Parcours initiatique d’une étudiante à l’étranger
Coopération internationale
Dominic Desmarais Dossier Communautaire, International, Éducation
Noémie, 26 ans, fait partie de cette génération pour qui la Terre est un terrain de jeu et où les frontières ne sont pas des entraves. Les possibilités de stages internationaux explosent. Mais vivre comme un globe-trotter s’apprend et exige bien des efforts.
Invitée à l’automne 2008 au 40e anniversaire de l’école secondaire Arthur-Pigeon, à Huntingdon, où elle étudie de 1998 à 2002, Noémie se sent interpelée par l’allocution de la nouvelle directrice qui se montre ouverte aux nouveaux projets. Alors étudiante au certificat en coopération internationale à l’Université de Montréal, la jeune femme propose à la directrice d’organiser, pour ses élèves, un stage de solidarité internationale à l’étranger. «J’aurais tellement aimé partir à cet âge-là! C’est ce qui m’a motivée à faire cette proposition.»
Noémie est dirigée vers le directeur adjoint, son ancien professeur de sciences physiques. Pour toute expérience à l’étranger, la jeune femme a passé un été au Mexique en 2008 comme bénévole dans un orphelinat. «Ce n’était pas formel, ça faisait partie d’un voyage touristique personnel. J’ai été déçue. J’avais une idée préconçue de la coopération.» Noémie, qui allait rejoindre un ami mexicain, découvre une culture où elle manque de points de repère. Celui qu’elle pensait connaître au Québec agit différemment dans son environnement, où le rapport entre les sexes se vit autrement. De cette première expérience, elle comprend qu’il serait préférable de partir avec un programme déjà établi. L’improvisation, se sera pour une autre fois.
Destination Guatemala
En janvier 2010, le projet de stage commence à prendre forme. Avec la collaboration de deux professeurs d’Arthur-Pigeon, ils passent en revue les destinations possibles, les conditions du stage et les critères de sélection des élèves. «Horizon cosmopolite», qui propose un stage clé en main est choisi, tout comme la destination: deux semaines d’immersion dans des familles au Guatemala.Les trois accompagnateurs offrent le projet à tous les élèves du secondaire, en incluant les élèves en cheminement particulier. À la première réunion d’information, 50 jeunes se déplacent. À la deuxième rencontre, 25 se montrent toujours emballés. «On a convoqué une autre soirée où on a passé des entrevues de groupe, des mises en situation. On voulait évaluer si les élèves en cheminement particulier étaient motivés et prêts pour ce type d’expérience. On a constaté que nous n’étions pas outillés pour intervenir auprès d’eux.»
Finalement, aucun élève en difficulté ne s’inscrit, évitant aux trois accompagnateurs une décision difficile. Au total, 16 élèves, de 14 à 17 ans, s’engagent dans l’aventure. Noémie, qui entreprend alors son deuxième certificat en action communautaire, fait la navette entre Montréal et Huntingdon. Pendant 10 mois, le groupe prépare le séjour au Guatemala: formation interculturelle sur l’histoire du pays, sur la mondialisation, sur les chocs culturels, cours d’espagnol et activités de financement sont à l’ordre du jour. Près d’un an où les tentations de décrocher se multiplient pour tout le monde. «En raison de leur charge de travail comme enseignant, il leur était difficile de faire un suivi constant avec moi. Ça pouvait prendre deux semaines avant qu’ils répondent à mes courriels. Délai qui, au début, ne me dérangeait pas trop, mais qui devenait problématique par la suite, parce que les mois s’écoulaient rapidement. Je manquais d’appui et j’ai vu que notre projet était marginal. Même un enseignant a remis en question son implication durant l’été 2010, pour cause d’épuisement professionnel.»
L’argent, nerf de la guerre
En plus d’être exigeant en temps, le stage ne peut se réaliser sans financement. Entre l’emballage dans un commerce de détail, la vente de produits écologiques faits à la main (savons et beurre de karité) et un souper latino, les jeunes et leurs accompagnateurs dépensent beaucoup d’énergie à l’extérieur des cours ce qui soude les liens entre eux. «Les parents aussi se sont impliqués à fond. Au début, ils se disaient que c’était le voyage de leur enfant, que c’était à lui d’y travailler. Mais quand ils ont vu à quel point leur jeune avait à cœur le projet, ils se sont engagés.» Deux semaines avant le départ, le groupe reçoit une subvention du Ministère de l’Éducation pour l’achat des billets d’avion. Cette reconnaissance, qui réjouit les parents, accentue la charge de travail du groupe. «Il a fallu communiquer avec des jeunes de l’école de langue où on allait au Guatemala. Le ministère demandait des preuves d’échanges avec eux. Ça a demandé beaucoup de travail. L’argent, on ne s’en sort jamais. Mais, au retour, l’expérience n’a pas de prix.»Immersion culturelle
Pendant 10 mois, le groupe suit des cours d’espagnol pour se préparer à vivre chez des paysans guatémaltèques. «À l’arrivée, on a laissé les jeunes avec leurs familles d’accueil. Certains avaient de la difficulté à échanger en espagnol, mais ils n’avaient pas le choix!»
La première semaine, les jeunes participent à des travaux de réfection dans une école, en montagne. «On ne savait jamais ce qu’on allait faire. Ça se décidait le matin même.» Les jeunes vivent un décalage entre la manière nord-américaine de travailler et celle du Guatemala. «Ce qui est important, c’est d’être conscient des différentes façons de faire selon les réalités des gens.» En après-midi, ils se retrouvent devant des enseignants particuliers pour améliorer leurs connaissances en espagnol. Pour les aider, le soir venu, à parler avec les membres de la famille.
En plus de la langue et des habitudes de vie, il y a la nourriture à laquelle chacun doit s’adapter. Malgré tout, les deux semaines passent rapidement. Le dernier soir, lors du souper d’adieu, chaque jeune lit un mot qu’il a composé à l’intention de sa famille d’accueil. En 14 petits jours, les liens se sont tissés serré. «Personne ne voulait rentrer. Ils voulaient tous rester au Guatemala. Deux semaines, c’est trop court. Un an après leur retour, les jeunes continuent toujours de communiquer avec leurs frères et sœurs guatémaltèques.»
Au-delà des activités et de l’immersion au Guatemala, le stage permet à chacun de mieux se connaître. «Les leaders du groupe au départ n’étaient plus les mêmes là-bas. De mon côté, une des élèves, qui me voulait plus sécurisante, m’a ramassée. Ce n’est pas l’un des professeurs qui m’a ramené à l’ordre dans ma tête, c’est un jeune. Elle a compris ce que je vivais, ça m’a fait du bien.»
Noémie n’en était qu’à sa deuxième expérience à l’international. C’est peu, considérant sa responsabilité envers des élèves de 14 à 17 ans. Elle aussi participait au stage pour mieux se comprendre et s’ouvrir à une autre culture. «En général, les jeunes ont été très ouverts. Depuis le retour, on s’est réuni quelques fois. Ils ont développé une belle maturité.»
Le stage a eu lieu en janvier 2011 et se répètera en janvier 2013, toujours au Guatemala. «Je veux que le stage se poursuive. C’est mon bébé. Pendant tout le projet, j’ai rêvé que j’étais enceinte. Et au retour du Guatemala, j’ai rêvé que j’accouchais. Comme si j’avais porté ce voyage en moi.»
Noémie passe le flambeau et espère que de nouveaux enseignants vont prendre la relève. «J’ai rencontré des parents et eux-mêmes le recommandent aux jeunes. Reste à voir ce que l’école et la commission scolaire vont décider.» La jeune femme peut respirer d’aise. Une nouvelle cohorte fait le stage en 2013, pour la destination du Guatemala qui fait toujours rêver.
Une autre destination, le Liban
Noémie termine un baccalauréat par cumul de certificats. À sa dernière année, où elle étudie en intervention auprès des jeunes, elle a emmené quelques-uns de ses stagiaires pour une présentation orale sans savoir que cela lui ouvrirait les portes d’un stage en zone conflictuelle au Liban.
Interpellée à cause de son implication internationale auprès de jeunes, son enseignante, une chargée de cours de l’université St-Joseph à Beyrouth, au Liban, lui propose un stage de deux mois auprès d’adolescentes de 15 à 18 ans, scolarisées, mais orphelines. «J’ai mûri, je suis maintenant prête à être intervenante.»
Noémie prépare son séjour au Liban auprès de l’ONG «SOS Enfants». Mais les détails administratifs entre l’université de Montréal et celle de Beyrouth compliquent les choses. Puis il est difficile de trouver du financement tant que le stage n’est pas officiel. Si le projet au Guatemala a démontré à quel point l’argent était indispensable pour la tenue d’un séjour à l’étranger, celui du Liban le confirme. Et le temps est compté. «J’ai demandé plusieurs lettres d’appui de mon directeur de programme. Il me les fournit facilement. Mais il s’inquiète de mon voyage en raison du conflit en Syrie.»
Pour calmer ses inquiétudes, Noémie a rencontré des Libanais à Montréal. «Ils me disent que ça ne marchera pas comme je l’imagine. Je les écoute, j’accepte que ce soit différent de l’idée que je m’en fais. Et que je devrai être vigilante.» De plus, si elle ne part pas bientôt, les portes risquent de se fermer à cause du conflit en Syrie. Et pourtant, dit-elle: «Je veux plonger dans la culture arabe. De plus en plus, j’ai une ouverture interculturelle qui me permet d’envisager ce stage avec confiance. J’ai un niveau d’ouverture plus élevé grâce au Guatemala.»
Noémie a trouvé sa voie. Ses expériences à l’étranger font partie de sa formation étudiante et humaine. Elle ne fait que suivre le chemin qui est en elle depuis son enfance. «Quand j’étais jeune, j’ai dit à ma mère que j’aimais voir les yeux des gens en parcourant les revues National Geographic. J’aimais m’imprégner de ces regards. Je suis fascinée par l’autre, par l’être humain. Je veux être témoin du vécu humain.»