Edito : La stratégie informationnelle du Vatican face au Web 2.0

Publié le 02 décembre 2013 par Infoguerre

« Merci pour votre amour et pour votre soutien. Puissiez-vous expérimenter toujours la joie de mettre le Christ au centre de votre vie ! ». C’est le 39ème et dernier tweet du Pape Benoit XVI, posté sur le réseau social Twitter le 28 février 2013, dernier jour de son pontificat, depuis le compte officiel du Vatican « @Pontifex ». Si le Pape Jean-Paul II avait inauguré le lancement du site vatican.va en 1995, c’est bel et bien Benoit XVI qui est le premier Pape à se lancer à la conquête des réseaux sociaux et à ouvrir de nouvelles perspectives de communication pour le Vatican à l’ère numérique.

De 2009 à 2013, le Vatican a mis en place toute une stratégie de communication sur Internet, ne se contentant pas d’être présent de manière symbolique sur les principaux réseaux sociaux Facebook et Twitter, mais en investissant toute la toile et en exploitant les moindres ressources du Web 2.0. L’Institution a tout d’abord commencé par le lancement du site Internet vatican.va, site officiel du Saint-Siège qui permet aux internautes de retrouver notamment les dernières homélies et méditations du Pape. S’en est suivi de près la création d’un canal Youtube, d’une page Facebook et du site « Pope2you » (que l’on pourrait traduire littéralement du « Pape à toi »), site plus particulièrement dédié aux jeunes fidèles et doté d’une plate-forme regroupant l’ensemble des canaux de communication numérique du Vatican. Le 29 juin 2011, le Pape Benoit XVI annonçait le lancement du nouveau portail d’informations du Vatican news.va via le compte Twitter du Saint-Siège : « Chers Amis, je viens de lancer News.va. Loué soit notre Seigneur Jésus Christ ! Avec mes prières et bénédictions, Benoit XVI ». Ces premiers pas du Saint-Siège sur le Web ont été impulsés par l’Archevêque Claudio Maria Celli, qui dirige le Conseil pontifical pour les communications sociales et qui, lors de l’Assemblée plénière du Conseil le 19 septembre 2013, a estimé que l’Eglise « grâce à sa structure millénaire, reflète naturellement la globalité d’Internet ».
Non content de son rayonnement numérique d’ores et déjà bien établi, le Vatican se dote en juin 2012 d’un nouveau conseiller en communication pour agrandir son équipe et ainsi affiner et renforcer sa stratégie web. Il s’agit de Greg Burke, ancien journaliste accrédité au Vatican et membre de l’Opus Dei. Avec lui se produira une petite révolution : la création d’un compte Twitter pour le Pape lui-même via « @Pontifex » accessible en neuf langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais, arabe, portugais, italien et latin) et qui a connu un succès immédiat puisque dix jours après son lancement Benoit XVI pouvait déjà se targuer d’avoir 700 000 followers.
Le Pape François, fraîchement nommé depuis le 13 mars 2013 à la tête du Saint-Siège n’est pas en reste en termes de présence numérique et d’utilisation des réseaux sociaux, il semble même être beaucoup plus enclin à utiliser ces nouveaux moyens de communication que son prédécesseur. Le Vatican semble en tout cas vouloir accentuer son virage numérique avec l’arrivée du nouveau Pape puisque, lors de la désignation du successeur de Benoit XVI, le Vatican ne s’est pas privé d’utiliser Twitter en postant « HABEMUS PAPAM FRANCISCUM ». Ce message a créé un buzz immédiat avec pas moins de 83 500 « retweets » et l’acquisition de 200 000 followers supplémentaires. Le Pape François a bien saisi l’intérêt d’une omniprésence sur le Web et il ne manque pas à son devoir puisqu’il alimente très régulièrement son compte Twitter ainsi que tous les autres médias et réseaux sociaux mis à sa disposition (la semaine dernière par exemple, ce n’est pas moins de six tweets qui ont été postés en quelques jours seulement).

Hormis la volonté de l’Eglise catholique de rajeunir son image et de profiter du pontificat d’un Pape à l’esprit plus jeune que ses prédécesseurs pour accentuer, réformer et repenser sa stratégie de communication, quel est le réel intérêt du Vatican de surfer sur la vague du numérique ? Si le Vatican souhaite bel et bien redorer son image et apparaître plus jeune que jamais, ce n’est qu’une infime raison de sa présence sur le Web. Car Internet est en réalité un outil de propagande incontournable pour le Saint-Siège. Quoi de mieux que Facebook ou Twitter pour partager avec les catholiques déjà conquis, pour approcher des fidèles potentiels et pour propager la parole de Dieu. Pour faire ce travail d’évangélisation, le Vatican mise beaucoup sur les jeunes, comme le rappelait Benoit XVI lors de la 45ème journée mondiale des communications sociales le 05 juin 2011 : « J’invite surtout les jeunes à faire bon usage de leur présence dans l’arène numérique », qu’il considère comme un relais efficace de l’action de l’Eglise. Rien de tel que des jeunes fidèles convaincus, pleins d’enthousiasme et de conviction, pour relayer la parole du Pape, propager la pensée catholique à travers le monde et séduire de nouveaux partisans.
Ce n’est pas un hasard si le Vatican mise autant sur cette opération séduction à l’ère d’Internet, car malgré tout, l’Eglise catholique est en perte de vitesse face à d’autres religions qui ont le vent en poupe et dont la présence sur le Web est indéniable. Le Dalaï-lama par exemple, peut revendiquer à lui seul près de 4,4 millions de fans sur Facebook, répartis sur 290 pages et 71 groupes. Les églises protestantes quant à elles jouissent également d’une très belle notoriété sur la toile.
La présence numérique du Saint-Siège est également un redoutable et vaste outil de maîtrise des flux d’informations. En effet, pour prévenir ou anticiper tout nouveau scandale qui renverrait, entre autres, au mauvais souvenir de l’affaire Vatileaks, mieux vaut avoir la mainmise sur l’ensemble des informations liées de près ou de loin au Pape et à l’Institution, afin de couper court à toute tentative et ainsi d’éviter tout risque d’entacher à nouveau l’image de l’Eglise.
Enfin, l’usage d’Internet comme canal de communication permet de maîtriser les interventions du Pape et les messages qu’il souhaite véhiculer, tout en évitant des protestations de la part de populations n’adhérant pas à la vision et aux idéaux de l’Eglise catholique. Pour un sujet sensible tel que le Sida, la stratégie informationnelle du Vatican sera d’inonder la sphère numérique de l’ensemble des actions menées pour la lutte contre la pauvreté en Afrique, la mise en place de dispensaires pour accueillir et soigner les malades, et ce afin de faire passer presque inaperçu les propos du Pape, qui appellent les populations à ne pas faire usage du préservatif.
Le Vatican assied pleinement son soft power en accaparant autant que possible la sphère numérique. Cependant, le Saint-Siège n’est-il pas en train de perdre le contrôle de son Pape ? Car à trop vouloir communiquer, le nouveau souverain pontife s’embourberait presque dans une « sur-communication », toujours plus proche du peuple et de ses fidèles, quitte à devenir trop familier, trop spontané voire presque anticlérical, et à en oublier que la parole qu’il porte est une parole officielle.

Camille Studer

Bibliographie