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La tielle sétoise, pour ceux qui n’ont pas eu la chance de la goûter, est une sorte de tourte farcie avec une sauce tomate aux poulpes (et que, depuis peu, on prépare également avec des calmars ou des seiches, et parfois aussi avec des moules). L’un des plats les plus emblématiques de la ville de Sète, elle y est vendue à chaque coin de rue, et on la trouve même dans les magasins de grande-surface en région.
Comme la plupart des spécialités sétoises (comme la macaronade, pour n’en citer qu’une seule), la tielle a été « importée » de Gaeta par les immigrés italiens (les descendants de ces derniers constituent toujours la majorité de la population de la ville, sauf pendant les mois de juillet et d’août, quand la démographie est gravement bouleversée par l’afflux touristique). Presque chaque famille possède sa propre recette qui est jalousement gardée : j’ai déjà raconté dans ce billet, datant d’un précédent essai de percer les secrets des spécialités gastronomiques sétoises, que mes beaux-parents attendent toujours la recette de la vrai tielle que leur voisin de pallier, un vrai tielliste, comme on appelle les gens du métier, avait promis de leur passer.
Nous aimons la tielle depuis que nous venons régulièrement à Sète, donc presque chaque été depuis une vingtaine d’années. Au fil du temps, j’ai accumulé pas mal de recettes « officielles » et de versions parfois suspicieusement simplifiées, mais jusqu’à présent je n’avais jamais entrepris de la faire moi-même. La vérité, c’est que la préparation est assez fastidieuse, si l’on choisit de faire la pâte soi-même et de profiter des poulpes fraichement péchés - dont le goût n’a rien à voir avec celui de leurs confrères surgelés et souvent nettoyés à l’aide de produits chimiques. Et surtout, je n’avais jamais osé toucher un poulpe de ma vie (bien que je n’aie jamais eu de tels soucis avec les calmars, allez savoir pourquoi).
Au cours de notre dernière venue à Sète, j’étais à deux doigts de me lancer dans la fabrication d’une tielle aux calmars (car ma motivation a aussi ses limites), quand tout à coup la chance m’a sourit, dans la personne de notre poissonnier qui a proposé de se charger du nettoyage des poulpes à ma place (j’avais souvent lu dans les recettes des phrases comme « Demandez à votre poissonnier de vider les poulpes », mais je craignais fort que si je posais la question pour des bêtes comme celles-ci, trop petites et vraiment pas chères, la réponse pourrait ressembler à un poulpe volant à toute vitesse vers mon visage). Mais aux halles de Sète peuvent encore vous arriver des choses aussi incroyables que discuter avec le poissonnier du nom d’un tel poisson ou de la façon d’en préparer un autre… qui vous font croire que tout n’est pas définitivement perdu et que l’humanité a toujours de beaux jours devant elle.
Je n’ai vraiment pas pu refuser une telle occasion et puis, on m’a également assuré que la peau des poulpes s’enlèverait très facilement une fois qu’ils seraient bouillis. J’aurai aussi dû demander combien de temps je dois les cuire, mais je ne voulais plus abuser de la gentillesse du poissonnier pendant un moment aussi éprouvant que la période touristique - je me suis dit que je trouverais les informations nécessaires sur internet. Hélas, ma confiance m’a perdue : je suis tombée sur des conseils comme « coupez les poulpes en carrés » (comme si, celui qui avait écrit cela, n’avait jamais vu dans sa vie à quoi ressemblait un poulpe). La grande majorité des recettes préconisaient de mettre les poulpes directement dans la sauce (ça peut marcher pour les surgelés, probablement). Enfin, j’ai trouvé une recette qui suggérait qu’il faut les blanchir pour quelques secondes. J’ai pris ce dernier conseil comme monnaie courante, et à 17 h 30 j’étais partie pour préparer la tielle pour le diner. En fin de compte, nous ne l’avons mangé qu’à 22 h 30 (d’où l’absence de photos convenables), et encore, si ce n’était pas ma fille (mille mercis !) qui a héroïquement insisté pour m’assister pour enlever la peau de ces monstres marins, on aurait diné après minuit. Je suis tentée de recommencer, mais la prochaine fois je m’occuperai des bêtes la veille.
Tielle sétoise
Ingrédients :
Pour la pâte :400 g de farine2 cuillères à soupe d’huile d’olive½ sachet de levure lyophilisée
Pour la farce : 1 kg de poulpes, ce qui vous donnera approximativement 500 g de chair après le nettoyage** 400 g de tomates pelées et coupées en dés, en conserve ou fraiches (dans ce cas, choisissez-en des bien mûres)1 gros oignon, ciselé2 gousses d'ail, hachées4 cuillères à soupe d'huile d'olive10 cl de muscat de Frontignan ou de vin* blanc***1 cuillère à café de thym1 cuillère à café de paprika doux½ cuillère à café de piment de Cayenne 1 cuillère à café de sel du poivre noir ****
Préparation :
Pour les poulpes (si vous en utilisez des frais) : Choisissez des poulpes de petite taille car, paraît–il, leur chair serait plus tendre.(Et maintenant, vient la phrase magique :) Demandez à votre poissonnier de les vider. Ensuite (chez vous, ça va de soi), rincez-les sous l’eau courante, puis ébouillantez-les dans l’eau salée pour quelques secondes afin d’enlever plus facilement la peau. Séparez le corps (la poche) et la tête en coupant une fois derrière les yeux et puis, au niveau du départ des tentacules. Enlevez la peau (et les ventouses, qui partiront avec elle) des tentacules, en vous aidant avec un bon couteau. Afin d’enlevez plus facilement la peau et la membrane intérieure du corps, vous pouvez d’abord le découper sur la longueur. Détaillez en petits morceaux les tentacules et le corps. Gardez au frais pendant que vous préparez la pâte.
Pour la pâte :Tamisez la farine dans un saladier avec une pincée de sel. Ajoutez la levure, puis l’huile d’olive et environ un verre d’eau tiède. Mélangez avec une fourchette ou une spatule, puis continuez à la main jusqu’à l’obtention d’une pâte semblable à une pâte à pain (ajoutez de l’eau tiède, si nécessaire). Pétrissez cette pâte pendant une dizaine de minutes, puis formez-la en boule. Huilez cette dernière et laissez-la reposer dans un saladier à couvert pendant 1 heure, ou jusqu’à ce qu’elle double de volume. Pendant ce temps, préparez la farce.
Pour la farce :Faites fondre l'oignon et l'ail pendant 3 – 5 minutes dans une casserole avec l'huile d'olive sans laisser colorer.Augmentez le feu, rajoutez-y les poulpes, laissez cuire environ 5 minutes, puis ajoutez le vin. Faites cuire en remuant jusqu’à ce qu’il ne reste plus de liquide. Rajoutez les tomates concassées, le thym, le paprika et le piment de Cayenne, salez et poivrez et laissez mijoter 1 heure à feu doux. En fin de cuisson, la sauce doit être assez épaisse.
Montage & Cuisson :Huilez un plat allant au four. Prélevez deux tiers de la pâte et étalez-la au rouleau afin d’obtenir un cercle dont le diamètre dépasse celui du plat d’environ 6 cm. Garnissez le plat de la pâte, puis répartissez dessus la sauce aux poulpes. Étalez le reste de la pâte comme pour former un couvercle et posez-le sur la préparation. Soudez bien les bords et donnez un coup de couteau au centre de la tielle pour laisser l’air de s’échapper. (La tielle sétoise à une belle forme bien caractéristique que l’on obtient en incisant les bords de quelques millimètres de profondeur et d'environ 2 cm de distance, puis en rabattant vers l'intérieur une dent sur deux. C’est un peu dommage que je n’ai pas pu faire la finition de cette manière, mais il ne me restait vraiment plus de patience.)Pour terminer, on peut badigeonnez la surface avec un peu de sauce tomate ou avec un jeune d’œuf battu avec une cuillère à soupe d’eau.
Enfournez dans un four préchauffé à 210°C pendant 30 à 50 mn (cela dépend du four), où jusqu’à ce que la surface soit bien dorée.
Servez la tielle accompagnée d'une salade verte.
Remarque : la croute de ma tielle a été assez croustillante. Elle devait ramollir avec le temps, mais aucun de nous n’avait vraiment la force de caractère nécessaire pour une telle vérification.____________________________** Vous pouvez remplacer les poulpes par des calmars (bien que ce ne soit pas la recette authentique ...)*** La recette sétoise contient du vin du muscat dont la douceur permet d’atténuer l’acidité des tomates, mais la recette originale (italienne) comporte du vin blanc.**** Certaines recettes mentionnent également du romarin, du laurier ou bien du bouquet garni, et même de clous de girofle, et je suis presque certaine que j’ai décelé des grains de fenouil dans une tielle).