On a rendez-vous au Point Zéro, rue Paul Lelong. A 15h. L’endroit est fermé. On m’apprend que le propriétaire est coincé dans le métro. La faute au "Tireur de Paris" qui sème la zizanie dans la capitale. Finalement, je retrouve Julien Doré dans un autre restau-bar, quelques pas plus loin pour une interview. Spéciale l’interview. Il y a des rencontres dont je sors satisfaite. D’autres complètement déçue. Celle avec Julien Doré n’entre dans aucune catégorie. Je suis plus troublée qu’autre chose. Voire touchée. Troublée par la personnalité complexe du jeune homme. Pas bizarre. Disons intrigante. Troublée par ce regard lointain qui balaie l’horizon mais ne se pose jamais très longtemps quelque part. Troublée aussi par le magnétisme qui entoure la personne. Les traits sont tirés, il semble fatigué, mais il n’en demeure pas moins beau. Oui n’ayons pas peur de le dire. Et puis, troublée par le timbre grave de cette voix et par la mélancolie que laisse transparaître les propos. Mélancolie, joie, tristesse, folie, amour, rage. C’est de ce que parle cette interview. Des mots.
Voire des maux.
"Les maux de Julien". J’ai hésité longtemps à titrer l’article ainsi, car le principe de mon interview est le suivant : je dis des mots et l’artiste laisse sa pensée partir au gré de ses envies. Celles de Julien naviguent en eaux troubles. Elles ne sont pas un long fleuve tranquille. Il parle, s’arrête, reprend le fil après quelques pauses, parfois il s’arrête tout net, si bien qu’on ne sait pas trop s’il a terminé son monologue. Son regard est lointain, sa voix est toujours posée. Calme, parfois ce n’est qu’un murmure.
Il y a des interviews dont je sors satisfaite. D’autres complètement déçue. Celle de Julien Doré m’a troublée. Touchée.
La mélancolie…
J’ai l’impression que c’est quelque chose de très présent dans mon travail, voire même dans ma façon de vivre. C’est un mot avec lequel j’essaie de danser et de m’accommoder dans la vie de tous les jours, plutôt que de m’enfermer avec elle. Je vis avec et j’essaie de l’utiliser pour ce que je crée, pour ce que je raconte.
Arman Méliès…
C’est mon ami, mon guitariste, mon co-compositeur, mon co-auteur. C’est quelqu’un que j’aime énormément. On se connaît maintenant depuis sept ans. On s’est rencontrés à l’époque de mon premier album. J’aime sa musique, ses textes, ce qu’il fait, ce qu’il fait avec les autres. Je pense que c’est quelqu’un avec qui je travaillerai encore longtemps.
La folie…
[Long silence] Je pense que c’est quelque chose qui guette tous le monde mais qui ne se manifeste pas toujours de manière hystérique ou humoristique. On est censé être un petit peu emprunt d’un grain de folie lorsque l’on se dit artiste, c’est censé être quelque chose de maladif et d’hysterico-joyeux et qui peut se manifester par l’art…En fait, j’en sais rien. J’ai pas de rapport particulier avec la folie. Je tente des choses. Ce que je fais c’est instinctif, mais pas fou. Faire appel à son instinct c’est essayer de raisonner d’une autre manière. Sur scène, je peux faire des choses qui sont décrites comme folles ou dangereuses, mais moi, au fond, j’y vois une part de poésie, d’abandon. Je ne sais pas…je fais plein de trucs bizarres sur scène, mais ce sont des choses que je fais sur l’instant et qui me paraissent censées au moment où je les fais.
Corbeau blanc…
C’est une chanson du troisième disque. Une chanson importante, comme toutes les autres d’ailleurs. (silence). C’est une vision. Quitter le corps pour prendre l’envol de l’esprit. Un corps qui peut être trop lourd. C’est l’image que j’ai voulu transmettre à travers cet oiseau.
La liberté…
J’ai l’impression d’avoir cette chance d’être vraiment libre dans la façon dont je fais de la musique et dont je vis. Je me sens redevable de cette liberté-là, de ce temps que j’ai pour écrire, pour monter sur scène, chanter, raconter des histoires. C’est une profonde liberté que je dois rendre dans ma musique. C’est comme un dû. Plutôt comme une envie d’être utile aux autres. Cette liberté que j’ai, c’est un peu celles des autres. Et j’ai envie de la rendre grâce à ma musique pour qu’ils puissent s’échapper avec moi, à travers ma musique ou pendant les concerts. On se sent toujours prisonniers de quelque chose… mais ma vie est accompagnée d’une vraie liberté artistique et c’est ce qui me permet de me sentir vraiment bien.
La colère…
C’est généralement quelque chose que j’accumule en moi, qui éclate dans des moments pas forcément opportuns. C’est quelque chose que j’essaie de contrôler. C’est présent chez nous tous, la colère. Et nous toutes. On fait avec. C’est tellement vaste. C’est là, sans être là.
Le cinéma…
Je vais très peu au cinéma. J’aime les films, cette énergie mise là dans un projet, le temps que ça prend pour écrire, le financer, le tourner. J’aime ce courage dans le cinéma. Je respecte énormément. J’aimerai bien réaliser un film un jour. Mais ça prend du temps. Et au stade où ça en est dans ma tête actuellement, ce n’est pas possible. Ce n’est pas concret mais c’est vrai que c’est une vraie envie.
La tristesse…
Ce n’est pas trop loin de la mélancolie. C’est le stade juste après. C’est comme la colère, c’est des vagues : ça va ça vient. Je ne sais pas trop quoi en penser. Comme tout le monde je la traverse et c’est bon pour mon travail. Je ne crois pas que c’est un sentiment qui nourrit la musique, même si ça été le cas pour cet album. Ce n’est pas une règle. Peut-être qu’un jour, je ferai un album super heureux. C’est vrai que cet album est soit-disant triste mais le studio a été très heureux, joyeux. J’espère ne pas croiser cette vague trop souvent, et j’espère que ce ne sera pas toujours une source pour créer quoique ce soit. Je ne veux pas y croire.
L’amour…
[Long silence] C’est ce qui anime, pour l’instant, mes textes. Finalement, tous. C’est essentiel. J’en parle dans mes chansons, de donner, d’en transmettre. Ça reste un vaste champ de réflexion…
La scène…
C’est bientôt. C’est un endroit où je n’ai pas besoin de parler pour être compris. Il n’y a pas de modes d’emploi posés sur chaque siège pour essayer de comprendre ce que j’ai voulu dire dans telles ou telles chansons. Quand je sors de scène, on ne me pose pas de questions parce qu’on n’a suffisamment échangé avec le public. Il y a les textes, il y a la musique, il y a le live. Une scène, un décor, un public physiquement vivant et il y a nous, physiquement vivant également. On s’échappe ensemble et à la fin on se quitte. Comme ça. C’est ce qu’il y a de beau et de plus fort pour un artiste. Ce n’est jamais pareil, la vie sur une tournée, les souvenirs de scène c’est ce qu’on retient avant tout, ce sont des choses dont on parle, longtemps après. La scène, c’est ce que je préfère au monde, c’est sans doute pour ça que je fais des albums, même si ce n’est pas pour ça que je le fais au moment où je les compose. Au fond, ce qui me rend heureux dans la musique, c’est la scène. C’est la récompense absolue après la sortie d’une disque.
En concert à Paris : les 13,14,15 mars aux Folies BergèresA lire également :
On a écouté : LØVE, l’album de Julien Doré