Si l'on pouvait réduire le charisme à sa plus simple expression, il serait l’antithèse de l’indifférence, sans teinte de valeur. Comme tout le monde – le rédacteur de ce test y compris - semble avoir une opinion sur la personnalité de David Cage, fondateur et PDG du studio de développement français Quantic Dream, son charisme porte mais aussi entache tout ce que ses mains créent. Alors, même si nous souhaitions prendre un titre comme son dernier enfant, Beyond : Two Souls, uniquement pour ce qu'il est, ce serait impossible.
Du juvénile The Nomad Soul au polar ludique mature Heavy Rain, sans oublier l'expérimentation que fut Fahrenheit, les productions du plus hollywoodien des créateurs de jeux vidéo de l'Hexagone ont toujours évolué de manière cohérente. Alors que David De Gruttola (de son vrai nom) est maintenant ancré dans l'Histoire du jeu vidéo en qualité de designer de narration ludique, à un moment où le média est encore adolescent, ses productions sont majoritairement critiquées pour ce qu'elles n'ont jamais eu l'ambition d'offrir. Mais comme il est peu concevable qu'un détracteur profond puisse avoir envie de lire ces lignes, ce test a été écrit par un esprit qui accepte tout pacte auteur/joueur. Ainsi, même s'il est toujours soumis au prisme de subjectivité de son auteur, cet avis s'astreindra à ne parler que de jeu. Mais peut-on réellement parler d'un jeu ?
I see dead people
Jodie Holmes n'est jamais seule. Reliée à elle, une entité spectrale du nom de Aiden communique et interagit avec son monde. Elle est la seule à l'entendre. Mais les autres peuvent craindrel'esprit. Le scénario de Beyond : Two Souls nous raconte, sur une quinzaine d'années, l'histoire de cette enfant, cette fille puis cette femme qui vit avec une âme près d'elle. Avec sa bonne durée de vie, attendez vous à passer de nombreuses heures auprès de ce duo original.
Le scénario de Beyond : Two Souls est un puzzle, gigantesques éclats de vie qui se reconstitueront à mesure que vous progresserez dans le jeu. L'architecture scénaristique est l'une de ses merveilles. Même éclatée, l'histoire reste totalement claire au milieu des allers et retours à travers les fissures du temps. Adoptée. Trahie. Amoureuse. Importante. Dangereuse. Chaque chapitre se joue comme un épisode d'une immense série, haletante mais, comme dans tout show, avec des moments inégalement prenants. Si le postulat de Beyond : Two Souls mène vers l'idée d'une œuvre issue du répertoire Fantastique, c'est en réalité beaucoup plus profond que cela. Peut-être même trop en vérité, car en souhaitant multiplier les casquettes, le script tourne tour à tour en histoire de science-fiction, d'horreur, de drame réaliste, d'espionnage, de guerre, d'anticipation, d'amour, etc. Si nous saluerons la diversité du titre, il manque une cohérence et un choix précis - comme en proposait Heavy Rain en son temps. En voulant être tout, Beyond n'est personne. Un amas de liens entre les genres qui aura vite fait de désintéresser beaucoup de joueurs. Ce wonderbra de la narration, hypnotique mais décevant, pourra peut-être vous plaire. Mais nombreux sont ceux qui déploreront l'absence d'une ligne directrice claire dans l'écriture, ainsi qu'une fin assez décevante, du moins pour votre serviteur. Cherchant péniblement à nous tirer les larmes durant les dernières minutes, on attendrait presque l'apparition d'un chaton handicapé et anorexique comme ficelle pour obtenir nos pleurs avant l'apparition des crédits du jeu. Pourtant, l'émotion est bel et bien présente pendant l'aventure.
Dans Beyond : Two Souls, le chemin est clairement plus prenant que son but. Mais, encore une fois, les mélanges de genre fonctionnent très mal, surtout dans l'opposition entre le réalisme et le fantastique. Comme dans Fahrenheit, ces deux pôles forment le nerf de l'histoire. D'un côté, nous avons la confrontation de Jodie au monde réel, et de l'autre la découverte du monde des esprits - nommé infra-monde. Les deux sont intéressantes, mais il y a un vrai problème d'écriture dans la partie fantastique, la rendant finalement peu inspirée et convenue. Il y a pourtant des moments de gloire où l'on pense glisser vers des choses intéressantes, comme le chapitre des Navajo. Mais au lieu d'aller au bout de ses idées, le background devient trop dense et indigeste en passant constamment à autre chose, au lieu de se diluer un peu pour nous laisser respirer. Cela est sûrement dû à la volonté du studio d'offrir plus de rythme, en contraste avec Heavy Rain qui se voulait à juste titre lent et immersif. Ne vous méprenez pas, ceux qui seront sensibles au gameplay adoreront jouer ces séquences. Mais elles ne laisseront pas un souvenir impérissable de Beyond : Two Souls. Les moments les plus intéressants du jeu sont ceux où l'on suit la vie de Jodie sans ces artifices scénaristiques. Dans la rue en tant que SDF, enfant face à la solitude, militaire en face d'un enfant soldat, ces petites tranches de vies remplies d'émotions sont celles où les caractères se dévoilent. Nous regretterons cette propension assez dérangeante à mettre des archétypes usés pour certains personnages, comme l’adolescente rebelle qui s'habille forcément en noir et écoute du rock qui tache. Mais ils sont utilisés à bon escient pour conduire le joueur vers des moments intéressants. Encore faudrait-il que le scénario éclaté ne nous spoile pas la fin du jeu. Saluons tout de même l'extraordinaire bond en avant au niveau de la mise en scène et de la réalisation. Techniquement, le jeu est d'une beauté époustouflante. Sans cesse repoussées, les limites de la PlayStation 3 vont ici vers un niveau semblable à The Last of US. Mais la diversité des décors que vous découvrirez en voyageant à travers le monde place la barre nettement plus haut. L'ambiance sonore et musicale, somptueuse, soutiendra tout ceci pour le bonheur de vos oreilles, vous offrant une expérience digne de n'importe quel blockbuster hollywoodien. Un régal. Mention spéciale pour les animations. Si on oubliera finalement vite la présence d'Ellen Page (Juno, Inception) et de Willem Dafoe (Spider-man, Antichrist) au casting afin de se concentrer sur l'aventure, on ne peut que constater que des acteurs ayant une énorme expérience offrent une véritable plus-value sur ce genre de titre. Simple, la performance d'acteur fonctionne toujours.
Comme mentionné plus haut, la déconstruction scénaristique est l'une des grandes forces de l'histoire. Malheureusement, cet atout assassine le gameplay. Car savoir que Jodie et Aiden survivront jusqu'à un certain point empêche d'éprouver la peur que l'on pouvait ressentir dans Heavy Rain. La force du polar de Quantic Dream résidait dans le fait que tous les personnages pouvaient mourir pendant l'aventure. Ici, vous ne craignez rien. Rien jusqu'à un certain point du scénario qui est sans cesse repoussé. On pourrait alors avoir de l’empathie pour les personnages. Mais Jodie et Aiden n'ont que peu d'incidence sur leur destin. Le tout se limite en vérité à des scènes d'action où l'on doit réussir des QTE pour sauver tel ou tel personnage. Le jeu étant d'une extrême facilité à ce niveau, on aurait aimé plus de choix où notre propre survie et celle des autres sont en jeu. Si les choix cornéliens existent, ils sont malheureusement peu nombreux. Il semble que même la narration élastique de David Cage s'est envolée, ne laissant plus qu'un jeu à marge de manœuvre restreinte, avec de multiples fins dont le choix ne se jouera que sur quelques décisions pendant les dernières minutes du jeu. Une véritable déception, même si on ne se rend compte de la farce qu'une fois le jeu achevé.
Si la sentence paraît dure pour Beyond : Two Souls, c'est parce que Heavy Rain a changé la donne. Inspirant de nombreux titres, nous avons vu fleurir des merveilles de jeux narratifs. Une vraie résurrection des éléments positifs du point & click, qui semble ici mis à la trappe par volonté de plaire au grand public. Mais même si Beyond : Two Souls n'arrive pas à la cheville d'Heavy Rain ou des dernières productions de Telltale, telles The Walking Dead et Wolf Amoung Us, il plaît néanmoins. Comme dit plus haut on apprécie l'aventure, se prend au jeu et ne s'ennuie finalement pas une seconde. Les séquences de jeux sont suffisamment variées et intenses pour vous emmener dans chaque coin du ring. Alors quel est le problème de Beyond : Two Souls ? La réponse ne fut pas évidente à trouver et pourtant elle est simple : c'est un blockbuster qui s'assume. Un énorme divertissement efficace qui supprime toutes les ficelles superflues afin de vous faire passer un bon moment. Et le jeu de Quantic Dream réussit son pari haut la main. Le gameplay supprime le superflu de façon assez intelligente. Si l'on garde les informations relatives aux dialogues, le reste est mis en scène de façon agréablement plus subtile. Les déplacements de Jodie sont plus agréables que ceux des personnages de Heavy Rain. Lorsqu'un objet intéressant est à proximité, un petit point apparaît à son emplacement. Il suffit d'une pression sur le joystick dans sa direction afin d'enclencher l’interaction. Globalement, les actions de Jodie sont plus cadrées et moins aléatoires. On perd donc l'intérêt né de la diversité de mouvement de Heavy Rain, mais on gagne en simplicité et clarté dans le gameplay. Au début de l'aventure, Jodie subit un entraînement militaire, dont l'intérêt est de vous apprendre les mécaniques principales du gameplay. Au lieu de montrer ces éléments par les icônes à presser ou déplacer, il faudra suivre les mouvements du corps de l’héroïne afin de savoir quoi faire. Un petit ralenti s'enclenche pendant l'action, vous laissant deux petites secondes pour réaliser le mouvement requis. Ainsi, si Jodie donne un coup de poing à droite de l'écran, vous devrez tendre le joystick à droite. Si l'obstacle devant elle peut être franchi par en-dessous, baissez-le. Encore une fois, on regrette qu'il n'y ait pas de véritable punition, ce qui est dû aux contraintes scénaristiques. Mais l'user interface transparente est efficace et ne coupe jamais l'action qui se déroule. C'est d'autant plus vrai lors des séquences d'infiltration. Que ce soit en zone de guerre ou contre les esprits, Jodie pourra s'accroupir et courir de cachette en cachette afin d'éviter le conflit. Telle une Snake en devenir, elle s'amusera à déclencher des bruits avec son esprit, pouvant se glisser dans le dos des ennemis pour les neutraliser furtivement. Ces séquences sont un vrai régal à jouer.
Aiden, l'entité spectrale, est totalement libre. Vous pouvez changer de personnage quand vous le voulez en pressant un bouton. Si vous avez eu la chance de jouer au FPS Geist sur Gamecube, sachez que Aiden suit exactement la même philosophie. Cette copie conforme de l’entité spectrale d'une des originalités de l'histoire du jeu vidéo n'est pas pour déplaire. Elle se dirige comme tout titre en vue à la première personne, avec la possibilité de se déplacer à travers les murs, d’interagir avec des objets tel un poltergeist et de prendre possession de corps, voire de les assassiner. Mais sa liberté d'action reste limitée par un fluide, sorte de câble le reliant à Jodie. Il ne peut aller trop loin sous peine de causer des douleurs à Jodie, obligeant le joueur à user des deux entités pour réussir.La complémentarité des deux personnages est très bien utilisée pendant le jeu. Que ce soit dans le calme comme en tempête, Quantic Dream est allé au bout de cette idée en nous offrant un maximum de situations variées. Vous vous plairez à jouer de la relation conflictuelle qu'entretiennent les deux personnages, sachant qu'en privilégiant l'un vous causerez du tort à l'autre. Mais nous vous laissons le plaisir de découvrir comme ce lien fut très intelligemment construit pour offrir de la variété et pousser le joueur à douter de ses choix.
Toi + moi
Si vous en avez l'occasion, faites l'aventure à deux. Votre serviteur a suivi l'aventure en solitaire avant de s'y essayer, et c'est avec regret qu'il s'est aperçu à quel point Beyond : Two Soulsoffre une saveur délicieuse en multijoueur, surtout en couple. La relation conflictuelle entre Jodie et Aiden donne l'occasion de littéralement troller l'autre joueur, par l’indifférence pour la jeune fille, par violence pour l'esprit. Mais étant indissociables, les joueurs devront s'entraider contre l’adversité, créant ainsi une véritable relation. Tout se joue sur le même écran, et les joueurs devront presser un bouton pour passer la main à l'autre joueur. Vous jouerez donc tour à tour, mais en discutant hors du jeu comme Jodie discuterait avec son Casper.
Sachez également qu'une application iOS et Android gratuite est disponible afin de jouer à Beyond : Two Souls. Les contrôles sont étonnamment ergonomiques, probablement grâce à l'épuration du gameplay de Beyond : Two Souls, qui n'utilise que les joysticks et deux boutons. Si votre compagnon de jeu a plus l'habitude de jouer sur son smartphone que de tenir uneDualshock dans les mains, vous pourrez ainsi lui permettre de contrôler son personnage via l'écran tactile de votre téléphone. Mais vous pouvez tout à fait parcourir l'aventure seul en utilisant ladite application. Avant de terminer cette critique, saluons l'extraordinaire masse de contenu disponible sur la création du jeu. Des vidéos aux artworks, il est toujours plaisant de voir un studio partager ses années de développement et ses petits secrets. Alors que Heavy Rain donnait libre accès au contenu du titre après l'avoir terminé, vous devrez cette fois-ci trouver des dossiers cachés dans le jeu. Chaque dossier vous donnera accès à un contenu, vous obligeant à fouiller partout. Si certains apprécieront cet effort pour la rejouabilité, la plupart trouveront dommage de ne pas pouvoir voir tout cela sans jouer au chercheur d'or. La majorité des joueurs ne seront en effet pas prêts à fournir un tel effort pour débloquer tous ces bonus, aussi intéressants soient-ils.