Déclaration d’amour aux loosers magnifiques
Llewyn Davis, musicien folk des 60’s, arpente New-York, ses clubs et les canapés des copains. Sans domicile, sans revenu, mais avec sa pile d’albums invendus sous le bras ; il court de désillusions en échec avec une distance et une désinvolture déconcertante. Ce prince de la loose va jusqu’à être « le frère du roi Midas » car il a une aptitude particulière afin de transformer « tout ce qu’il touche en merde ».Les frères Coen ont fait, depuis longtemps, des loosers, leur fond de commerce. Parfois sarcastiques, sans pitié jusqu’au grotesque avec leurs sujets (Intolérable cruauté, Burn after reading, Miller’s crossing,…) ; ici il traite Llewyn Davis avec beaucoup de tendresse et d’indulgence. Dans la même veine que « The big Lebowski », « O’brother » ; excepté qu’ils n’ont jamais pris autant de gants pour écorché un looser et en livrer un portrait aussi attendrissant. Et pourtant il cumule les ratés. Professionnellement : il prend le cash et renonce aux droits d’auteur d’un morceau qui deviendra un carton, et c’est que le plus gros. Sentimentalement : il met enceinte femme de pote, femme d’un soir et paie des avortements. Vie de famille : écrasé par une sœur et un père loin de ses choix de vie. Reconversion professionnelle : même dans la renonciation à la musique, il ne parvient pas à rebondir. N’ayez pas peur ; ce portrait de musicien raté n’est pas un film dépressif juste un souffle de mélancolie désabusée porté par un humour fin et des dialogues irrésistibles. Une touche proche des comédies douces amères de Woody Allen pointe bien souvent son nez.« O’brother » sorti en 2000 est clairement le frère jumeau de celui-ci dans une version urbaine. La musique est au cœur du film ; et après le blues des 30’s, le folk prend le relais ici avec le parti pris des Coen de laisser les morceaux dans leur intégralité. Une autre similitude tient à la parabole avec « L’Odyssée » d’Homère que l’on retrouve dans les deux opus. Dans le précédent le héro se prénommait Ulysse, ici c’est le chat roux après lequel court Llewyn. Et cet animal fugueur va l’emporter dans une mini odyssée jalonnée de rencontres avec des créatures inquiétantes et grotesques. Ce flot de rencontre offre une unité et une cohésion plus marquée que dans « O’brother » ; à part la parenthèse avec John Goodman. Ce personnage très Coennien m’est particulièrement sympathique mais son apparition coïncide avec une baisse d’intensité du film ; un interlude un peu longuet.Il aura fallu attendre leurs 16ème opus afin de voir les deux frères faire preuve d’autant de bienveillance. Et puis dans ce film il y a la douce Carey Mulligan que je suis content de retrouver à chaque fois.Grand prix du Jury au dernier festival de Cannes, ce prix récompense plus la mise en scène que le maigre scénario aux allures de balade folk. Les Coen à chaque plan nous montre Llewyn comme un être enfermé dans sa condition de looser. Choix ou fatalité. Les cadrages nous le montre toujours enfermé : chambrant de porte, couloir étroit, deux spectateurs réduisant le cadre de la scène… Et ce cadre devient de plus en plus serré pour montrer la réduction de ses marges de manœuvres. La photo aussi est très lécher et participe à nous plonger dans l’univers folk des 60’s.Le film choisit aussi de boucler la fin et le début, et pour ce motif ; il mérite même d’être revu ; afin d’interpréter avec justesse ce choix artistique. Et pour finir, quand Oscar range pour la dernière fois sa guitare, l’histoire, la grande, vient lui faire un pied de nez… que je vous laisse découvrir, alors ne lisez pas la suite… un inconnu à la voix nasillarde fait ses grands débuts sur la scène du Gaslight Cafe… Il a encore laissé passer sa chance. Décidemment.
Sorti en 2013