C'est aujourd'hui, vendredi 29 novembre, que la loi interdisant le recours à la prostitution est enfin examinée à l'Assemblée nationale.
1. A peine arrivée à la tête de son ministère des droits des femmes, la ministre Najat Vallaud-Belkacem, avait affiché son intention d'abolir la prostitution: "La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution -
la réponse est oui - mais de nous donner les moyens de le faire." L'ambition était forte. D'aucuns clamèrent qu'elle était hors de toute réalité. La ministre rappelait à l'occasion que les député(e)s de tous bords avaient voté l'année précédente une préconisation de sanctionner les clients.
2. Le 10 octobre 2013, une proposition de loi, portée par des députés de gauche et de droite, est déposée à l'Assemblée nationale. L'exposé des motifs débute par ce rappel de la Convention des Nations unies pour la répression de la traite des
êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui,
approuvée par son Assemblée générale le 2 décembre 1949 et ratifiée par
la France le 19 novembre 1960: "La prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des
êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la
dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le
bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ". Les auteurs rappellent quelques faits: (1) si les prostituées seraient à 85 % de femmes, les clients seraient à 99 % des
hommes; (2) 90% des prostituées "dans l’espace public" sont aujourd'hui étrangères, un constat révélateur de l'ampleur de la traite internationale; (3) les personnes prostituées sont "victimes de violences
particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique
et psychique."
3. Le 7 novembre, quelques auto-proclamés "salauds" publièrent chez Causeur un manifeste
des 343 pour défendre leur/le droit à consommer du sexe tarifé. Ils n'étaient que 19,
leurs arguments encore moins nombreux, le débat s'enflamme entre prudes
et libertaires, entre féministes et machistes, entre supporteurs et opposants à toute législation. On oublie presque qu'il ne s'agissait d'abord que d'une petite manoeuvre commerciale et surtout minable du mensuel Causeur pour vendre du papier.
4. Le 29 novembre, le projet de loi déboule à l'Assemblée. La grande nouveauté du texte est la sanction des clients (cf. Article 16: amende de Vème classe, soit 1.500 euros, doublée en cas de récidive), et l'abrogation du délit de racolage dans les 6 mois suivants l'adoption du texte (Articles 13 et 19). Le précédent sarkozysme législatif avait préféré l'inverse. S'ajoute diverses mesures de "curation" à l'égard des clients et des prostituées, et de prévention: création d'une instance départementale "chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains", stage de sensibilisation pour les premiers (Article 17), d'un fonds pour la
prévention de la prostitution et l'accompagnement des prostituées (Article 4), autorisation de séjour de six mois renouvelable pour les prostituées étrangères (Article 6) engagées dans un "parcours de sortie de la prostitution" (créé par l'Article 3), création d'un "Droit pour toute personne victime de la prostitution à bénéficier d'un système de protection et d'assistance" (Article 3); "Intégration de la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets traités durant la scolarité" (Article 15).
5. L'hypocrisie demeure: la prostitution reste légale en France.
6. L'un de ses objectifs affichés est de lutter contre les réseaux de traite humaine, notamment sur
internet (cf. l'Article 1er: "Obligation pour les fournisseurs d'accès à internet d'empêcher l'accès
aux sites hébergés à l'étranger qui contreviennent à la loi française
contre le proxénétisme et la traite des êtres humains"). La loi propose de recourir au même filtrage que celui envisagé par la loi Loppsi II de mars 2011 contre les sites pédo-pornographiques. Le décret d'application de cette dernière disposition n'est toujours pas publié. Le gouvernement a d'ailleurs fait déposer un amendement mercredi pour supprimer ce filtrage, réclamant davantage d'études sur le sujet.
[NDR: c'est un débat quasiment sans fin à propos d'une activité qu'on qualifie injustement de "plus vieux métier du monde". Votre serviteur soutient cette proposition de loi, mais bien mollement, je vous l'accorde. Je n'écoute plus les anecdotes sur la prostitution "choisie" qui me semblent déconnectées de toute réalité devant l'ampleur des trafics internationaux actuels. Mais sanctionner la clientèle sans sanctionner les "fournisseurs" me semble assez hypocrite au demeurant. ]
Lire le texte du projet du loi.