Finalement, ils l'ont fait. Dix mille des 24.650 médecins du secteur 2 que compte le pays gèlent leurs honoraires à compter de ce 1er décembre. C'est l'une des dispositions de l'accord d'octobre 2012, conduit par Marisole Touraine.
Mais il y a encore des médecins à réclamer leur liberté tarifaire.
L'accord de 2012 prévoyait la prise en charge d'une fraction des charges sociales des praticiens en échange d'une engagement de ces derniers à ne pas franchir le niveau moyen des tarifs pratiqués l'année précédente, de ne pas dépasser 100% du tarif de la Sécurité sociale (56 euros chez un spécialiste), et de réaliser 30% des actes à ce tarif de base.
Il y a encore des médecins, nombreux, opposés à cette "atteinte à leur liberté tarifaire". L'an dernier, un collectif de "médecins pigeons" a fait campagne sur le Net, à l'initiative d'un plasticien qui râlait contre la hausse de TVA envisagé sur les travaux esthétiques non médicaux: "Nous sommes opposés à une limitation de ces dépassements qui, contrairement à ce que veut faire croire le gouvernement, ne constitue pas une menace pour l’accès aux soins". On croit rêver.
Cette même liberté tarifaire est même avancée comme déterminante pour stimuler les vocations.
Vraiment ?
1. Les dépassements d'honoraires ne cessent d'augmenter (près de 2,5 milliards d'euros), notamment à cause de l'installation croissante de médecins en secteur 2 (honoraires libres). 60% des nouveaux médecins choisissent le secteur 2.
On recrute davantage nos médecins de secteur 1, notamment à l'hôpital, ... à l'étranger (+43% entre 2008 et 2013): 9% des médecins en activité, près de 20.000 praticiens. " 24 % des nouveaux inscrits ont un diplôme obtenu hors de France (11,4 % européen, 12,7 % extra-européen) " notait l'Ordre des médecins en juin dernier.
2. On compte chaque année un peu plus de médecins, mais moins de généralistes. L'Ordre des médecins vient justement de publier un bilan pessimiste, l’édition 2013 de son atlas régional. Globalement, le nombre de médecins a certes augmenté de 0,9% entre 2007 et 2013 (215.865). Mais certaines régions perdent des effectifs médicaux: -2,3% dans le Centre, -4,2% en Ile-de-France. "Paris se vide de ses médecins généralistes" s'inquiète le Monde. Il est passé de 5.700 en 2007 à à peine 4.800 l'an dernier. En cause, le coût de l'immobilier, hors de prix dans la capitale. L'âge moyen des généralistes est donc élevé : 54 ans. Plus généralement, le nombre de généralistes est en baisse sur l'ensemble du territoire.
3. La santé coûte cher, quel scoop ! Le vieillissement de la population n'est pas là pour arranger les choses. En France, en 2012, la consommation médicale (soins de ville, hôpitaux, médicaments) était estimée à 183 milliards d'euros, soit 2.806 euros par habitant et par an. Mais il faut ajouter quelque 60 milliards d'euros (indemnités journalières, prévention collective, subventions reçues par le système de santé, recherche, formation et administration sanitaire) pour globaliser l'ensemble des dépenses de santé.
4. Le reste à charge des patients s'élève déjà à 18 milliards d'euros. Ajoutez-y les cotisations sociales (la Sécu se paye !), et les cotisations aux mutuelles (pour celles et ceux qui en ont). Bref, le coût de l'accès aux soins n'est pas qu'une question de Sécurité sociale, mais aussi la réalité de milliers de foyers.
D'après une étude du service statistique du ministère de la santé publiée en septembre dernier, la part de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) financée par les ménages s’élevait à 9,6% en 2012, comme en 2011. Les mutuelles couvraient environ 14% du total. Les trois quarts restants étaient couverts par la Sécurité sociale.Mais dans le détail, les frais de médicaments sont moins bien remboursés depuis 2008 (nouvelles franchises médicales et nouveaux déremboursements).
5. On estime à 4 millions le nombre de Français sans complémentaire santé. Sans compter ceux dont la mutuelle rembourse mal: "une part importante de la population, située juste au-dessus du seuil de la CMU, n’est pas ou est très mal couverte par une complémentaire santé" notait l'Observatoire des inégalités.
6. La précarité médicale est une réalité: la CMU couvre 4 millions de personnes. Quelque 4 autres millions de personnes bénéficient de l'ACS (aide à la complémentaire santé), qui leur procurent le même accès au soin que la CMU. Un régime où les lunettes, par exemple, ne couteraient que 10 euros la paire...
Bref, qui peut prétendre que des honoraires déréglementés ne sont pas un souci ?