Une remise à plat de la fiscalité, qu’est-ce que ça veut dire ? Cette remise à plat sera-t-elle suivie d’une vraie réforme ? Sur quels points précis porterait cette éventuelle réforme ? Ces questions essentielles restent pour l’instant sans réponse et risquent de le rester longtemps…
Pierre Mendès France avait naguère l’habitude de dire que si des réformes essentielles ne sont pas faites dans les six mois qui suivent l’installation d’un nouveau gouvernement, elles ne se font en général jamais ! François Hollande et Jean-Marc Ayrault auraient dû méditer cette pensée de PMF car il est incompréhensible de dire d’un côté que la fiscalité française est injuste et de l’autre de prévoir une remise à plat de celle-ci au bout de 19 mois de gouvernement avec un vote éventuel des premières mesures concrètes en 2015, voire plus tard encore vers la fin du quinquennat !
Au lieu de faire dès la première année une grande reforme fiscale redistributive, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a laissé perdurer notamment le gel du barème de l'impôt sur le revenu introduit en 2011 par le gouvernement de François Fillon. Ainsi, en 2012, 940.000 contribuables ont basculé dans l'impôt, dont 400.000 sous le seul effet du gel du barème. Ce gel a été ensuite reconduit sur les revenus de 2012 et l’impôt payé en 2013, ce qui représente en fait une hausse déguisée supportée par tous les contribuables de 3,4 milliards d'euros en 2013 !
Quant à la fameuse tranche à 75%, elle ne sera payée que par les sociétés. Pendant la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, François Hollande cherchait une mesure emblématique pour ancrer sa candidature à gauche, d’où l’idée de cette super-tranche, purement symbolique. Elle ne concernera en fin de compte qu’une infime minorité de contribuables salariés (500 à 1000 personnes), sera provisoire (2 ans) et générera des recettes fiscales dérisoires (300 à 400 millions d’euros) tout en épargnant les contribuables fortunés mais non salariés...
Et pour couronner le tout, la TVA, Impôt injuste par excellence, sera augmentée le 1er janvier prochain. Cette augmentation va accroître encore la part des impôts indirects qui sont déjà très élevés (65% des recettes budgétaires) et inégalitaires. Pour le conseil économique et social, le taux d’effort des 10% des ménages les plus pauvres est de 8,1% et celui des 10% les plus aisés seulement de 3,4% !
Si aujourd’hui, Jean-Marc Ayraultsemble découvrir les injustices criantes du système fiscal, une remise à plat n’aura de sens que si elle s’accompagne d’une réelle volonté politique de réformer sur de nombreux points essentiels.
Rétablir la progressivité de l’IR en y incluant la CSG
Dès lors que les niches fiscales ont été multipliées, qu’un système de prélèvements forfaitaires libératoires a été mis en place et que le nombre de tranches comme l’éventail des taux d’imposition ont été réduits et resserrés vers le bas, notamment par Laurent Fabius, ministre des finances en 2000, l’IR n’est plus calculé en fonction des « facultés » de chacun et rapporte de moins en moins à l’Etat.
Certes, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a porté le taux marginal de 41% à 45 % pour les revenus supérieurs à 150 000 €, mais sans toucher au reste, cela ne change quasiment rien et le système fiscal restera toujours dégressif pour les plus hauts revenus ! De plus, ce taux de 45% rapportera seulement 0,7 milliard € de recettes supplémentaires.
Le simple rétablissement de quatorze tranches d’imposition telles qu’elles existaient au début des années 1980, au lieu des cinq tranches actuelles (5,50%, 14%, 30%, 41%, 45%) permettrait de rétablir une réelle progressivité et de dégager des recettes nettement supérieures aux 58 milliards d'euros qu'a rapporté l'IR en 2012 !
Il en est de même de la CSG qui rapporte plus que l’IR mais qui s’applique avec un taux proportionnel, identique pour tous. Or, un taux progressif est celui qui répond le mieux à l’esprit de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (un impôt en fonction des « facultés » de chacun).
Fusionner les contributions CSG et CRDS avec l'IR pour en faire un large impôt progressif acquitté par tous serait donc une mesure positive car outre les bienfaits de la progressivité, la nouvelle assiette de la CSG et CRDS reposerait ainsi sur le revenu fiscal des personnes physiques au lieu et place principalement des salaires. Un point de prélèvement assis sur tous les revenus tels que déclarés à l'administration fiscale rapporte d’autre part sensiblement plus que le même taux appliqué sur les seuls salaires.
Les dépenses de santé sont un bien public (au même titre que l'éducation ou la sécurité) et justifieraient donc leur prise en charge, au moins partiellement, par le budget de l'Etat.
Réformer le quotient familial et le quotient conjugal
Le montant de l’IR est modulé en fonction du quotient familial, un mécanisme qui prend en compte la taille de la famille mais subventionne davantage les familles riches que les familles pauvres, la réduction d'impôt étant proportionnelle au revenu.
Le plafonnement du quotient familiala été baissé de 2000 € à 1500 € par demi-part pour les familles imposables en haut de l’échelle mais le système reste toujours aussi injuste compte tenu de la concentration des gains actuels sur les ménages les mieux lotis.
Le remplacement du quotient familial par un crédit d'impôt, identique pour tous, serait sensible pour les familles modestes, pas ou peu imposées, car elles verraient leur niveau de vie augmenter sensiblement. A budget constant en effet, selon une étude de la Direction Générale du Trésor, 4,3 millions de ménages seraient perdants pour un montant moyen de 930 € par an et 4,8 millions seraient gagnants pour un montant moyen de 830 € par an.
Que la France abandonne le quotient familial, qui n’est plus appliqué en Europe que par deux pays (Luxembourg et Suisse) et qu’elle adopte un système de crédit d’impôt comme le font déjà la Belgique, le Canada, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque et l’Allemagne, ne serait donc pas déraisonnable.
Quant au quotient conjugal, il est imprégné d'un schéma familial daté, pour ne pas dire séculaire, où le chef de famille apporte des revenus au ménage et la femme s'épanouit dans les tâches domestiques. Il consiste à diviser la somme des revenus d'un couple par deux avant de lui appliquer le barème progressif. Exemple : un ménage où un conjoint gagne 54 000 € par an et l’autre 6000 €, l’impôt n’est pas calculé sur 60 000 € mais sur 30 000 € (revenus moyens du couple) puis le résultat est multiplié par deux pour arriver à l’impôt à payer.
La conséquence de ce système est double. Il réduit fortement l'impôt des couples aisés dont l'un des membres - le plus souvent la femme - ne travaille pas ou peu, avec une réduction d'impôt d'autant plus élevée que le revenu principal est important. Pour un même revenu, les couples aisés sont ainsi avantagés au détriment des célibataires, des personnes séparées, des veufs ou encore des familles monoparentales.
Le coût de cet avantage fiscal accordé aux couples oscille entre 5,5 milliards d'euros, d'après le Trésor, et 24 milliards d'euros, selon la Cour des comptes. Et contrairement au quotient familial, l'avantage retiré du quotient conjugal n'est pas plafonné !
Réduire drastiquement les niches fiscales
Selon la commission des finances de l’Assemblée Nationale, les niches fiscales étaient évaluées à 72,7 milliards € en 2010, soit 3,5% du PIB. Mais d’après un rapport de la cour des comptes, réalisé sous le magistère de feu Philippe Séguin, on a appris que le gouvernement de François Fillon avait réalisé un tour de passe-passe pour amoindrir leur importance. A mesure que certaines niches se pérennisaient, le ministère de l’économie avait arrêté de les traiter comme telles, bien que leur nature n’ait pas évolué au cours du temps. Pour l’année 2009, celles-ci représentaient en réalité 146 milliards € ! Une somme colossale, puisque trois fois supérieure au produit de l'IR payé par les particuliers !
Si certaines d’entre elles répondent à un souci d'équité ou à des mesures économiquement utiles, d'autres permettent surtout à une minorité de personnes de réduire fortement leur imposition tout en se constituant un patrimoine important.
Certes, quelques niches ont été rabotées à 10.000 € au lieu de 18 000 € mais beaucoup d’entre elles sont totalement inefficaces et doivent être purement et simplement supprimées. Pire, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a réussi l'exploit d'accorder à deux niches fiscales (Sofica et loi Girardin pour les DOM) des plafonds supérieurs à ceux fixés antérieurement par la droite !
Est-ce que François Hollande et Jean-Marc Ayrault imaginent un seul instant qu’avec la récupération d’un tiers seulement de ces recettes perdues, on réglerait une bonne fois pour toute les intérêts annuels de la dette publique qui se montent à 50 milliards € ?
Lutter efficacement contre la fraude fiscale
La fraude fiscale, par son ampleur et ses caractéristiques (au minimum entre 60 et 80 milliards € par an, selon le Syndicat national unifié des impôts), réduit aussi fortement les rentrées fiscales et accentue les inégalités, sans parler de l'optimisation fiscale qui fait le bonheur des avocats d'affaires. Ce sont essentiellement les grosses entreprises et les riches particuliers qui en bénéficient car ils peuvent faire de gros investissements déductibles de l’Impôt ou user de l’existence des paradis fiscaux.
L’administration fiscale a perdu 25 000 emplois depuis 2002 sur l'ensemble de ses missions, dont une grande partie est concentrée sur des services qui forment le premier étage du contrôle fiscal, c'est-à-dire le service de gestion de l'impôt, le service de contrôle sur pièces et le service de programmation des contrôles fiscaux. Ces pertes d'emploi ont fragilisé la détection de la fraude et le contrôle fiscal dans son ensemble.
Suite à l’affaire Cahuzac, Jean-Marc Ayrault a bien indiqué qu'il allait procéder à un renforcement de 50 agents à la DGFIP (Direction Générale des Finances Publiques) mais on est loin du compte, ce petit geste s’apparentant plutôt à un pansement sur une jambe de bois…
Un signal fort aurait dû être donné par la création d’au moins 2000 postes dans les administrations chargés de lutter contre les fraudes et par l’établissement de la liste « française » des pays considérés comme non coopératifs ou comme paradis fiscaux et judiciaires en accompagnant cette liste des sanctions infligées aux entreprises qui utilisent ces territoires.
Refonder la fiscalité locale
Les impôts locaux représentent une part de plus en plus importante du total des impôts : 12 milliards € pour la seule taxe d’habitation (particuliers) et 15 milliards € pour la taxe foncière sur le bâti et le non-bâti (particuliers et entreprises). Avec la décentralisation et les transferts de compétences de l’Etat vers les collectivités locales, l’augmentation des impôts locaux se fait tous les jours un peu plus forte et il n’est pas rare aujourd’hui pour un salarié de « sortir » un mois de salaire pour payer la taxe d’habitation et/ou la taxe foncière !
Les bases de ces taxes sur la valeur locative des logements sont totalement archaïques car elles datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe d’habitation). Pour les contribuables, le montant à payer ne dépend pas du revenu perçu sauf pour certains cas sociaux qui bénéficient d’exonérations partielles ou totales. Ce qui signifie que là encore les « ménages modestes ou moyens subissent proportionnellement un prélèvement plus lourd que les ménages les plus aisés », selon la cour des comptes.
La fiscalité locale n'assure pas non plus l'équité entre les collectivités sur l'ensemble du territoire. Les disparités du "potentiel fiscal par habitant" vont du simple au double entre les régions (67 € en Corse, 111 € en Haute-Normandie), du simple au quadruple entre les départements (296 € dans la Creuse, 1.069 € à Paris) et de 1 à 1.000 entre les communes.
L’intégration de ces deux taxes dans l’impôt sur le revenu avec un barème progressif puis leur reversement par l’Etat aux diverses collectivités locales devrait constituer un autre chantier prioritaire d’une vraie réforme fiscale.
C'est en grande partie l'ampleur des changements dans le domaine fiscal qui conditionnera la possibilité de rétablir une certaine justice sociale, sortir de la contrainte de la dette ou dégager des marges de manœuvres budgétaires permettant au gouvernement d'agir. et ce n’est qu’en modifiant simultanément les différents types d’impôts, sans exception, que l’on pourra parler véritablement de réforme fiscale.
Une remise à plat aujourd’hui peut-elle déboucher sur une vraie réforme fiscale, jamais entreprise à ce jour, ni par la droite, ni par la gauche ? Rien n’est moins sûr car François Hollande donne l’impression de chercher surtout à contenir le ras le bol fiscal des citoyens et à alimenter en oxygène son premier ministre pour qu'il puisse tenir jusqu’aux prochaines élections municipales et européennes qui s’annoncent catastrophiques pour le PS…
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