Maintenant qu'il entre à la Sorbonne avec l'étude que lui consacre un de ses professeurs, Christophe Genin, le Street art perd encore un peu plus de sa marginalité. Car c'est bien a une véritable étude universitaire que s'est livré l'auteur pour décrire toute la complexité d'un phénomène de société qui, d'ailleurs, commence quand ? Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est le Street art. L'auteur le définit comme un terme générique regroupant des pratiques de rues invasives incluant les graffitis, les tags, les frises (graffs), le pochoir, la peinture murale monumentale, pour ne citer ici que les manifestations les plus connues de ce phénomène social.
" Ne travaillez jamais ! "
Pour s'en tenir à l'époque contemporaine, le Street art pourrait bien remonter aux premiers slogans de Guy Debord au début des années cinquante, dont le " Ne travaillez jamais !" de 1953 marque une prise de possession de la rue certes politique mais également artistique aux yeux de son auteur. On peut imaginer que, parallèlement au Situationnistes, les Lettristes acceptent volontiers de figurer parmi les précurseurs de cette révélation. Les motivations des acteurs de cette appropriation de la rue sont diverses au fil du temps et au gré des pays. D'où la difficulté de dresser le tableau de ce qui, avant tout, s'est situé hors de la sphère du légitime, loin des espaces établis de la culture, avec une volonté alternative aux valeurs reconnues d'une société.
L'ouvrage, abondamment illustré, balaie un panorama très large sur tous les aspects historiques, géographiques de ce qu'il est difficile d'appeler mouvement tellement ses sources, ses objectifs sont variés.
Pour les artistes reconnus dans les circuits marchand, institutionnels, (Basquiat, Ernest-Pignon-Ernest par exemple), comment situer leur art au regard du Street art ? Basquiat, associé très vite au graffiti, s'en distinguait : " Mon travail n'a rien à voir avec le graffiti. C'est de la peinture, çà l'a toujours été !". Ernest-Pignon-Ernest est reconnu comme peintre, présenté comme tel dans les expositions, les musées.
Le Street art est-il toujours urbain ? Quels liens peuvent être établis entre le Street art et la bande dessinée ? Ce ne sont que quelques questions parmi toutes celles abordées par l'auteur.
Les fantômes de la liberté
A quel tournant est-il fait référence au sujet de ce phénomène mondial ? "Entre illégalité et patrimonialisation, entre contestation locale et consommation de masse" ce mouvement indocile n'échappe pas, on le voit bien de nos jours, aux forces de gravitation qui le ramènent entre les murs des galeries ou des musées, dans les courbes de la bourse des valeurs. Depuis le contestataire "Ne travaillez plus!" de Guy Debord, la flamme libertaire pourrait bien avoir été soufflée par la déflagration libérale. Les pochoirs protestataires de la guerre du Vietnam ont laissé la place à une catégorie de l'art :
"Ainsi, le Street-art est entré dans l'industrie de la mode, devenue une rubrique du marché de l'art et du design qui promeut des oeuvres cessibles (toiles, objets d'art, installations, vidéos, vêtements, accessoires de mode, objets de consommation courante), faites dans le style de la rue pour satisfaire une clientèle fascinée ou divertie par l'héroïsme canaille associé à la figure du graffeur, que cette clientèle soit un adolescent mimétique en mal de modèle d'identification ou une grande bourgeoise blasée en mal de frisson".
Dead drops
Faut-il en conclure que l'art des rues est mort ? Le livre n'évoque pas une nouvelle et étonnante approche numérique de cet art des rues: le" Dead drops"
Né à New York en 2010, le concept a depuis envahi les grandes villes d’Europe. On en trouve aujourd’hui à Paris, à Barcelone, à Londres, et même à Bordeaux, Lyon ou Rennes.
Voilà donc la plus récente manifestation d'un Street art à la mesure d'une époque dominée par l'ordinateur, par internet, accessible à tous, libre. Pour combien de temps ?
"Le Street art au tournant"
Christophe Genin
Les Impression Nouvelles 2013