Août 36. C’est le temps du Front populaire. 15 jours de loisirs (congés payés) pour Mattéo, Paulin et Amélie embarqués dans l’auto d’Augustin…
Scénario et dessin de Jean-Pierre Gibrat
Public conseillé : adultes et adolescents
Style : Chronique familiale et historique Paru chez Futuropolis, le 25 novembre 2013
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L’histoire
En 1918, à son retour de Russie, Mattéo l’anarchiste écopait de 20 ans de travaux forcés. Amnistié dès 29, il s’installait en région parisienne, entouré de Paulin, son ami communiste pur et dur, aveugle depuis la guerre de 14, Amélie l’infirmière et Augustin, l’intello.
Août 1936. C’est le temps du Front populaire et des premiers congés payés. Regardant passer les premiers trains des prolos partis profité de leur 15 jours à ne rien foutre, Mattéo, Paulin et Amélie embarquent dans la Peugeot d’Augustin, direction la mer, le Sud, Collioure…
Sur la route, la petite bande s’installe pour pique-niquer et profite de ses moments de calme et de partage. Sauciflard et tomates, arrosés d’un verre de rouge d’un air d’accordéon, le temps ralentit…
Arrivés très tardivement dans la maison familiale, Matéo retrouve sa mère, toujours aussi « bougonne », qu’il n’a plus revu depuis le bagne.
Le lendemain, la vie s’organise doucement. Cartes postales, peinture du bateau pour les uns, lecture pour les autres, avant de se diriger vers la plage et ses délices.
Pourtant, de l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, la guerre civile se fait de plus en plus entendre…
La suite
Trois ans ont passé depuis la sortie du second tome, mais près de 20 ans pour Mattéo. Enfin, Gibrat revient nous livrer un nouvel épisode de sa fresque humaine et sociale.
Ce troisième (des cinq tomes prévus) se déroule sur une période très courte que Gibrat avait une folle envie de traiter (peu exploitée en BD) : le Front populaire de juillet 1936 et ses grandes réformes.
Utilisant le principe (classique au théâtre) d’unité de temps et de lieu, il concentre son récit sur quinze jours à peine (les premiers congés payés) où des prolos payés « à ne rien foutre » découvrent le plaisir des vacances.
Très documenté sur les réformes sociales du gouvernement de Léon Blum, Gibrat, en homme de gauche cultivé et investi, évite les clichés des grandes fresques parisiennes de débordement de joie. Ils emmènent donc ses protagonistes (Mattéo, l’anarchiste espagnol, accompagné de son pote Paulin, de la belle Amélie et son petit ami, Augustin) se la couler douce à Collioure.
Bien sur, le choix du lieu n’est pas innocent. La proximité de l’Espagne et du combat entre légalistes et le gouvernement de Franco permet à Gibrat de tester Mattéo. Celui qui apparaît, dans ce 3e épisode, désillusionné et désengagé des idéologies résistera-t-il aux sirènes de la rébellion ?
Ce que j’en pense
Attendre (longtemps, trop !) un nouvel album de Gibrat, le déguster dans mon canapé, puis le partager avec ma compagne, c’est toujours un bon moment dans ma vie de lecteur de BD. Ce nouvel épisode n’a pas dérogé à la règle et m’a totalement conquis (même si j’étais moins emballé par le second épisode si dramatique).
Comme toujours, Gibrat nous offre sa vision très personnelle, forcément engagé, en racontant la vie des « petites gens » portés par les aléas de l’histoire. Pas de grand discours, mais un quotidien simple, humain et poétique à sa façon, qui parle directement au cœur.
Et puis, au-delà de ces idées, il y a sa façon d’imaginer la bande dessinée. Il compose des personnages crédibles, humains, simples dans leurs qualités comme leurs défauts, avec une justesse incroyable. Puis, il met en scène son petit monde et les rapports humains (heureusement, ses personnages n’ont pas les mêmes opinions) dans des affrontements verbaux, rarement physiques. Son récit n’est pas spectaculaire, mais il est touchant et juste, souvent anarchique comme peut l’être la vie.
Enfin, ses seconds rôles sont « de première importance ». Robert, le vendeur de « limonades » et son car itinérant; Albert, l’antisémite « normal » et fasciste, sans oublier Antonin, le petit ami d’Amélie un peu pédant, donneur de leçon et sympathique quand même.
C’est sûr, Gibrat « aime » chacun de ses personnages et les rends vivants !
Le dessin
Quand j’ouvre un album de Gibrat, je suis toujours « happé » par son dessin. Sensible ou non à son discours politique et humaniste, les dessins de Mattéo ne vous laisseront pas indifférentes, à commencer par ses héroïnes. D’ailleurs dans ce nouvel album, Gibrat nous gâte. Amélie est toujours aussi « craquante » (Gibrat l’a gentiment épargné des 20 ans qui se sont écoulés) et ramène dans la danse Juliette, l’ex-nouvel amour de Mattéo.
Outre la beauté des femmes, que Gibrat magnifie avec sensualité et respect, le bonhomme a encore progressé dans son dessin.
Bien sûr, ses couleurs aquarellées sont toujours aussi lumineuses et son trait délicat et poétique. Mais il se lâche un peu et nous offre de grandes cases fouillées avec de nombreux personnages, des cadrages plus cinématographiques (caméra penchée, grand angle), qui donnent plus de vie et de dynamisme à l’ensemble. Que du bonheur !!!!!
Pour résumer
Avec Mattéo (T3), Gibrat continue son récit d’un homme entraîné malgré lui dans les soubresauts du XXè siècle. Avec ce troisième tome plus léger, il raconte, avec humanité et pudeur l’idéologie et l’espoir du Front populaire. Fort d’une solide documentation, il nous offre un récit humain et respectueux de ses personnages révoltés. Servi par un dessin lumineux et somptueux, Jean-pierre Gibrat est définitivement au sommet de son art.