement. Même le péage manuel ne nous ralentissait pas vraiment. Cinquante ans plus tard, on voit le résultat du « boom » qui a éclaté depuis. Il y a des autos partout. On ne cesse de moderniser les autoroutes, bâtir des ronds points géants, etc.. La Rive sud a explosé. Brassard, Candiac, Laprairie et toutes les autres villes et villages autour ont été développés et on y trouve une quantité inimaginable, depuis quelques années, de maisons de grande qualité, d’édifices à condos, de centres commerciaux, et ça n’arrête pas. On peine même à s’y retrouver. Si le nouveau pont Champlain doit durer 100 ans, comme dit le ministre, que seront la Rive sud et Montréal dans 25, 50 et même 100 ans. Aujourd’hui, par exemple, à Montréal se construisent au moins quatre tours de 40 à 50 étages pour condos au centre-ville. Montréal explose dans toutes les directions.
Il me semble clair qu’ajouter une ou deux voies dans les deux directions pour le pont Champlain ne sera pas suffisant dans 50 ans et encore moins dans 100 ans. La population de la Rive-sud croîtra exceptionnellement rapidement à cause de toutes les familles qui s’y installent.
Un éventuel métro rapide, souterrain et en surface, pourrait permettre aux gens de ce grand territoire d’y circuler rapidement et aussi d’entrer à Montréal. Le métro de Montréal et celui de la Rive-sud pourraient être reliés et le passage serait sur le vieux pont Champlain rénové. Dans un premier temps, une première station reliée au métro de Montréal pourrait être installée à Brassard. Et si on se fie à ce que l’on constate à la station-Longueuil, on comprendra qu’une station-Brassard deviendra très populaire et qu’elle éliminera un très grand nombre d’autos sur le pont nouveau.
Depuis ma jeunesse, j’ai été témoin du développement de Montréal et de ses couronnes nord et sud et c’est pourquoi je pense que le design du nouveau pont Champlain doit tenir compte des études de l’évolution démographique de la région montréalaise et des services à rendre aux citoyens et citoyennes dans le futur.
Claude Dupras