La vision biocentrique : l’hom-mort - NATURE
Interview de Nicole Huybens
Dans la vision biocentrique, la relation homme – nature s’appuie sur une remise en question fondamentale de l’anthropocentrisme.
Nicole HUYBENS : Pour Beauchamp, « Le biocentrisme se caractérise par l’abandon radical de la perspective anthropocentrique, […] où l’être humain apparaît comme l’achèvement de la création ». Dans cette vision, la violence faite à la nature par les techniques et les machines des humains est centrale. La coupure entre l’humain et la nature est maintenue comme dans la vision anthropocentrique, mais il y a inversion du lien de subordination : c’est la nature qui est sacrée ou déifiée. La vision biocentrique est donc un retour de balancier par rapport aux excès et aux effets pervers de la vision anthropocentrique.
Dans une vision biocentrique, toute vie a une valeur inhérente. La vénération et le respect pour la vie est une vertu qui permet de devenir plus responsable face à la nature.
Dans la vision biocentrique, les activités humaines bouleversent l’équilibre et dégradent la nature. Selon cette logique, utiliser la forêt est acceptable seulement pour rencontrer des besoins immédiats locaux, simples et avec des impacts invisibles. La position des biocentriques est inspirée par le mythe de l’âge d’or et de la simplicité primitive. , un temps « sans répression, sans loi, on y pratiquait la bonne foi et la vertu. Il n’y avait pas de juges, ni de navigation, ni de commerce, ni de guerre, ni d’armes. La terre, sans être cultivée, donnait fruits et moissons ».
Les animaux ont une valeur inhérente, indépendamment des intérêts, des besoins ou des usages des humains. Massacrer les animaux pour se nourrir est inacceptable et les consommer est immoral parce qu’ils sont « sujets-d’une-vie ». La chasse est un sport cruel. Les animaux sont des victimes de cette vision du monde qui soutient que « certaines vies ont plus de valeur que d'autre. Les animaux ne sont pas des agents moraux : ils n’ont pas de devoirs. Mais les humains en ont. Les animaux ne peuvent agir d’une façon morale ou non, mais on peut agir sur eux d’une façon morale ou immorale ».
Quelle est la place de l’homme dans la vision biocentrique ?
Nicole HUYBENS : Arne Naess a la conviction qu’il faut traiter les causes des désastres environnementaux et pas seulement leurs conséquences et ainsi passer de l’écologie superficielle (shallow ecology) à l’écologie profonde (deep ecology). Les humains sont responsables des problèmes environnementaux. Ils doivent et peuvent changer. Sa plate-forme de l’écologie profonde comporte huit principes :
- La vie a une valeur intrinsèque indépendante de l’utilité qu’elle peut avoir pour des fins humaines.
- La biodiversité est une valeur en soi.
- Les humains n’ont le droit de réduire cette diversité que pour satisfaire des besoins vitaux.
- Les interventions humaines actuelles sont excessives.
- Une diminution substantielle de la population humaine n’entravera pas l’épanouissement de la vie humaine et permettra l’épanouissement des vies non-humaines.
- Une amélioration des conditions de vie exige un changement dans les politiques qui affectent les structures économiques, technologiques et idéologiques.
- Le changement idéologique consiste principalement à apprécier la qualité de vie et pas à rechercher un niveau de vie élevé.
- Ceux qui souscrivent à ces principes doivent tout faire pour promouvoir les changements nécessaires.
L’écologie profonde se fonde sur une écologie métaphysique plus que sur la science écologique.
La vision biocentrique est souvent qualifiée d’anti-humaniste. L’humain est un ennemi de la Nature, il la détruit. L’humain, c’est le parasite ou le cancer de la Terre : il se comporte en se survalorisant.
« Entre la terre et l’homme, ils optent pour la terre contre l’homme. L’être humain est la menace de la terre, sa déchéance, son cancer ». (Beauchamps, 1993) ou «L'humanité disparaîtra, bon débarras !» (Yves Paccalet, 2006)
L’humain n’a pas de place dans la nature : « Si nous devions disparaître aujourd’hui, l’environnement terrestre retrouverait l’équilibre fertile qui le caractérisait avant l’explosion de la population humaine. Mais si les fourmis devaient disparaître, des dizaines de milliers d’autres espèces végétales et animales périraient aussi, simplifiant et affaiblissant presque partout l’écosystème terrestre ». (Ed. O. Wilson, 2003)
Les militants qui s’inscrivent dans la vision biocentrique peuvent avoir recours à l’écoterrorisme. (Dans le mouvement biocentrique on retrouve les opposants à la fourrure, à l'élevage industriel ou en batteries, au gavage, à la corrida, à l'expérimentation animale...)
Le biocentrisme justifie également une sévère régulation de la population mondiale ; proche du malthusianisme, issu de la pensée de Robert Malthus craignant les effets dévastateurs du développement libre, supposé exponentiel, de la population humaine (comme Michel Tarrier , son blog) et même dans les prises de position extrêmes, l’éradication de l’espèce humaine. (Lire Inferno, roman américain de Dan Brown).
Contrairement à ce que disent certains acteurs plutôt anthropocentriques les tenants du biocentrisme sont plutôt rares. Peu d’acteurs en effet se considèrent eux-mêmes comme un virus pour la planète ! Mais les controverses à propos de la nature viennent notamment du fait que la vision biocentrique et la vision écocentrique sont confondues.
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