Certaine images restent gravées dans la mémoire. Des bonnes, des tristes aussi parfois. Mais aujourd'hui, c'est un des instantanés les plus conviviaux et heureux de ma vie qui s'est imprimé. Je retiendrai beaucoup de cette si belle arrivée après ce si beau voyage.
Une joyeuse bande de coureurs qui remonte, au nez et à la barbe des automobilistes et devant leq badauds surpris, la Via , du château San Angelo à la place Saint Pierre, trois de mes amis romains ouvrant la voie devant moi avec des fumigènes aux couleurs de l'Italie, ce n'est tout de même pas courant! Mais avant ces derniers hectomètres un peu fous grâce aux coureurs romains qui s'y entendent pour mettre l'ambiance, j'avais déjà pu savourer à sa juste valeur cette dernière journée de course sur la Via Francigena.
Savourer. C'était vraiment mon ambition aujourd'hui et je peux dire que je pense l'avoir atteinte. Après une nuit plutôt insomniaque, je dors mal ces derniers temps, peut être un mélange de fatigue er tout de même d'excitation inconsciente vers l'objectif qui s'approche, j'ai plaisir à retrouver, outre Stefano, Sergio, Gabriele et Didier, mes trailers romains d'avant hier, Marco et Massimo, accompagné cette fois de Simone. Ils nous rejoignent dans la belle cours intérieure de l'Ostello-bibliothèque de Formella, emmitouflés comme si la banquise était descendu jusqu'à Rome. Il est vrai que pour ce dernier jour à "l'assaut" de la capitale, il ne fait pas chaud. Mais le vent glacé semble calmé et le soleil commence à briller dans un ciel parfaitement bleu lorsque nous repartons dans la campagne.
Le parcours est d'ailleurs étonnant. Une paisible campagne, des collines et des bois. On a du mal à croire qu'on est tout près de la ville qui, longtemps, a dominé le monde. La banlieue ici a des airs champêtres. Savourer cette tranquillité.
Après quelques kilomètres, et une petite erreur de parcours pour Didier et moi qui caracolions en tête du groupe, nous quittons le tracé officiel de la Via Francigena pour entrer dans la cité éternelle par une voie plus verte, la piste cyclable du Tevere, que Stefano et Sergio Gallicet ont reconnu en septembre. C'est une bien meilleure solution que le chemin balisé. Gabriele, par acquis de conscience professionnelle, ira vérifier: c'est dangereux et affreux, sur des routes très empruntées et sans protection pour les pauvres pèlerins.
Pas de Via Triomphale donc pour rentrer dans Rome mais une voie verte qui me va bien.
Juste avant de la découvrir, nous faisons une pause dans un café de Lavara, la dernière petite localité avant Rome sur notre parcours. Mes compagnons de route font ma publicité et expliquent d'où je suis parti, il y a 46 jours. Derrière le comptoir, c'est l'enthousiasme. On m'offre le cappucino, une petite séance photo avec le patron est organisée, devant les prestigieux maillots de foot qui décorent la salle. On m'y fait remarquer celui de l'équipe de France.
Savourer. Également ces moments de convivialité, cet enthousiasme si agréable et spontané que j'ai certes déjà rencontré ailleurs mais qui mescorte avec tant de gentillesse ici, depuis le Val d'Aoste jusqu'au Lazio. Savourer l'Italie comme un vin qui pétille.
Nous repartons. Quelques mètres moins drôles pour passer sous l'autoroute et ensuite la piste commence. Une vraie bonne surprise. Le Tibre est calme, ses bords tranquilles et verts. On voit des vaches et des cormorans.
Dans ve décor idyllique pour un dernier trot, j'allonge un peu la foulée. J'en rêvais de pouvoir finir ainsi, en profitant d'une bonne forme, à pleins poumons. Seuls Simone et Didier reste avec moi. Un peu plus loin, derrière le vélo de Stefano, je me fais plaisir en accélérant encore. Pour les sensations, pour me tester. Pour savourer surtout le bonheur de terminer mon voyage sur mes deuw pieds et avec des jambes qui en redemandent.
J'avais rêvé de ces foulées, le long du Tevere. Quelques instants fugaces où, en suspension, j'ai l'impression d'être à ma place. Tous ces projets, ces voyages à pied, ne sont pas complètement vains. Je l'ai senti dans l'enthousiasme des amis qui ont partagé mes pas, dans les encouragements des lecteurs. Je le ressens, aussi, en courant ainsi le long de ce fleuve antique.
Cette Via Francigena m'a aussi permis de me retrouver, en tant que coureur. Depuis 2009, même si je fus très heureux d'avoir réalisé quelques tres beaux voyages à pied, notamment l'Himal Race, le Saint Jacques ou les 88 temples, qui furent eux aussi des experiences tres fortes et pleines de sens pour moi, je n'avais guere ressenti de telles sensations de coureurs depuis ces quatre dernieres années, la faute sans doute a une vie intense de tous les cotes, que je ne regrette nullement. Mais c'est vrai que j'ai pris un plaisir unique a me sentir assez fort pour courir ainsi a travers l'Italie.
Je pense aussi, en deployant ma foulee malgre tout de même une certaine fatigue accumulee, qu'il y a un an pile je n'etais pas du tout dans cet etat de forme et ces dispositions d'esprit. Je venais juste de recuperer des bras libres d'atteles et j'etais bien abbatu par un nouvel amour decu. Le Colisee est proche de la roche tarpeine, mais l'inverse est vrai également tant que l'on garde espoir.
A ma place. Je le suis en remontant le fleuve romain pour ces derniers kilometres. Savourer cette vie, malgre les doutes, le manque de certitudes quant a un avenir de funambule. Quite a vivre dans deux valises et souffrir aussi, souvent, d'une certaine solitude. C'est sans doute le prix a payer de la liberte a laquelle j'essaie d'acceder. Mais ce n'est pas non plus forcement une malediction definitive. Je n'ai aucune certitude, si ce n'est celles de Dieu, de la beaute du monde et de la mort. Alors j'avance ainsi, je vais mon chemin.
Mais aujourd hui, je suis tout sauf seul. Je ralentis pour attendre mes amis. Ils sont la pour moi et ca me touche beaucoup.
Il nous reste 10 kilometres a parcourir, tous ensemble. La piste cyclable nous emmene calmement aux portes de la cite. Un passage en haut des quais: nous sommes déjà dans Rome. Encore trois kilometres.
Nous redescendons sur les bords du Tibre. Sergio, le papa de Stefano, et Gabriele nous attendent. Un autre coureur s'est également joint a nous quelques kilometres plus avant. Nous serons dix a debouler place Saint-Pierre.
Encore quelques ponts, un passage un peu boueux comme un clin d'oeil a mon parcours toscan, et nous remontons une volee d'escaliers vers le château Saint-Ange, pour le feux d'artifice final. Fumigenes, sifflets, on ne passe pas inapercus! Sous le ciel bleu, la place a vraiment de l'allure pour cette arrivee que je n'oublierai pas.
Le soir, après un peu de repos, je dine tranquillement avec Sergio, Stefano et Didier dans un Road House Grill, un restaurant de viande de qualite de la chaine geree par Nicolas, qui nous y a invite. Une belle conclusion, encore sous le signe de cette amitie europeenne qui a accompagne mon voyage.
Maintenant, il va me falloir revenir. Certes, mon corps va apprécier les quelques jours de repos prevus. Mais c'est vrai aussi que je crains un peu ce retour, pas tellement dans l'immediat car je vais repartir en voyage et etre plus qu'occupe, mais ensuite, dans le creux de l'hiver, quand je retrouverai ma solitude de mes 19 m2 d'Aix les Bains. Le revers de la medaille que j'evoquais tout a l'heure.
Mais avec de telles bonnes vibrations, je devrai pouvoir encore surfer longtemps sur cette belle vague et pouvoir attraper la suivante sereinement!