J'ai toujours été attirée par la Grèce... A l'université, je me suis passionnée pour la littérature Grecque. A u lycée, je m'étais prise de passion pour la mythologie . Gamine, j'adorais Nikos que j'avais découvert dans l'émission Union Libre de Christine Bravo.
Une représentation pleine de clichés qui a été mise à mal par l'insurrection des Civils. Mon image d'Epinal de la contrée Idyllique a été ternie par les images sordides des médias.
"Comment un tel monde meurtri de soleil pourrait-il changer?" écrit Durrell...
La représentation idyllique d'une contrée qui peu à peu s'assombrit est présente chez Durrell. Il a d'abord une vision très flatteuse, optimiste et poétique de Chypre qui au fil du roman sera subvertie...
"Là, dans la nuit dénudée, parsemée d'éclaboussures de lune, nous nous promenons en bavardant, et le parfum des roses se mêlait à celui du vin et des cigares, et à des bouffées de tilleul ou de sauge qui nous venaient des pentes de la montagne derrière nous..."
Citrons acides est un roman à caractère autobiographique écrit par Durrell en 1961.
Le titre un peu étrange évoque la fraîcheur des fruits, leur acidité paradoxale: un côté agréable mêlé au côté piquant. D'emblée, je pressentais des portraits au vitriol de la part de l'auteur... Je n'étais pas si loin du compte que cela.
Le roman traite au début d'un sujet assez léger: l'intégration d'un Anglais parmi les Cypriotes. Rapidement, va être évoquée la révolte des Cypriotes Grecs. Franchement, si je n'avais pas lu en parallèle Voir du pays de Delphine Coulin dont l'histoire se déroule aussi à Chypre, je crois que j'aurais été perdue. Citrons acides lu à la lumière de Voir du pays m'a permis de comprendre le contexte historique et politique. C'est vraiment par le plus grand des hasards que je me sois mise à lire les deux frontalement.
Le côté politique -un peu rébarbatif qui peut rebuter parfois- est contrebalancé par l'écriture poétique et le style majestueux de Durrell. Ce livre s'inspire vraiment de la littérature Grecque antique et a aussi influencé l'auteur Albanais Kadaré dont je ne fais plus l'éloge. Il doit y a quelque chose qui me plait dans cette littérature-là mais je ne sais pas encore l'identifier.
"Comme si un peintre de génie, pris de folie avait lancé sa boîte de couleurs contre le ciel pour assourdir l'oeil intérieur du monde. Eau et nuages mélangés, ruisselant de couleurs, se fondant, se chevauchant, se liquéfiant, tandis que flèches, balcons et toits flottaient dans l'espace, comme des éclats de vitrail entrevus au travers d'une douzaine d'écrans en papier de soie?"
Je ne vais pas faire un cours d'histoire... Chypre est un carrefour géographique, politique, commercial: elle est située en Méditerranée, à la charnière entre l'Orient, l'Europe et l'Afrique. Dans l'Antiquité, c'était une île disputée à la fois par les Perses et par les Grecs. Durrell joue alors avec les évènements contemporains et les évènements historiques. On retrouve beaucoup de références antiques, mythologiques (Ajax, Ulysse,Orphée...) qui permettent d'éclairer l'histoire contemporaine à travers le prisme de l'Antiquité.
Les combats contemporains sont également mis en relation avec les Croisades. Durrell construit son roman sur tout un phénomène d'échos, de cycles qui se répètent à l'infini.
P assons quelques siècles et nous arrivons à la période 1878-1960. A cette époque, Chypre est sous domination anglaise. Le récit commence par l'intégration de l'Irlandais Durrell, qui n'est pas tout à fait "l'ennemi ou l'occupant" puisqu'il n'est pas Anglais "pure souche" mais il inspire la réticence car pour les Cypriotes, "Irlandais" ou "Anglais" c'est du pareil au même. Durrell se fait accepter par la Communauté puisqu'il parle le Grec. L'appartenance à l'identité Grecque est très importante pour les Cypriotes puisqu'ils ont réclamé, en 1950, l'Enosis (le rattachement à la Grèce) limitant ainsi la domination britannique. Outre l'opposition colon/colonisé, on a aussi une division latente entre Cypriotes Grecs et Cypriotes Turcs. Ce sont ces conflits sous-jacents au départ qui exploseront au cours du roman et qui feront échos à la barbarie commise par les deux clans.
Le roman pose en toile de fond le conflit entre Cypriotes Grecs et Cypriotes Turcs et aussi et surtout la volonté d'Indépendance de Chypre par rapport à la Grèce. Le thème est complexe mais l'écriture de Durrell rend tout cela recevable. Nous ne sommes pas obligés d'avoir un doctorat en Histoire pour comprendre ce roman. L'auteur nous facilité vraiment la tâche. Son style tellement limpide et littéraire fait passer cette pilule historique qui aurait pu me décourager de prime abord.
"Sa mémoire était encore pleine de la vision de la vision d'une Chypre endormie parmi ses petits villages blancs et ses manières d'un autre temps. L'île qu'il avait si bien connue et aimée était en train de passer par le chas d'une aiguille - et ce n'était pas le Royaume des Cieux qui l'attendait de l'autre côté."
Forcément, la crise Cypriote des années 1960 n'est pas sans rappeler de la dure situation qu'endurent les Grecs actuellement. La force de Durrell est d'écrire sur un contexte particulier que l'on peut assimiler à un passé lointain et au futur: l'écriture de Lawrence Durrell est intemporelle et prophétique .
"Le terrorisme empoisonne tous les échanges de la vie normale. L'horreur d'un meurtre délibéré, d'une embuscade ou d'une grenade, purge au moins par l'atmpophère par la pitié et la terreur qu'elle provoquent. [...] Le mince fil de confiance sur lequel sont basées toutes les relations humaines est brisé - et le terrorisme sait cela, et c'est précisément sur ce point qu'il acharne ses griffes."
De Citrons acides à Citrons amers
L'oeuvre est totale et joue sur les figures de style: si "Citrons acides" a une allure plutôt hyperbolique montrant le piquant de l'histoire initiale, l'expression ultime du titre du poème de clôture insiste davantage sur le contraste et l'antithèse: "Citrons amers". L'acidité initiale renvoie à l'image positive et fraîche de Chypre au début alors que "Citrons amers" évoque bien le côté désabusé et la lassitude face à la déshumanisation et à la barbarie des troupes. "Citrons amers":
"Dans une île de citrons amers
Où les fièvres froides de la lune
Travaillent les sombres globes des fruits
Et l'herbe rêche sous les pieds
Torture la mémoire et ravive
Des habitudes que l'on croyait mortes à jamais,
Mieux vaut faire silence, et taire
La beauté, l'ombre, la violence;
Que les antiques gardiens de la mer
Veillent sur le sommeil des anges
Et la tête bouclée de la mer Égéenne
Contienne ses fureurs comme des larmes non versées
Contienne ses fureurs comme des larmes non versées."