Pourquoi les femmes haïssent-elles la liberté ?
Publié Par Gina Luttrell, le 28 novembre 2013 dans Sujets de sociétéPourquoi y a-t-il si peu de femmes libérales et comment y remédier ?
Par Gina Luttrell.
J’ai eu l’honneur d’être présente le week-end du 16 novembre à la Carolina Regional Conference organisée par Students For Liberty 2013, et je dois dire que c’était la meilleure des cinq conférences SFL auxquelles j’ai assisté jusqu’à présent. Les intervenants étaient très diversifiés, tant par leurs idées que par leurs parcours, et la salle était remplie de personnalités formidables du Southeast. Barbara Sostaita a géré l’organisation d’une main de maître et a été récompensée par un record historique pour le nombre de participants. Félicitations à elle et à son équipe ! Je suis très reconnaissante d’avoir pu contribuer à un tel évènement. Voici une retranscription de mon intervention.
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Si on se penche sur les sympathisants d’à peu près toutes les organisations défendant la liberté, on tombe sur un ratio décourageant : 60 à 70% d’hommes. Visitez n’importe quel rassemblement de libéraux et vous constaterez immédiatement la disparité. Il semble, pour une raison quelconque, que les femmes ne tiennent pas tellement à la liberté.
Cela devrait être une source d’embarras et de questionnement pour nous tous. Après tout, le libéralisme classique a plus fait pour la condition des femmes que n’importe quelle autre idéologie dans l’Histoire : libertés sexuelles, droit de vote, fin des mariages forcés… ces avancées découlent de l’idée que les femmes sont des individus capables de faire des choix et de les assumer, ce qui est un principe fondamental du libéralisme. Les femmes devraient être à l’avant-garde de nos combats. Pourquoi sont-elles à la traîne ?
Certains suggèrent qu’il s’agit d’un problème de marketing. En fait, durant la dernière conférence internationale de SFL, pas moins de deux tables rondes étaient dédiées à la place des femmes dans le mouvement, cherchant à trouver des nouveaux « packages » pour mieux leur « vendre » nos idées. J’ai participé à ces deux réunions et j’y ai posé la même question : pensez-vous que le sexisme assumé des milieux libéraux ait un lien avec la réticence qu’ont les femmes à y participer ? Pas de réponse.
Cela leur semblait absurde de penser que les libéraux soient sexistes. Tous les individus se valent, non ? Les femmes cherchent la liberté comme tout le monde, il faut juste les convaincre. Personne n’envisageait l’idée que les libéraux peuvent avoir des attitudes qui repoussent les femmes du mouvement.
Outre le sexisme actif, les libéraux ont tendance à écarter négligemment les questions qui intéressent les femmes, quand ils ne leurs expliquent pas carrément que les problèmes qu’elles soulèvent n’existent pas. Cette méthode de persuasion est typiquement de nature à dégoûter une femme de nos idées. Qui voudrait pour allié quelqu’un qui se moque de ce qui nous importe ? Qui voudrait être marginalisé de la sorte ? Pas moi. Aucune femme.
Buddy Christ
Durant ces tables rondes, au fil des discours, je ne pouvais m’empêcher de penser au film Dogma. Est-ce que vous le connaissez ? Si non, regardez-le, ça vaut le coup. C’est l’histoire d’un cardinal catholique (joué par George Carlin) qui propose une campagne publicitaire pour que l’Église redevienne « cool ». Une des idées de cette campagne est Buddy Christ, une statue de Jésus qui fait des clins d’œil et pointe du doigt pour ramener les jeunes à la messe. La blague, bien sûr, est que le problème de l’Église n’est pas (selon le film) l’emballage marketing mais la rigidité de ses principes et la manière dont elle traite les autres. En d’autres termes les libéraux se trompent. Notre problème n’est pas notre message. C’est notre dogme.
À ce stade de mon intervention j’ai accusé plusieurs fois les libéraux de sexisme. Je suppose qu’il est temps d’apporter des preuves. Cette question du sexisme s’est manifestée l’année dernière dans la blogosphère libertarienne. Julie Borowski par exemple a expliqué dans une vidéo de deux minutes que les femmes n’aiment pas nos idées parce qu’elles sont victimes de la pop-culture. Happées par la propagande gauchiste des magazines féminins sur la libération sexuelle et l’avortement, elles préfèreraient acheter des bijoux plutôt que des moyens de contraception et s’en remettre à l’État pour gérer les conséquences. Sans surprise, cela a causé des remous et beaucoup de femmes se sont offusquées. Qui voudrait s’attacher à un mouvement où il s’expose à ce genre de jugements ?
Brian Caplan d’EconLog (dont vous connaissez certainement le très bon livre The Myth of the Rational Voter) a rejoint à la bagarre en invoquant le Myers-Briggs Type Indicator pour expliquer pourquoi les femmes ne sont pas libérales. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le MBTI, il s’agit d’un test de personnalité comprenant quatre dimensions dont l’une est Thinking (Pensée) contre Feeling (Sentiment). Partant du fait (avéré) que les femmes tendent à être « sentimentales » plutôt que « penseuses », Caplan nous dit : « Pour résumer, Thinking signifie qu’on a la tête dure et le cœur dur, tandis que Feeling signifie qu’on a la tête et le cœur tendres. Ce n’est donc pas surprenant que les personnes privilégiant le Feeling soient plus souvent anti-capitalistes. De la même manière, j’ai souvent constaté que les hommes pensent plus facilement comme des économistes. »
En bref nous avons femmes = sentimentales = têtes molles. Par conséquent femmes = têtes molles. Oui, les femmes ont assez de logique pour comprendre ça ! Et oui, elles sont assez rationnelles pour saisir que vous insinuez qu’elles sont incapables de raisonner correctement. Et oui certaines femmes, comme moi, connaissent très bien le MBTI et savent que l’interprétation que fait Caplan de l’axe Thinking/Feeling est absolument fausse. Donc non seulement il généralise à outrance concernant les femmes, mais il utilise pour ce faire des connaissances mal digérées. Bien sûr que les femmes ne vont pas prendre ça avec le sourire.
Comprenez-moi bien, Julie et Bryan ont fait de grandes choses pour la défense de la liberté. J’ai eu le plaisir de les rencontrer tous les deux et je trouve que ce sont des personnes merveilleuses. Ils sont célébrés à raison pour le travail qu’ils fournissent. Mais c’est précisément le problème : quand de telles figures de proue du libéralisme font de telles déclarations, nous passons tous pour des sexistes.
Il y a d’autres formes de sexisme plus insidieuses dans notre mouvement. Des remarques durant les conférences comme « les femmes ne sont génétiquement pas équipées pour comprendre le libéralisme », ou « bien sûr que les femmes sont étatistes, elles veulent juste qu’on s’occupe d’elles », ou « le cerveau féminin n’est pas fait pour l’économie », ou « le droit de vote des femmes a ruiné notre pays ». Je pourrais continuer. J’ai entendu tout ça de mes propres oreilles. En personne. Face à face. Un contributeur de Reason m’a suggéré que le talent d’Obama est qu’il sait parler aux femmes. Vous pensez peut-être qu’il s’agit de simples plaisanteries, mais à force d’en entendre dans ce goût là on commence à se faire une idée du type de groupe qui exprime de tels sentiments.
Le Libertarian Party est la première vitrine que rencontrent beaucoup de libéraux potentiels. Pendant l’élection de 2012 on pouvait voir ceci sur une de leurs pages Facebook. Une telle image renvoie aux femmes, en particulier les femmes de gauche, le message que pour les libertariens elles ne sont que des corps à utiliser pour vendre des idées et pas des partenaires égaux dans la liberté.
Les exemples sont sans fin dès lors qu’on sait quoi chercher. Si vous voulez que plus de femmes nous rejoignent, la première étape doit être la fin de ce sexisme flagrant. Les libéraux devraient se corriger entre eux pour rectifier les affirmations incorrectes et éviter la perpétuation des stéréotypes sexistes. Je déteste faire la leçon aux hommes, mais vous êtes en position de force dans ce mouvement donc la charge retombe en grande partie sur vous. Quand les femmes dénoncent le sexisme, on a tendance à les trouver « trop sensibles » ou « sans humour ». Nous sommes immédiatement décrédibilisées. C’est à vous de dire quelque chose. Vous avez ce pouvoir et vous pouvez l’utiliser pour aider vos amies libérales, qui vous en seront reconnaissantes !
Laissez-moi vous poser à tous une question. Ces 30 derniers jours, combien d’entre vous ont parlé de discrimination par le genre ? De discrimination contre les LGBT ? De harcèlement sexuel ? De viol ? Du statut des sages-femmes ? Maintenant, parmi ceux qui ont évoqué ces sujets, combien d’entre vous ont dit qu’il ne s’agissait pas de vrais problèmes ? Qui a dévié la conversation vers les femmes en général pour rappeler que l’inégalité salariale est un mythe, que les différences de carrières sont dues à des choix personnels ou même, pourquoi pas, que les femmes violées auraient pu l’éviter d’une manière ou d’une autre dans la plupart des cas ?
Mes amis, nous touchons du doigt la seconde raison après le sexisme qui dégoûte les femmes du libéralisme. Les libéraux ne connaissent pas, ne s’intéressent pas ou ne « croient » pas aux atteintes à la liberté des femmes. Je peux vous assurer que les libéraux n’en parlaient jamais avant l’existence de Thoughts on Liberty [NdT : site libertarien où l’article est initialement paru et qui a pour but de donner la parole aux femmes]. Les femmes ne baissent jamais leur garde, même entre amis, par peur des agressions sexuelles. Elles ont l’impression qu’elles seront toujours défavorisées par rapport aux hommes car elles n’auront jamais le même salaire. Elles sont en permanence sous pression car elles doivent gérer en même temps une vie de mère et une carrière, et être victorieuses sur les deux plans. Leurs droits sur leur propre corps ne sont pas respectés quand elles donnent la vie : dans 23 États l’accouchement à domicile avec une sage-femme est illégal. Les femmes gays, transgenres, polyandres, asexuées, noires, hispaniques, pauvres ou toute autre catégorie marginale sont couramment ostracisées, mal représentées et parfois tout bonnement abusées.
Les libéraux ne prennent pas ces problèmes au sérieux. Nous avons l’air de nous en moquer.
Il existe des barrières concrètes à la liberté des femmes dans notre pays. Partout dans le monde la qualité de vie des femmes est significativement, substantiellement et visiblement affectée. Mais les libéraux préfèrent parler des taux marginaux d’imposition et des subventions agricoles.
Ce qui m’amène au sujet de l’économie. Que ce soit ou pas à cause de leur « tête molle », les femmes (en tous cas celles qui travaillent pour moi) ne sont pas sensibles au discours économique libéral. Thought on Liberty a hébergé au long de son existence une vingtaine d’auteurs dont seulement trois économistes. Nos sujets les plus populaires sont les questions sociales, la politique intérieure, les problèmes des femmes et la théorie. Sur 500 et quelques articles parus en un an, 19 concernaient l’économie bien qu’une section entière soit dédiée à ce sujet. Il est donc temps que les libéraux se rendent compte que la liberté concerne aussi, outre la loi de l’offre et de la demande, la vie des gens. Notre discours doit aller au-delà de l’économie et porter également sur ce qui intéresse les femmes : leur vie, leur maison, leur famille, leurs amis. Dans la mesure où je gagne 3 à 33% en moins que mes collègues masculins, je ne considère pas une augmentation d’impôt de 0,05% comme le meilleur sujet pour faire une crise de nerfs.
Voici le fin mot de l’histoire : ne partez pas du principe que tout le monde partage votre manière d’aborder le monde. Si une chose n’est pas un problème pour vous, cela ne signifie pas qu’elle n’est un problème pour personne. Dans le monde que vendent actuellement les libéraux les femmes sont laissées sur le bas-côté. Et tout ce que nous avons à dire pour notre défense c’est « liberté d’association, pas mon problème ». Mais de quelle liberté s’agit-il quand certains citoyens ne peuvent pas participer comme ils le voudraient et quand d’autres ont un avantage structurel ? Du point de vue des femmes, la société vendue par les libéraux n’est pas une société libre. Pas pour elles. Et nous devrions être surpris quand elles ne se bousculent pas pour nous rejoindre ? Je ne suis pas surprise. Aucune astuce marketing ne peut sauver un produit qui a l’air pourri.
J’aimerais terminer brièvement par quelques témoignages recueillis sur Thoughts on Liberty, une publication libertarienne en ligne exclusivement féminine.
« J’adore suivre vos divers articles politiques, c’est un domaine qui n’a commencé à m’intéresser que très récemment… Cela m’a pris un moment pour réaliser que j’étais libérale car je m’étais toujours considérée comme une personne de gauche. »
« J’aime TOL car vos articles sont bien écrits et qu’ils me concernent. J’aime la manière dont vous abordez parfois le féminisme et l’identité. Je n’aime pas me mettre dans des catégories mais c’est vrai que ma vie est TRÈS différente de celle du « blogueur libertarien typique » (homme blanc hétérosexuel). Bien sûr je suis d’accord avec certaines de leurs positions, mais en général je trouve ces blogs froids, impersonnels et dédaigneux, donc je les évite. Mon temps est précieux et je ne veux pas le gâcher avec ces gens dédaigneux, impersonnels et distants. Je crois que TOL fait du très bon travail pour toucher les femmes qui se sentent écartées des autres blogs/discussions. »
« Je voulais simplement vous faire savoir par message privé que votre blog a permis de renouveler les regards sur le libéralisme partout où je l’ai partagé, même pour des personnes qui en avaient été dégoûtées à cause de l’approche rhétorique de certains autres blogs ou sites. D’une certaine manière il est meilleur que les autres parce qu’il offre un accès aux idées d’une façon qui a été négligée trop longtemps et trop souvent par le mouvement libertarien. »
Thoughts on Liberty a été capable d’attirer des lecteurs qui ne se seraient jamais tournés vers le libéralisme parce que nous arrivons à transcender le mainstream libertarien. Nous rejetons le sexisme, nous donnons la parole aux femmes et nous parlons de sujets qui intéressent les femmes. Nous écoutons. Nous nous engageons. Nous déplaçons les frontières. Et nous amenons des femmes vers la liberté. À vous de faire de même.
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Sur le web. Traduction : Lancelot/Contrepoints.