À BOUT DE SOUFFLE
un film de Jean Luc Godard, mars 1960
http://www.youtube.com/watch?v=OK5bd7-wFzk
« Si vous n’aimez pas la mer,
si vous n’aimez pas la montagne,
si vous n’aimez pas la ville…
Allez vous faire foutre! »
Jean Paul Belmondo me jette cette réplique au visage et l’extrait s’efface pour celui d’un autre film. J’ai quinze ans et je visite le musée de la Cinémathèque Française pour la première fois. Je suis au lycée depuis deux mois, j’étudie le cinéma depuis deux mois et Godard m’éclabousse le visage.
Jean Paul Belmondo file à toute allure dans une voiture volée direction « Milano, Geneva, Roma ! ». Il trace dans la campagne, ne prend pas d’auto-stoppeuses et critique les femmes au volant. La caméra est embarquée et filme à la dérobée l’acteur et son environnement. Michel fait mine de tirer sur les automobilistes avant de devoir réellement tuer un homme et lancer la trame du récit.
À Bout de Souffle, premier film de Godard et le premier de ma cinéphilie.
Marianne s’est assise sur le banc face à l’écran. Marianne a vu les saynètes montées en jump cut. Marianne a été visée par le regard caméra de Belmondo et ces mots l’ont accompagnée. « Allez vous faire foutre ! ». Godard et Belmondo sur la musique de Martial Solal. La séquence gravée dans la tête jusqu’à déterrer la VHS de la médiathèque.
J’ai aimé Godard et son film à partir de cet extrait, il m’a fait découvrir la passion du cinéphile, l’excitation à l’approche d’une projection, le cœur qui palpite dans une salle obscure quand on découvre un chef d’oeuvre pour la première fois sur grand écran ; la joie du cinéma.
Cet extrait a tout déclenché par sa spontanéité et sa vérité. S’en suivit la découverte du film et de ses scènes mythiques, le charisme de Belmondo, le rythme du montage et de la musique, l’effervescence de la vie à la mode parisienne.
À partir d’un fait divers (le meurtre d’un gendarme), Godard et Truffaut ont imaginé une trame narrative (les péripéties de Michel avant et après le meurtre). Filmé rapidement grâce aux évolutions techniques de prise de vue du début des années 60 (l’arrivée des caméras 16mm à l’épaule et les enregistreurs portables), ce film est un pur témoignage de cette époque et de cette génération.
Outre les prémices de la Nouvelle Vague cinématographique, le film évoque les doutes de la jeunesse de l’époque : de la guerre d’Algérie (Godard y consacre son second film Le Petit Soldat en 1960) à la place de la femme dans la société et le tabou sur l’accès à l’avortement.
Les jeunes personnages d’À Bout de Souffle ne trouvent pas leur place. Patricia veut être journaliste mais elle n’est appréciée que pour son physique dans le milieu professionnel et vend le journal dans la rue. Michel quant à lui n’est chez lui nulle part ; il quitte Marseille pour Paris et squatte chez tout le monde en attendant de pouvoir quitter la France pour l’Italie.
L’intrigue policière n’est pas la cause du malaise, elle le précipite seulement. Les personnages continuent de douter jusqu’au moment fatidique où, fatigués, ils se laissent rattraper.
Si une Marianne de quinze ans lit ce blog je ne lui gâcherais pas la surprise. Pour les autres, j’espère que ce film ne demande pas plus d’explications ; je ne serais pas la énième à écrire sur la mise en scène d’À Bout de Souffle. « Focus » est une rubrique sur le plaisir cinéphile procuré par des scènes qui nous touchent et ne nous quittent pas. Pour mon premier article j’ai choisi l’extrait qui m’a formée et anime mon esprit critique.
Marianne Knecht