Rencontre avec Gui Amabis

Publié le 30 novembre 2013 par Boebis @bonjoursamba

(Gui Amabis par Adriano Moralis, lors du concert de lancement de Memórias Luso Africanas à SESC Pompéia en Août 2011)

Son magnifique Trabalhos Carnivorios était un de nos albums de l'année 2012, et nous vous avons parlé récemment de Memorias Luso-Africanas à l'occasion de sa sortie (digitale) hors du Brésil par le label anglais Mais Um Discos. Pour en savoir plus sur le passionnant Gui Amabis, dont la presse francophone ne s'est guère fait l'échos, nous avons décidé de l'interviewer.

Vous sortez votre premier album hors du Brésil, mais vous avez déjà un long CV. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos expériences avant Memórias Luso-Africanas ?

Gui Amabis:J’ai toujours été attiré par la musique mais ce n’est qu’à 22 ans, sous l’influence de mon frère Rica, que je me suis décidé à me lancer. Je jouais déjà de la guitare et je chantais des chansons d’autres artistes, principalement Bob Marley et Robert Johnson, mais je sentais que j’avais besoin de connaître plus de théorie. Donc je suis allé étudier avec un musicien/guitariste brésilien qui s’appelle Leive Miranda.

J’ai étudié le chant et la théorie musicale avec lui pendant 4 ans, ça a été là que j’ai décidé de jouer professionnellement. J’ai été chanter dans des soirées, mais ça ne me rendait pas heureux, je revenais triste chaque nuit. Je crois que je ne sentais pas l’envie de chanter des chansons d’autres personnes.

A ce moment, mon frère, qui voyait mon insatisfaction professionnelle m’a présenté Antonio Pinto. Antonio venait de sortir la BO de la Cité de Dieu et était à un moment incroyable de sa carrière. Je n’avais jamais travaillé dans la production musicale, ni avec des ordinateurs, mais malgré ça, Antonio a cru en moi et m’a accepté dans son studio. Je suis devenu fou de ce monde, je me suis passionné pour les bandes originales, j’étais le premier à arriver au studio et le dernier à en sortir.

Après un an, je ne croyais pas ce qui se passait, j’étais à Los Angeles, en train de composer et faire des arrangements pour des films comme Lord of War (NDLR:d'Andrew Niccol) et Collateral (NDLR: de Michael Mann). J’ai compris à ce moment que ma plus grande passion était composer et arranger. En même temps j’ai senti que j’avais des idées qui musicalement n’était pas exprimables, alors j’ai commencé à écrire des paroles, et à ce moment est né le projet « Sonantes ». Ça a été mes débuts comme compositeur de chanson.

Le travail sur le son, l’atmosphère, les arrangements est assez extraordinaire. Vos expériences comme producteur et compositeur de BO vous ont-elles influencé et si oui comment ?

Gui Amabis: Bien sûr. J’ai commencé à composer pour les musiques de film, j’ai appris à produire et arranger avec elles également. Parfois, le plus important dans une BO est l’arrangement et la texture sonore. Je crois que ça m’a aidé à créer une identité.

(Criolo, par Adriano Moralis, lors du concert de lancement de Memórias Luso Africanas à SESC Pompéia en Août 2011)

Memórias Luso-Africanas raconte l’histoire de vos ancêtres. Pouvez-vous nous en dire plus pour tous les francophones qui ne comprennent pas le portugais ?

Gui Amabis: Comme beaucoup de personnes au Brésil, je descends de Portugais et d’Africains. J’ai toujours été curieux de ça, de comprendre cette relation, comment ça m’a formé. Par chance, j’avais une grand-mère et un père qui aiment raconter des histoires, et ça m’a enrichi comme être humain. Mon père était petit-fils d’esclaves africains et ma grand-mère a quitté le Portugal pour le Brésil dans une condition presque identique, elle a eu une vie très riche et intéressante. L’union de mes parents n’a pas non plus été facile, mon père descendant d’esclaves et ma mère de Portugais ont dû rompre avec une partie de la famille pour vivre leur amour. J’ai fait ce disque en hommage à toutes ces personnes et ces expériences.

Presque tous les morceaux sont chantés par d’autres chanteurs comme Céu, Criolo ou Lucas Santtana. C’est assez inhabituel par rapport au dogme de « l’auteur-compositeur-interprète », où l’auteur-compositeur interprète habituellement ses propres chansons. Ça nous rappelle l’approche de Kiko Dinucci dans son album Na bocas do outros...

Gui Amabis: Je sentais ce disque comme un hommage à l’union des ethnies, un disque métisse. Rien de plus naturel que d’avoir plusieurs voix pour raconter ça. Je crois aussi que je n’étais pas sûr de moi pour assumer le rôle de chanteur. Aujourd’hui je ne me sens plus comme ça, tout a été très naturel.

(Céu, par Adriano Moralis, lors du concert de lancement de Memórias Luso Africanas à SESC Pompéia en Août 2011)


A côté de ce super casting au chant, Memórias comprend beaucoup de musicens géniaux de São Paulo (Thiago França, Rodrigo Campos, Marcelo Cabal, Curumin) où qui s’y sont installés (Siba, Regis Damasceno).  Qu’est ce qui se passe actuellement dans cette ville et dans la musique indépendante brésilienne en général ? Vous identifiez vous avec une telle « scène ? D’un point de vue « gringo », la qualité de ce qui sort est très impressionnante.

Gui Amabis: Je crois que cette génération a perdu le respect pour les icônes du passé. Je dis ça dans le bon sens. Les musiciens comme Chico Buarque, João Gilberto, Dorival Caymmi et Milton Nascimento ont établi un niveau très haut, et je crois que ça a intimidé beaucoup de personnes de faire une musique indépendante et d’auteur.

L’autre chose qui aide est la facilité d’enregistrer. Des personnes qui n’auraient jamais eu la chance d’enregistrer leurs chansons le font en ce moment. Durant longtemps, les seuls qui enregistraient étaient ceux qui dépendaient d’un label et durant les années 80 et 90 seulement ceux dont on pensait qu’ils vendraient beaucoup de disques étaient choisis. Je crois que São Paulo attire beaucoup de personnes pour les opportunités qui y sont présentes. Je ne vois pas une scène cohésive mais bien beaucoup de personnes qui font de la musique

Nous avons écouté votre second album Trabalhos Carnívoros qui sorti l’année dernière au Brésil. Regis Damasceno (Cidadão Instigado, Mr. Spaceman..) semble avoir un rôle plus important que sur Memórias. De plus, vous êtes désormais le chanteur principal. Pouvez-vous nous parler plus de cet album ?

Gui Amabis: J’ai connu Regis durant l’enregistrement de Memórias, j’ai senti sa musicalité, son bon goût. Quand j’ai commencé à composer Trabalhos, j’ai tout de suite pensé à lui comme partenaire. Je crois qu’il est un des musiciens les plus talentueux avec qui j’ai travaillé. On a fini par composer deux morceaux ensemble et il s’est occupé de la production du disque avec moi.

Il est différent de mon premier disque, je sentais que c’était un disque personnel, ça n’avait pas de sens d’avoir d’autres voix, c’étaient mes histoires. J’étais plus confiant pour chanter et me positionner sur scène dans cette fonction.

C’est un album qui mélange beaucoup de choses, qui tente d’unir la religion, la biologie, et l’amour dans une unique conception. Des choses qui sont opposées mais qui d’une certaine manière se complètent. Il parle de la condition humaine et de comment je me sens homme sur ce plan.

(Lucas Santtana, par Adriano Moralis, lors du concert de lancement de Memórias Luso Africanas à SESC Pompéia en Août 2011)

Quels sont vos prochains projets?  Trabalhos Carnivoros va-t-il sortir hors du Brésil?

Gui Amabis: Je travaille sur la BO d’une série TV et je produis deux disques de deux chanteuses, une brésilienne et une autre portugaise. L’année qui vient, mon second disque sera lancé en Europe par le même label [Mais Um Discos] qui a lancé le premier et je pense également commencer l’enregistrement de mon troisième disque.

Nous avons eu la chance de voir des artistes présents sur Memórias à Paris ces dernières années (Criolo, Céu, Tulipa Ruiz, Lucas Santtana, Siba). Pouvons-nous espérer vous voir bientôt en France ?

Gui Amabis: J’espère que oui, j’ai très envie de jouer en Europe. Croisons les doigts!