La vision anthropocentrique : HOMME hors (au dessus de la) nature
Interview de Nicole Huybens
De la Bible, en passant par l’humanisme, la tradition occidentale repose sur une vision anthropocentrique de la relation homme – nature.
Nicole HUYBENS : Oui, une vision où l’humain est séparé de la nature, différent d’elle. Il est rationnel et libre de construire son destin, il possède la capacité de produire des connaissances et l’éthique qui font défaut à la nature. Dans cette vision, l’humain justifie l’énigme de son existence par la valorisation d’une ou de plusieurs de ses caractéristiques propres : sa liberté, son éthique, sa rationalité et ses sentiments. Il est alors en droit de dominer la nature, de s’en servir comme un propriétaire, sans rituel, sans besoin de réciprocité, sans donner à la nature un caractère sacré.
C’est une vision traditionnelle.
Nicole HUYBENS : Dans le premier récit de la création de la Genèse, l’être humain apparaît au sixième jour, avec les autres mammifères. En tant qu’image de Dieu, il reçoit un mandat : « … soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1 : 28).
Dans le second, Dieu attribue une mission d’intendance à l’espèce humaine : « Yahvé Dieu prit l'homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2 : 15).
Face aux problématiques environnementales actuelles, l’éthique liée à la vision anthropocentrique de la relation homme – nature suppose plutôt (mais pas toujours) la valorisation de l’idée contenue dans le deuxième récit de la création : « Il s’agit de passer d’une conception despotique (dominer, écraser, réduire, manipuler, se prendre pour Dieu en insistant sur la violence et le pouvoir) à une conception de la gérance (collaborer, améliorer, comprendre, partager, ressembler à Dieu créateur et gérer sous sa conduite comme un intendant serviable et responsable) ».
puis les animaux "utiles",
les autres animaux (inutiles),
puis les animaux nuisibles.
Plus de sciences et de technologies utilisées à bon escient et pour réparer les erreurs du passé permettront à l’humain de maintenir sa souveraineté sur la création sans la détruire. La terre appartient aux humains (à tous de préférence), s’ils peuvent la soumettre à leurs besoins, ils ont aussi le devoir de la protéger.
Dans les controverses à propos de la nature, cette particularité de notre culture : une vision anthropocentrique qui contient deux orientations : soumettre la nature ou en être le gardien échappe aux acteurs. Ceux qui remettent en question la vision anthropocentrique occulte le plus souvent l’orientation d’intendance, de responsabilité de l’homme face à la nature, qui fait aussi partie de notre culture. L’anthropocentrisme un peu mieux compris permettrait déjà d’entamer une résolution du problème de l’ours dans les Pyrénées me semble-t-il.
Quel est le rôle de la science ?
Nicole HUYBENS : Avec le développement des connaissances scientifiques, l’humain devient le maître des œuvres de Dieu qui devient même une hypothèse inutile. La nature est un objet parce que seul l’humain est un sujet.
Les technologies dérivées des connaissances scientifiques permettent à l’humanité de mieux dominer et d’exploiter la nature et produisent un confort accru pour tous ceux qui peuvent en profiter. Ils échappent ainsi à un certain nombre de déterminismes naturels. Mais le progrès laisse de côté tous ceux qui n’y ont que peu accès et il engendre des impacts environnementaux de plus en plus inacceptables.
L’homme est-il responsable ?
Nicole HUYBENS : Hans Jonas met l’accent sur la peur que devrait ressentir l’humain face au pouvoir débridé qu’il a acquis sur la nature. Ce pouvoir lui donne une liberté sans précédent et une responsabilité proportionnelle. Le suicide de l’espèce est exclu : les générations futures ont le droit de disposer de leur vie. La responsabilité des humains d’aujourd’hui consiste donc à faire des choix qui maintiennent la possibilité de vie sur terre.
Le principe responsabilité de Hans Jonas s’applique pour les conséquences futures de décisions prises aujourd’hui. Il ne s’agit ni d’une responsabilité liée à des conséquences déjà là, ni de responsabilité légale.
Dans le domaine de la vision anthropocentrique de la relation homme - nature, un horizon moral est lié à l’équité intra et intergénérationnelle, la responsabilité face à la nature et à la biodiversité.
Dans la vision anthropocentrique, quelle est la place de la liberté ?
Nicole HUYBENS : L’égalité entre les humains et la liberté de l’individu sont centrales dans la vision anthropocentrique de la relation homme – nature. Dans un monde d’individus libres et égaux, la logique économique du marché libre semble être un moyen raisonnable et équitable de prendre des décisions. « La meilleure façon de savoir ce que quelqu’un veut est de connaître le prix qu’il est prêt à payer sur le marché pour jouir de ce bien ».
La nature, ce sont des « ressources naturelles », désirables pour ce qu’elles font, pas pour ce qu’elles sont. Voir la nature comme un bien économique permet d’orienter les décisions. On retrouve cette idée dans le raisonnement des acteurs qui croient qu’une forêt mature non récoltée est « perdue pour tout le monde ».
Hervé Gaymard, estime qu’« il est urgent d’un point de vue économique mais aussi écologique de récolter et renouveler les zones de forêt en surcapitalisation, avant qu’une tempête, une sécheresse, ne viennent décimer ce qu’il a fallu des dizaines d’années à produire ... ». Mais pour le prédateur ?
Nicole HUYBENS : L’ours ou le loup ne sont pas désirable parce qu’il ne rapportent rien (sauf des ennuis). il sont prédateurs, donc nuisibles. Il ne sont donc « rien ». Ils n’ont droit à aucun égard, ce sont des objets inutiles, nuisibles. "Si nos ancètres s'en sont débarassés, c'est qu'ils avaient de bonnes raisons. A nous de faire pareil!".
On peut décider de protéger la biodiversité des forêts tropicales parce que des espèces aujourd’hui inconnues recèlent peut-être des molécules intéressantes pour fabriquer de nouveaux médicaments et procurer des revenus. Les raisonnements qui s’appuient sur une logique des coûts et des bénéfices ou sur la gestion des risques permettent d’éluder une discussion sur les valeurs. L’utilité et la rentabilité servent d’éthique d’où les « A quoi cela sert un ours ? »
Là où le biocentrique parlera de la défense de tous les individus prédateurs pris séparément et rejetera la délocalisation des individus réintroduits, l'écocentrique raisonnera en survie de l'espèce ou de la population, et envisagera le renforcement des populations en danger d'extinction.
Les défenseurs des animaux s’appuient aussi sur l’idée que la souffrance est commune et mauvaise pour tous les êtres sensibles, humains et non-humains. La douleur doit être empêchée (pour les biocentriques) ou minimisée (pour les écocentriques) quels que soient la race, le sexe ou l'espèce de l’être. L'écocentrique acceptera qu'on arrache une dent aux ours pour connaître leur âge et qu'on les équipe d'un collier pour assurer le suivi et la connaissance scientifique de l'espèce. Le biocentrique refusera cette instrumentalisation et la "gestion" humaine des populations (réintroduction comme élimination des animaux "à problème").
L'anthropocentrique n'étudiera les actions envisagées qu'en termes de rentabilité et d'utilité, sachant que les animaux d'élevage ont bien évidement bien plus de valeurs que les animaux sauvages (non gibier pour les chasseurs), allant même jusqu'à scinder la biodiversité en biodiversité utile (à visage humain) et biodiversité inutile (responsable de l'ensauvagement des territoires).
Les humains ont des intérêts différents des autres animaux, il ne s’agit pas de traiter de la même manière un animal et un humain. Par exemple, il n’y a pas de mal à consommer de la viande pour autant que le bien être des animaux ait été pris en considération pendant qu’ils étaient en vie.
Les éleveurs bretons ne retrouvent rien à redire aux élevages porçins intensifs. Dans le Sud-Ouest, le gavage des canards et des oies , tout comme la corrida dans le Sud-Est sont des traditions et un patrimoine (culturel) à défendre face à la "zoolâtrie" ambiante.
C’est la prise en compte de la souffrance animale globale qui est la porte d’entrée pour l’éthique anthropocentrique, pas l’idée que chaque animal a une valeur inhérente. La défense des droits des animaux sera reprise dans la vision biocentrique et dans la vision écocentrique mais à partir de raisonnements différents.
Retour à L'éthique environnementale ou la relation de l’Homme à la Nature
Lire aussi