Si vous avez la passion de la quiétude, vous l’emprunterez à la hauteur du cimetière et vous la remonterez en canot, maniant l’aviron en douceur. Fin de juin, la nature offre à l’œil attentif et patient une profusion de vie animale et végétale : nénuphars dans les anses minuscules, cannes sarcelles ou malards suivies de neuf ou dix canetons, clapotis des jeunes ouitouches qui sautent sous les aulnes rugueux qui surplombent l’eau noire… Et, au sortir d’un coude de la rivière, vous entendrez soudain comme un bruit de pompe aspirante et refoulante : oung-ka’chounk, oung-ka’choung, oung-ka’choung… Et kok-kok-kok ou ôc, ôc, ôc… Alors vous apercevrez un oiseau brun et trapu, au long bec, qui, de ses ailes larges et brèves, s’envolera avec lourdeur, sans grâce aucune, traînant de longues pattes jaunes derrière lui… Vous aurez fait la rencontre du butor américain.
Il est heureux que vous l’ayez effrayé, car vous ne l’auriez jamais aperçu – c’est un maître ès camouflage. Figé, bec pointé vers le ciel pendant des heures, cette immobilité hiératique confond à merveille ce petit héron d’une soixantaine de centimètres avec les souches ou chicots de mêmes couleurs que l’on retrouve dans les fourrés herbeux du rivage où, au garde-à-vous, il affectionne attendre ses proies : grenouilles, écrevisses, couleuvres, vairons…
Il est le Louis Armstrong des lieux sauvages et humides. Le chantre à la voix éraillée des solitudes américaines. Son couac guttural apporte mélancolie et rêves aux pagayeurs qui longent les berges dans les crépuscules de l’été. Son œil jaune a tout vu de nos lacs, rivières et forêts, tout absorbé de la démesure des paysages de la taïga.
Cet oiseau de rivage est le compagnon fidèle, presque invisible, des excursions en solitaire et de ces feux nocturnes, lorsque grésillent les guimauves au bout des harts que tendent les enfants.
L’AUTEUR…
Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon du