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Enseignement de l’informatique : à propos de culture générale

Publié le 29 novembre 2013 par Davidfayon

A la rentrée 2012 a été créé en Terminale S un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique ». A la rentrée 2013, un enseignement d’informatique a été mis en place pour tous les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques. Ces premiers pas vers un enseignement de l’informatique pour tous les élèves, composante de leur culture générale, en appellent d’autres, car c’est de cela qu’il s’agit. Les actions menées ont permis ces avancées, après la traversée du désert de la science informatique qui a suivi la deuxième suppression en 1998 de l’option informatique des lycées d’enseignement général (1).

Ces actions s’accompagnent de nombreux débats, récurrents (2). Ils portent sur de nombreux thèmes notamment la culture générale dont on sait que la mission fondamentale de l’enseignement scolaire consiste à donner à tous les élèves celle de leur époque.

Si, au fil des années, un consensus s’est fait sur la nécessité d’intégrer une dimension culturelle numérique et informatique – on n’en est plus au « l’informatique, une mode qui va passer Monsieur » –, des divergences subsistent sur la façon de la donner. Et quand on dit que cela suppose une discipline scolaire informatique en tant que telle, il peut encore arriver que pleuvent curieusement des accusations de corporatisme voire de lobbying alors qu’il ne s’agit que d’une simple et légitime contribution au débat démocratique. Si tous les élèves font des mathématiques et du français, pour autant ils ne deviennent  pas tous écrivain ou mathématicien. La notion de culture générale serait-elle quelque peu incomprise ? Si l’enseignement de la culture générale, la formation de l’esprit, a des objectifs multiples, notamment celui de préparer à un futur métier, il n’en est pas pour autant une formation professionnalisante

Comment l’Ecole donne-t-elle une culture générale ? Il suffit de regarder ce qu’elle fait avec les autres domaines de la connaissance. Depuis longtemps, nous savons qu’il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d’opération, de vitesse et de force, d’atome et de molécule, de microbe et de virus, de chronologie et d’événement, de genre et de nombre, etc. Et ces initiations se font dans un cadre disciplinaire. Il est indispensable aujourd’hui de les initier de la même façon aux notions centrales de l’informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d’algorithme, de langage et de programme, de machine et d’architecture, de réseau et de protocole, d’information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu’au sein d’une vraie discipline informatique (3).

La culture générale scolaire évolue. Le latin et le grec n’occupent plus la place qu’ils avaient antan. En mathématiques, la géométrie descriptive et les coniques ont disparu, remplacées par les probabilités et les statistiques. Dans les années 1960, la discipline sciences économiques et sociales a été créée, etc.  Si, il y a plus d’un siècle, les sciences physiques sont devenues discipline scolaire, c’est parce qu’elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Or, dans la société d’aujourd’hui, de plus en plus d’activités et de réalisations reposent sur la numérisation de l’information. Au cœur du numérique, il y a la science informatique car elle est la science du traitement et de la représentation de l’information numérisée. Elle sous-tend le numérique comme la biologie sous-tend le vivant et les sciences physiques l’industrie de l’énergie.

Regardons la société au prisme des missions traditionnelles de l’Ecole, à savoir former l’homme, le travailleur et le citoyen. L’informatique est omniprésente dans l’entreprise et les administrations, la société en général. Elle est la forme contemporaine de l’industrialisation. Elle intervient dans l’économie de plusieurs façons essentielles, aux niveaux suivants : la production de biens manufacturés ou agricoles, de par l’automatisation de plus en plus poussée des processus de production ; la création de nouveaux produits ou l’amélioration de produits anciens par l’introduction de puces et de logiciel ; la communication entre les personnes (4).

Les questions de droit d’auteur, de logiciel libre ou privatif sont souvent dans l’actualité. Mais que signifie « code source » pour quelqu’un qui n’a jamais écrit la moindre ligne de programme ? « Neutralité du Net » pour celui qui n’a aucune représentation mentale d’un réseau informatique ? L’on se souvient que lors des débats sur la transposition de la directive européenne DADVSI et de la loi Hadopi, s’il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques…, ce fut sur fond d’interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l’autre on n’a pu que constater un sérieux déficit global de culture informatique largement partagé. Les sciences en général, l’informatique en particulier, ont une contribution spécifique à l’exercice de la citoyenneté, en tant que telles (5). Un citoyen qui n’a aucune connaissance scientifique ne peut pas exercer sa citoyenneté dans de nombreux débats de société.

L’informatique contribue aux évolutions des autres disciplines, leur « essence », leurs méthodes et leurs objets. Voir par exemple l’importance croissante de l’algorithmique en biologie, où elle est ce que les mathématiques sont aux sciences physiques. L’informatique représente 30 % de la R&D dans le monde mais 18 % seulement en Europe.

Et elle est de plus en plus présente dans la vie de tous les jours, de la consultation sur inernet aux smartphones en passant par la déclaration des impôts.

Ce très rapide survol plaide en faveur de l’enseignement de l’informatique. Ce n’est pas parce que l’on n’enseigne pas tout à l’Ecole qu’il faudrait s’abstenir d’enseigner une science majeure du XXIè siècle. Mais, nous dit-on, le temps scolaire est déjà très chargé. Mais l’allongement de la scolarité est une tendance lourde. Il est loin le temps où la majorité d’une génération quittait l’école à 10, 12 ans. La marge de manœuvre est réelle pour sortir du cercle (de plus en plus) vicieux qui veut que comme c’est difficile d’introduire une nouvelle discipline, eh bien on ne le fait pas. Comme le dit le rapport de l’Académie des Sciences adopté en mai 2013, il est urgent de ne plus attendre (6).

Le choix d’enseigner l’informatique, de donner une culture générale scientifique et technique informatique à tous les élèves est un choix politique. Il nécessite donc une décision politique qui doit être affirmée au sommet de l’État et confirmée par la Représentation Nationale.

Jean-Pierre Archambault

Président de l’EPI (association Enseignement Public et Informatique)

(1) Supprimée une première fois en 1992, elle avait été rétablie en 1995.

(2) L’informatique, discipline scolaire. Un long et tortueux cheminement, Jean-Pierre Archambault

(3) La science informatique doit être enseignée dès le secondaire au même titre que la physique ou la biologie, Le Monde Informatique, Jacques Baudé

(4) L’informatique à l’école : il ne suffit pas de savoir cliquer sur une souris, Paru dans Rue89, Tribune du 28 juin 2012. Jean-Pierre Archambault, Gérard Berry, Maurice Nivat

(5) Exercice de la citoyenneté et culture informatique, Jean-Pierre Archambault

(6) Rapport de l’Académie des sciences L’enseignement de l’informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre


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