L’adieu

Publié le 03 décembre 2013 par Mentalo @lafillementalo

Je remonte le petit chemin et mes talons claquent sur le pavement. Les cerises ont été toutes mangées, les merles ont eu leur part –généreuse-, et les vaches sont rentrées à l’étable tandis que le froid s’installait. Le jardin a pris ses allures d’hiver. Les parterres ont été nettoyés de leurs fleurs fanées, le foin une dernière fois coupé dans le champ.

Je pousse doucement la Collégienne devant moi, elle a tenu à m’accompagner, et nous entrons dans la pièce baignée de lumière que nous connaissions si bien.

Vous voulez des bonbons ?

On entendrait presque sa voix. Lucette accueillait tous les enfants comme les siens, petits et arrière-petits-enfants. Mais aujourd’hui Lucette dort. Nous chuchotons pour ne pas la réveiller, mais nous savons toutes les deux qu’elle ne nous entend plus. Elle a reçu des fleurs pour sa fête, la semaine dernière. Elles fanent doucement sur le rebord de la fenêtre, tout comme elle, à côté des lettres de Scrabble que nous utilisions pour communiquer. S.A.N.T.E. a été son dernier mot, compte triple sur le petit plateau du déjeuner.

Quand je partirai, il ne faudra pas me pleurer. J’aurai eu une vie bien remplie, de joies et de peines. J’aurai fait mon temps, m’avait dit Lucette le jour de ses  quatre-vingt-dix printemps.

Je lui avais répondu qu’elle était immortelle. Elle avait ri. Les enfants avaient mangé du gâteau. Elle se souvenait des jours où j’avais traversé le jardin pour lui présenter chacun d’eux à mon retour de la maternité, enveloppés dans la couverture au crochet.

Une vie.

Je prends sa main valide et la caresse doucement. Au revoir, Lucette.

Dehors, le froid nous saisit, et le soleil nous pique les yeux. Nous redescendons le chemin pour la dernière fois, nous le savons. Quelques heures plus tard, Lucette s’est endormie pour de bon, sereine et paisible.