Homeland

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Saisons 1 et 2

Après huit ans de captivité en Afghanistan, le sergent Brody, libéré, retrouve son homeland : le sol américain et le foyer familial. Carrie, agent controversée de la CIA persuadée que Brody a été "retourné" par les terroristes, mène l’enquête, seule contre tous, pour prouver – avec des moyens peu orthodoxes – que l’ancien soldat constitue une menace.

Récompensée depuis deux ans par le prestigieux Golden Globe de la meilleure série dramatique, la série d’espionnage parano Homeland a été portée aux nues. Alors que la troisième saison est diffusée aux États-Unis et qu’une quatrième est d’ores et déjà annoncée, retour sur les deux premières saisons d’une série qui s’est curieusement imposée.

© Showtime Networks Inc

Il va sans dire que le scénario de la série affiche clairement sa nature de récit post-11 septembre. La paranoïa y régit – dans la première saison en tous cas – tous les rapports humains. Dans l’ère du soupçon, le doute continu distillé par le scénario est sans conteste l’élément le plus intéressant d’une série qui ne donne raison à aucun de ses deux personnages principaux. Brody a-t-il été retourné ? Carrie est-elle folle ? Les éléments de réponse apportés au compte-goutte ne permettent pas d’en décider. Ils augmentent même l’ambiguïté et interrogent intelligemment l’excessive interprétation de signes par des gens trop pressés de condamner quelqu’un : la conversion à l’islam d’un Américain retenu huit ans en Afghanistan prouve-t-elle sa trahison ? Les déclarations récentes de Marine Le Pen sur le retour des otages français confirment l’acuité de la série en la matière : la paranoïa régit le récit, parce qu’elle conditionne aujourd’hui la politique.

Le titre est à cet égard révélateur de l’abord spécifique de la série : elle situe la paranoïa dans le cadre rassurant du foyer, le fameux homeland. Ici, l’ennemi est déjà intérieur, à différents niveaux : les États-Unis craignent une attaque sur leur sol opérée par leurs propres citoyens ; la CIA, agence de défense contre le terrorisme, est visée en son coeur ; les personnages sont victimes de "l’ennemi" en eux (la folie guette Carrie, la dépression menace Brody). La famille de Brody, que le récit met en avant, fonctionne comme un microcosme de cette situation d’inquiétante étrangeté. De la même façon que les États-Unis ne peuvent plus distinguer leurs ennemis de leurs compatriotes, la femme de Brody peine à retrouver l’homme qu’elle a aimé dans celui qui lui revient après huit ans d’absence.

Paranoïa et obsession ne sont jamais très éloignées, et le doute de Carrie sur Brody se transforme vite en une obsession amoureuse. C’est là que les choses se gâtent pour la série. La folie de Carrie est assez vite écartée par le comportement de Brody. Très vite, donc, Carrie apparaît comme le relais, dans le récit, des soupçons du spectateur. Malheureusement, l’agent de la CIA tombant amoureuse (bien soudainement d’ailleurs) de l’homme qu’elle doit soupçonner, elle lui accorde son crédit et anéantit l’élément de récit le plus intéressant de la série.

Cette évolution du scénario est loin d’être la plus problématique : la série continue malgré tout d’être accrocheuse. Les plus gros défauts de Homeland sont bien plus essentiels et touchent à la forme même du récit. On est en effet vite déçu par l’absence d’envergure du scénario, par le manque d’ambition géopolitique du récit. On objectera que la série est censée se concentrer sur les menaces intérieures, mais elle se tire elle-même une balle dans le pied en recourant à des organisations au rayonnement mondial (la CIA, Al Qaïda). L’ennemi demeure extérieur. Le paradoxe est amplifié par une certaine prétention de la série, visiblement très fière d’illustrer l’étendue de la menace, à coup de cartes et de coupures de journaux étalées sur les murs.

Le récit demeure centré sur une poignée de personnages qui ne parlent que de cibles à éliminer et ne semblent pas s’intéresser aux problématiques moyen-orientales. Un sujet qui aurait certainement coûté quelques spectateurs à la série, mais qui aurait été plus intéressant et plus courageux. La dimension géopolitique est mise de côté, au profit de l’exploration (intéressante, ne le nions pas) du monde secret de l’espionnage et d’une approche psychologisante un peu faible, vite lassante.

Cet abord psychologisant pourrait être divertissant s’il ne posait pas de véritables problèmes moraux : on se retrouve dans l’incapacité de condamner les agissements des personnages et de leur agence, la CIA, dont les méthodes inhumaines ne sont jamais remises en question. Au début de la troisième saison, un personnage évoquera même l’affaire d’Abou Ghraib en se plaignant du "tort" que cela a causé à leur image, qu’il faut désormais préserver en dissimulant les agissements de ce genre. Ce culte du secret fait de ces personnages des menteurs et des dissimulateurs prêts à tout pour protéger, non pas leur pays, mais leur agence. La série ne défend pas cet aspect des personnages, mais l’abord psychologisant empêche qu’on les condamne : témoins de leurs faiblesses personnelles et de leurs difficultés intimes, on s’attache à ces salauds. Le scénario aurait gagné à intégrer des personnages extérieurs à cette agence trop controversée, des journalistes par exemple, qui s’évertueraient à interroger la validité des méthodes employées par des services secrets dont le slogan semble se limiter à : "la fin justifie les moyens".

La réalisation n’est pas honteuse mais elle demeure peu courageuse, trop classique pour un tel sujet. Reconnaissons tout de même la maîtrise des scènes de mission : celle qui ouvre la saison 3 et couvre trois continents est impressionnante de fluidité et de tension. De façon générale, la mise en scène est sauvée par des acteurs qui font le boulot – quoique les moues de Claire Danes soient vite fatigantes – et un scénario bien ficelé qui parvient encore à nous interroger, par moments, sur la loyauté des personnages. La série est en outre très documentée et nous emmène de l’autre côté du secret, dans un monde qui se dévoile peu. À mon sens, le film Zero Dark Thirty a d’ailleurs souffert de la primauté de la série sur un sujet similaire, d’autant plus que la réalisation lorgnait beaucoup du côté de la sérialité.

© Showtime Networks Inc

Qu’attendre alors de la troisième saison, maintenant que Brody est en fuite et que la CIA a été frappée en son coeur ? Le pilote confirme le problème moral de la série. Carrie est mise en difficulté par une commission d’enquête parlementaire – représentante de la Nation donc. La série met de nouveau en scène une démonstration malhonnête : malgré son caractère agaçant, Carrie est touchante, son histoire d’amour pèse, on a un temps d’avance sur la justice. On accepte donc qu’un agent chargée de la protection des citoyens mente aux représentants de ces mêmes citoyens.

La question soulevée oriente toutefois la série vers un abord un peu différent qu’on espère voir se développer : comment servir et défendre au mieux son homeland ? Faut-il mentir pour le protéger ou dire la vérité au risque de mettre en danger ses institutions ? Ces problématiques sont particulièrement intéressantes quand on connaît le rapport complexé des Américains au serment et au parjure, dans un pays qui dispose pourtant d’une agence (la CIA) fondée sur la dissimulation.

Surtout, la troisième saison, pour le moment concentrée sur la CIA, s’avère (enfin) plus critique. Les personnages remettent en question les méthodes d’une agence à qui ils ont voué leur vie. Le psychologisme permanent de la série permet de renverser, pour un moment, les rapports de force : la CIA s’attaque aux siens, la paranoïa s’installe à nouveau. La mise à l’écart (temporaire) d’un personnage détourne l’intrigue de sa tentation romantique sirupeuse, malheureusement reportée sur la fille Brody, ado en crise irritante.

Un léger changement de cap qui allège un peu la tonalité ultra sérieuse d’une série pourtant très peu ambitieuse. On continue de s’interroger sur le succès d’une série si peu courageuse, au milieu d’une production télévisuelle riche où l’exigence et l’originalité sont pourtant de mise.

Alice Letoulat