Réformer la fiscalité française est digne de figurer dans les 12 travaux
d'Hercule et si cela avait été le cas, il y a fort à parier que celui-ci aurait
lamentablement échoué.
Certes le sujet faisait partie des promesses de François Hollande. " La
contribution de chacun sera rendue plus équitable " nous avait-il promis, mais
ça n'aurait été ni la première ni la dernière de ses promesses à passer à la
trappe de la réalité du pouvoir. Et puis, qui lui en aurait voulu de ne pas
mettre en oeuvre une telle promesse dans le contexte actuel.
Un contexte d'exaspération généralisée, un contexte ou beaucoup tirent à vue
sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à une taxe ou un impôt.
De toute façon, les propos même de Jean-Marc Ayrault révèlent toute la
difficulté de l'exercice : "Nous avons besoin d'un débat beaucoup plus
global, sur la fiscalité. C'est un véritable enjeu de compétitivité pour les
entreprises et de pouvoir d'achat pour les ménages ".
Il a raison Jean-Marc Ayrault, il y a bien derrière la remise à plat de la
fiscalité à la fois un enjeu de compétitivité pour les entreprises et de
pouvoir d'achat pour les ménages, sauf que ce sont deux enjeux contradictoires.
A montant de prélèvement global équivalent, une baisse de l'un devra être
compensée par une hausse de l'autre. C'est d'ailleurs ce qui va se passer avec
le financement du CICE par la hausse de la TVA. Il va être compliqué de
concilier les deux enjeux.
Plus compliqué encore, au sein des deux boites coexistent des prélèvements
destinés à financer l'Etat et d'autres destinés à financer la Sécurité sociale
et ces deux types de prélèvements ne sont pas fongibles.
Même si on considère uniquement la promesse 14 de François Hollande de
fusionner CSG et IRPP, on se heurte rapidement à un tas de difficultés que l'on
peut retrouver décrites un peu partout et notamment que, compte tenu des
montants en jeu, ce sont les " classes moyennes " qui risquent de se retrouver
les dindons de la farce fiscale.
Pourtant l'idée de reconsidérer notre système fiscal est louable.
Puisqu'on demande à tous de faire des efforts, un consensus autour de notre
fiscalité parait nécessaire. D'autant que, même si la notion de système fiscal
juste reste à définir, du fait de l'importance des impôts et taxes indirects
notre système est peu redistributif.
Et si on veut y arriver ou du moins essayer d'y arriver, il est important de
se questionner sur la structure de notre fiscalité, sur ses nombreux objectifs,
sur son niveau (élevé), sur sa répartition entre impôts directs et indirects,
entre personnes physiques et entreprises, entre revenus du travail et revenus
du patrimoine, sur sa progressivité, sur son efficacité, sur les couts liés à
sa complexité, etc etc
Mais c'était dès le début de son mandat que François Hollande (et non
Jean-Marc Ayrault) aurait du lancer le projet, aujourd'hui c'est trop tard ou
(beaucoup) trop tôt. Le gouvernement n'a plus aucune marge de manoeuvre, or une
telle réforme ne pourra pas être neutre pour tout le monde et les récents
événements montrent qu'il n'est pas nécessaire que la goutte soit très grosse
pour faire déborder le vase du ras le bol fiscal. Et dans ces situations il ne
faut attendre aucune reconnaissance des gagnants et beaucoup de ressentiment de
la part des perdants.
On ne réforme pas la fiscalité alors que les prélèvements sont au maximum
acceptable et que la situation financière du pays ne permet pas de baisse
sensible. C'est se créer beaucoup d'ennuis et c'est rajouter une inquiétude
supplémentaire au sein de la population, chacun se demandant à quelle sauce il
sera mangé.
Et Jean-Marc Ayrault a beau répéter inlassablement qu'il n'est pas question
d'augmenter le taux d'imposition global, pas besoin d'être très malin pour
comprendre que pour chaque contribuable pris individuellement, il y aura du
changement, pour le meilleur ou pour le pire. Et dans ces cas, c'est rarement
au meilleur que l'on pense.
C'est également prendre un risque que l'on peut difficilement se permettre
de prendre en cette époque troublée, à partir du moment où on ne maîtrise pas
nécessairement les conséquences de telles mesures sur le comportement des
acteurs économiques.
Enfin, on est en droit de considérer qu'il y a d'autres priorités que de
réorganiser notre fiscalité (à prélèvements égaux) et notamment que l'urgence
est plutôt de faire en sorte que la base imposable augmente, en clair de
générer de la croissance.
En conséquence de tout cela, il est fort probable, et peut-être fort
souhaitable que la montagne n'accouche que d'une maigre souris qui aura eu
l'unique mérite de remettre provisoirement Jean-Marc Ayrault dans le jeu
politique.