© Sony Pictures Television
Note : 4/5
Produite et écrite par des poids lourds de la fiction politique américaine, House Of Cards remet sur le devant de la scène la série politique et en a toutes les qualités.
Depuis quelques temps, la série américaine avait délaissé les débats politiques intérieurs au profit de la mondialisation et des rouages de la diplomatie et de l’espionnage, post 11 septembre et guerres en Irak et Afghanistan obligent.
C’est pourquoi aujourd’hui House Of Cards nous fait du bien. Alors que nous avions droit sur nos écrans à la série Borgen très européenne, ou encore à notre série française sur les conseillers en communication avec le plaisant Les Hommes de l’Ombre, le plus grand pays de la série audiovisuelle était avare dans le genre. C’est pour notre plus grand plaisir que débarque aujourd’hui le membre du congrès américain Franck Underwood (Kevin Spacey), ses collègues, amis et ennemis politiques ou journalistes.
Produite en partie par David Fincher et Kevin Spacey, House Of Cards est l’histoire de Franck Underwood, porte-parole des ‘’congressmen’’ démocrates, qui se voit refuser sa nomination au secrétariat d’Etat (l’équivalent du ministère des affaires étrangères) promise par le nouveau président élu. Enragé, il décide de déjouer tous les plans de ses comparses politiques dans les coulisses de la Chambre des Représentants et de la Maison Blanche, usant de tous les moyens pour arriver à ses fins.
À l’image du jeu politique dans lequel il faut allier rapidité et efficacité, la série est vive et s’installe dans un récit pour lequel le moindre détail qui nous est présenté a une importance non négligeable dans les plans du politicien. Cette rapidité des mouvements, ce flot de paroles nous plongent dans un mouvement perpétuel, parfois étourdissant de complexité, mais sans cesse grisant et enivrant. Il est impossible de ne pas être impressionné par Franck Underwood, sa dextérité et sa capacité de manipulation. Mais cela est l’apanage de toute série politique.
Si sur le fond House Of Cards ressemble beaucoup aux fictions politiques classiques, c’est sur la forme qu’il trouve sa grammaire originale. Le grand Kevin Spacey qui nous manquait terriblement ces dernières années (préférant les planches de Brooklyn à la caméra) livre une prestation forte, un jeu mené à la baguette. Quel plaisir de voir ce visage qui s’anime devant nous, un grand acteur jouer et s’amuser ! Le jeu est d’autant plus appréciable que le personnage se confie avec malice au spectateur, brisant le quatrième mur régulièrement au cours de cette première saison. Mais les confidences sont distillées avec une grande justesse : jamais le spectateur n’en sait trop sur les intentions du personnage, ses apostrophes répondent plutôt à une pulsion, à un besoin de commenter lui même son propre travail de manipulation, ses propres impressions du moment. Ces intermèdes construisent le personnage, au même titre que ces actions : il nous manipule autant que les personnes qui l’entourent.
© Sony Pictures Television
L’autre innovation de la série est dans sa dimension corporelle constante. Si la fiction politique classique s’évertue (parfois avec dextérité et panache) à poser et à mettre en scène la politique dans ses jeux verbaux et dans sa représentation au travers des discours, House Of Cards propose en plus une représentation des corps beaucoup plus forte. Underwood dissimule derrière une façade avenante sa vraie nature de sous-bois sombre. Si le personnage se détache autant, ce n’est pas grâce au jeu de mot facile de son nom de famille, mais aussi car il est incarné par Kevin Spacey, seul personnage purement charismatique ne brillant pas par sa beauté. Il est intéressant de noter que son homme de main répond lui aussi à cette description physique. Face à eux deux, le monde politique entier de Washington semble baigner dans une beauté propre et sans bavure, sans secrets ni coups bas. Un monde trop propre et trop beau d’ailleurs pour être crédible et humain. Si Franck Underwood soigne plutôt ses tactiques internes et ses manipulations secrètes, c’est sa femme Claire, au corps et au port irréprochables (jouée par la magnifique Robin Wright), qui prend à son compte la représentation de façade du couple, poussant notamment son mari à faire du sport.
La relation entre les sphères politiques et journalistiques prend elle aussi un tour inédit dans sa représentation extrêmement physique et sexuelle. Underwood rencontre la jeune journaliste impétueuse et audacieuse Zoey Barnes (jouée par la grande sœur de Rooney Mara, Kate). Et c’est par le sexe que les deux s’apprivoisent et tentent de se manipuler l’un l’autre. Comme le dit Underwood, ‘’Dans la vie tout est affaire de sexe, sauf le sexe lui même qui est affaire de pouvoir’’. Par cette dimension sexuelle de la relation entre deux sphères, différentes mais gardant sensiblement la même organisation interne et qui ont toujours cherché à se comprendre, à se maîtriser, Beau Willimon (showrunner, créateur de la série) met en place une marchandisation physique de l’information et un jeu de pouvoir intéressant. Le vieux face à la jeune, le politicien face à la journaliste, s’affrontent et se rencontrent ainsi dans des joutes sexuelles et verbales cruelles et directes.
House Of Cards est donc une série brillante, novatrice, et plaisante. Accrochant toujours le spectateur par un scénario bien ficelé et des personnages attachants, elle réussit à créer l’addiction qui fait qu’une série télévisée est réussie. La réalisation est fluide et intéressante. Même Joel Schumacher réussit son épisode de main de maître : un argument de plus à mettre à l’actif de la série.
Simon Bracquemart