Il s’est d’abord renseigné sur les chameaux. Un animal qui a d'la gueule. Mais trop cher. Puis il y a eu les lamas. Moins chers. Mais extrêmement sensibles à la solitude. Quand on en a un, il en faut nécessairement un second. Pour lui tenir compagnie. Et là, on se retrouve avec deux bestioles qui passent leur temps à glavioter sur tout ce qui bouge. Contraignant.
ChameauLama- Va pour un chien
Il part à la pêche au chien. Il veut un gros chien. Costaud. Un jour, une responsable de refuge l'appelle. Ce n'est pas le plus gros, ce n'est pas le plus costaud. Mais c'est celui-là. Sûr. Cosmo. Une bien jolie bête.
Après, c'est une simple histoire de bricolage et de logistique. Du bricolage pour mettre au point le chariot qui va servir à porter la charge. De la logistique pour établir une petite liste de matériel, organiser le tout et le charger. Effets personnels, matériel de camping, nourriture pour chien, eau, appareil photo, trépied, quelques bricoles... Le tout, sur le chariot et sur son dos.
Les flammes, c'est la bonne idée déco d'Aaron pour avoir un look improbable. Une petite touche fantaisiste.
Le 22 janvier 2002, Aaron Huey prend la route. à pied. Avec Cosmo et le chariot à flammes. Point de départ: Encinitas, Californie. Côte Ouest, donc. Direction: l'autre côté. New York. Cinq mille trois cents quarante-neuf kilomètres plus loin. À pied, donc. Marchant le plus souvent le long des routes. C'est là qu'interviennent les flammes - la bonne idée déco. Entre autres. Le chariot, les flammes, le chien... L'attelage a un capital sympathie assez conséquent. Les gens s'arrêtent. Posent toujours la même question. What the fuck? Qui donne toujours lieu à la même réponse. Just a walk across America. Là, les réactions diffèrent. Il y a celles et ceux qui fouillent dans leur poche pour lui lâcher un bifton de 10 ou 20 dollars - histoire de participer, d'aider. Il y a celles et ceux qui fouillent dans leur bagnole, dans leur coffre, là où sont rangées les courses, et lui lâchent un truc à becter. Il y a celles et ceux qui offrent gîte et couvert.
Cinq jours par semaine, Aaron va être hébergé chez l'habitant. Sans jamais rien demander à personne.
Parfois dans une famille qui l'accueille quelques jours. Parfois dans une vieille caravane déglinguée, paumée dans la pampa.
Quand on voyage seul (à pied, en vélo, en bécane, à dos d'âne ou avec un chariot à flammes et un chien), il y a cette singulière sensation qui saisit le voyageur: l'étrange sensation d'être à poil. Ce n'est pas nécessairement angoissant ou incommode. C'est juste là. Chaque rencontre le rappelle. T'as l'zboub à l'air, cowboy...
Ce voyage, c'est aussi et surtout de longues heures à passer par là. Et la photo sert à imprimer le souvenir dans la mémoire. Elle aide.
Des trucs chopés à la volée. Se souvenir d'un lieu, d'une couleur.
Des gueules croisées le temps d'un regard, d'une soirée dans un bar.
Il y a toujours un soupçon de tristesse dans les clichés d'Aaron Huey. Un truc, dans les yeux, dans les couleurs, que ce lascar avec son chien peluche et son chariot à flammes titille. Le capital sympathie de l'attelage se transforme en révélateur.
Cent cinquante-quatre jours durant, son appareil autour du cou, il croque. Il tient également un journal: une consigne d'états d'âme, de dates et de relevés kilométriques.
Et puis, un jour, il arrive à New York. Parce qu'il fallait bien arriver un jour. Et là, il trinque un peu. Il va falloir redescendre. Rentrer chez soi, bouffer, payer les factures.
Il va avancer. Le photo-journalisme va devenir son gagne-pain. L'Afghanistan, le Pakistan, la Russie récemment. Beaucoup les États-Unis, où il s'intéresse à la cause des Indiens et à leur éradication violente. Il va se marier, faire un môme. Il va se laisser emporter.
De temps en temps, un picotement dans l'estomac. Pas grand chose, pas de quoi bouffer du plâtre. Juste une vibration. Une réminiscence. Alors il se plonge dans les clichés de ce voyage. Se souvenir...
En savoir plus:
- son site officiel
- Wikipedia
- une conférence (vidéo) donnée en 2010 au cours de laquelle il explique son voyage