Poor folk (Qiong ren, lui lian, ma yao, tou du ke)

Par Kinopitheque12

Midi Z, 2012 (Birmanie, Taïwan, Thaïlande)

STRIP-TEASE A LA BIRMANE

Qui ne s’est jamais effarouché devant les vies misérables effeuillées, mises à nue sans la moindre pudeur du déculotté documentaire franco-belge, Strip-tease ? Faits de sociétés purs et dépourvus d’artifices, existences et destins zonards, pauvres gens, les poor folk, comme le dévergonde ici Midi Z, réalisateur birman, dans les travers de son second long métrage Poor folk.

Cinéaste de réalisme, Midi Z est primé comme l’un des meilleurs espoirs par le Golden Horse Film Academy de Taipei en 2009. Return to Burma, son premier long métrage est sélectionné pour le Rotterdam’s Tiger Award Competition en 2012. Résolument imprégné par la culture locale et les parcours de vie authentiques, si absolues ou si opprimées soient-elles, Midi Z démonte les sujets d’un tel réalisme documentaire qu’il en devient déstabilisant de ne plus savoir à quel type d’image nous faisons face. Drogue, trafic humain, prostitution, meurtre, persévérance, désespoir et sourires, il ne faudra pas moins d’une heure pour se convaincre qu’il ne s’agit pas d’un documentaire, mais d’une épreuve filmique engagée, dès lors qu’un protagoniste se fera assassiner de sang froid, avec pudeur à nouveau, puisque seul un fondu au noir nous l’indiquera. Aucun détail pour l’acte en lui même, tout est suggéré dans le réalisme de Poor folk, mais tout est vrai. Intimité réelle dévoilée, mais fictive par la notion de mise en scène, les acteurs n’en sont pas : ils jouent les quotidiens difficiles de nombreuses familles birmanes, contraintes à vendre leurs êtres chers aux mafias thaïlandaises.

Trois millions de Birmans vivent illégalement en Thaïlande. Des dizaines de milliers de migrants traversent la frontière chaque année pour se rendre à Dagudi, ville de passage du nord de la Thaïlande, vivier de déserteurs, dealers et contrebandiers. A-Hong et sa sœur en témoignent. Après avoir franchi la frontière au travers de grands champs de blé, plan séquence et caméra portée à l’appui, la jeune femme tombe aux mains des trafiquants. Sa vie, maintenant sous-entendue à la prostitution contraint A-Hong de devenir arnaqueur hors pair dans les rues de Bangkok. Profiter des touristes chinois, vendre des composants bruts d’amphétamines à des organisations souterraines ou autres gangsters armés. Tout est justifiable pour réunir l’argent nécessaire à la liberté de sa sœur.

Poor folk parle d’expérience, le chapitrage et le montage de l’œuvre en sont témoins. C’est noir, sombre jusqu’à l’obscur et la névrose. Ultra-cuts, les plans fixes de longueurs parfois insupportables se transforment en tableaux, presque théâtraux et finalement typiques du cinéma asiatique. Le rictus est notable tant certaines fresques recèlent d’une absurdité kitanesque. On pourrait même se méprendre sur le réalisateur si l’on prenait le film en cours. La scène où A-Hong fume dans un marché très coloré accompagné de ce qui semble être son sous-fifre étouffeur de Baths et de Yuans n’est pas sans rappeler nombreux instants de L’été de Kikujiro (1999) où Kikujiro martyrise avec un sarcasme amouraché son « ptit con », perdu dans un Japon mélancoliquement conté.

Le récit est morose, la mise en scène est intelligemment absurde, l’image est belle malgré une technique de cadrage des plus simplistes, comme l’éclairage, presque dogmatique. Le grain léger, chaud, glacis à la fois et le format DCP indiquent un tournage numérique. On le devinera de surcroît en observant de fines ondes flottant sur l’image dans les scènes intérieures, sous l’éclairage basique des lieux, certains capteurs numériques étant allergiques à ce type de lumière au sodium. Un peu de dogme certes, qui contraste néanmoins avec le plan surprenant d’un avion crashé en pleine campagne, encore fumant d’effets spéciaux. L’esthétique aurait-elle pris le pas sur le réalisme ? Cette séquence hors de prix, qui faillit mettre le budget du film en péril, était pourtant essentielle pour Midi Z. Essentielle, car le plan d’une rare beauté nous conforte dans la misère des destins auxquels on assiste. Poor folk est avant tout une dénonciation, un témoignage, un travail de mémoire, une révélation qui cependant et malheureusement semblent être difficilement compréhensibles pour un public novice, tant le récit est imprégné de localité, de détails culturels « insondés » et de dialogues empiriques. On omettra avec grand soin le sous-titrage anglais simplifiant au possible la narration.

Aucun doute, le public occidental est l’éternel prisonnier de son économie du cinéma, quand la production asiatique, instructive, essayiste, sincère tant elle se dénude, reste encore trop méconnue.



Maël Dubourg, pour Preview,
dans le cadre de la 35e édition du Festival des 3 Continents