Toujours dans cette recherche perpétuelle du métier de journalisme face à des nouveaux défis comme le blog, les médias sociaux et finalement Internet, voici une entrevue réalisée par France 2 télévision avec Alain Hertoghe, journaliste, écrivain mais aussi blogueur. C’est probablement le journaliste qui m’a le plus influencé dans la façon de mixer technique et technologie.
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Entretien avec Alain Hertoghe
Alain Hertoghe, journaliste-blogueur à Paris
Alain Hertoghe a travaillé durant de nombreuses années au journal La Croix, il vient d’ouvrir son blog, Carte de presse.
France2-3 - Comment vous est venue l’idée d’ouvrir un blog ?
Alain Hertoghe - Lorsque j’ai quitté La Croix, je n’ai pas tout de suite pensé à tenir un blog. L’idée m’en est venue après avoir travaillé pour Yahoo, où j’ai tenu une chronique sur la campagne présidentielle américaine pendant huit mois. C’est à ce moment-là que j’ai mesuré l’ampleur du phénomène blog et sa force. Un des déclics a été la démission de Dan Rather de CBS. Les journalistes-blogueurs avaient enquêté et démontré que le document montré par la chaîne, qui prouvait que Bush avait pu éviter son service militaire au Viêt-nam, était faux. Pas la presse traditionnelle.
Que représente un blog pour un journaliste comme vous ?
Mon blog, c’est mon jogging quotidien. C’est nécessaire à ma bonne santé. Le supplément, avec le blog, par rapport à la presse écrite traditionnelle, c’est que je reçois les commentaires à chaud de mes lecteurs, qui ne se privent pas de réagir. Certes, je ne travaille plus dans un journal, mais je continue d’en avoir les contraintes, et peut-être même plus d’exigences, du fait de la réactivité immédiate des lecteurs. A terme, je veux que ce blog ait sa propre autonomie financière et qu’il devienne une référence. Ce qui se passe pour les journalistes sur le net est de l’ordre du défrichage et de la conquête de nouveaux espaces. Ces journalistes d’un nouveau type sont en train de gagner leurs lettres de noblesse.
Comment voyez-vous le développement du net pour les journalistes indépendants ?
Je pense d’abord aux Etats-Unis, qui ont une longueur d’avance sur nous, où le blog est entré dans les mœurs des campagnes politiques, avec le suivi des hommes politiques. Le journal américain du net, Drudge Report, a été invité aux deux conventions républicaines pour suivre les débats. En France il y a encore une place à prendre. La campagne des présidentielles de 2007 s’amorce nettement, la bataille est engagée et on va assister à un certain nombre de fuites. Avec la fin du règne de Chirac, c’est donc une période propice aux infos de première main. C’est la fin de la paralysie et le net ne sera pas de trop pour suivre la campagne et diffuser des infos pas forcement « politiquement correctes ». Ce sera même sûrement très stimulant pour la presse écrite, qui sera un peu malmenée. Mais, à terme, elle sera plus vigoureuse face à ce petit net qui lui mord les chevilles. Concrètement, j’espère sortir début 2006 une info qui compte par semaine. Avec le blog, je suis producteur et diffuseur d’infos, tout en m’appuyant sur mon réseau d’informateurs.
Qu’apporte le net par rapport au journalisme traditionnel ?
J’ai été habitué à un traitement classique de l’information, avec les contraintes de la verticalité d’une rédaction, qui force à un respect illimité, mais qui nuit à l’impertinence du ton. Le net, c’est l’horizontalité. Demain, avec le net, des gens qui ne seront pas journalistes à 100 %, y compris financièrement, produiront plus ou moins régulièrement de l’info. La notion de journalisme deviendra de plus en plus accessible. On quittera les sentiers battus qui veulent que tout journaliste sorte d’une école. Avec le temps, je me suis aperçu que les journalistes sortis des écoles avaient de moins en moins de culture générale et de recul par rapport aux sujets qu’ils traitent. Ils sont formatés, opérationnels et lisses. Je pense que des personnalités, des impertinents de l’info, ça ne peut faire de mal à personne.
Concrètement, comment le travail du journaliste s’est transformé avec le net ?
Avant, quand je travaillais en Amérique centrale, la première chose que je faisais, c’était d’aller acheter les journaux sur place et je n’avais pas toujours une masse de documents. C’était le journal du jour et puis c’est tout. Aujourd’hui, avec le net, avant de partir sur le terrain, j’ai déjà en tête un maximum d’infos, j’ai plein de documents à ma disposition, j’arrive avec de la matière. Ce qui me permet de creuser l’info, d’aller plus en profondeur dans le sujet. J’ai une possibilité d’améliorer mon papier. Du coup, on fait des choses plus intéressantes. Le lecteur est prêt à acheter cette presse-là, meilleure. Il ne faut pas s’imaginer que la presse était meilleure auparavant. Son autorité maximale, à l’époque de l’ORTF, n’était pas spécialement réjouissante pour l’indépendance du journalisme. Je trouve qu’on manque de mémoire, et on devrait relativiser les critiques sur la presse d’aujourd’hui, contrairement aux associations de critique des médias comme Acrimed.
N’assistons-nous pas à une dégradation de la qualité du travail de journaliste ?
En terme de qualité, il y a eu un grand changement. En presse écrite, la réduction des coûts fait qu’on n’a plus forcément un correcteur et que les secrétaires de rédaction ne relisent pas forcément tous les papiers, faute de temps. La fiction qui veut que la rédaction en chef relise tous les papiers est une rigolade. Mais sur le net, dès que je fais une erreur sur l’info, une erreur de syntaxe, une faute d’orthographe ou de grammaire, les gens réagissent immédiatement. L’interactivité du net permet de corriger tout de suite une erreur, d’améliorer l’info, de la faire évoluer. C’est un work in progress passionnant, pas figé. Avec le blog, il y a une vigilance permanente. On est plus exposé, pas couvert par une rédaction, quand il y a une erreur. Sur le net, les gens comparent et ils ont plus de matière pour comparer. La guerre en Irak a été, de ce point de vue, extrêmement instructive sur l’évolution du lectorat.
Comment comptez-vous faire évoluer votre blog ?
Mon intuition est qu’il existe un vrai créneau pour les journalistes. Il existe peu de blogs de journalistes indépendants en France. Ce sont souvent des blogs qui accompagnent des journaux, comme celui de Pascal Riché, excellent, mais qui reste dans un ton Libé. L’info principale c’est Libé, l’accompagnement c’est le blog.
Mais à terme, ce sont les grands médias qui reprendront les « posts », les infos du net, et non l’inverse, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Le net va de plus en plus être en amont de l’info, dans la chaîne de production et de diffusion. Actuellement, ce sont les médias classiques qui détiennent les places d’honneur, mais avec la plus-value d’info apportée par le net, les places vont progressivement être redistribuées. Ça va rajouter du piment. Les moyens essentiels, pour le journaliste du net, sont un ordinateur, l’internet, le wifi, la caméra numérique et l’enregistreur MP3. Et l’ensemble est très léger. Si un des médecins qui soigne Chirac a décidé de parler, La Croix ne diffusera pas l’info. En revanche, un journaliste indépendant la diffusera sur le net.
Le blog d’Alain Hertoghe Carte de presse.
* Alain Hertoghe, journaliste et réalisateur de documentaires, a travaillé dix-sept ans au quotidien La Croix, où il a été successivement envoyé spécial, notamment en Amérique centrale et au Moyen-Orient (première guerre du Golfe), chef de rubrique, rédacteur en chef adjoint du site (2001-2004). Il a été licencié en 2004, à la suite de la publication de son livre “La guerre à outrances. Comment la presse nous a désinformés sur l’Irak” (Calmann-Lévy). Dans ce livre, il analyse, à partir de différents quotidiens français, la couverture de l’offensive américano-britannique sur Bagdad. En juin 2005, il lance son blog, Carte de presse.
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