Titre original : The Immigrant
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : James Gray
Distribution : Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner, Dagmara Dominczyk, Jicky Schnee, Yelena Solovey, Maja Wampuszyc, Ilia Volok…
Genre : Drame
Date de sortie : 27 novembre 2013
Le Pitch :
New-York, 1921 : Ewa et Magda débarquent de leur Pologne natale, sur Ellis Island, parmi le flot des immigrés. En quête d’une vie meilleure, les deux sœurs se voient séparées, lorsque la tuberculose est diagnostiquée à Magda, qui est placée en quarantaine. Livrée à elle-même, sans le sou, Ewa rencontre Bruno, un homme prévenant qui lui offre le gîte et le couvert. Acceptant sa proposition, la jeune femme ne se doute pas qu’elle vient de tomber sous la coupe d’un souteneur impitoyable…
La Critique :
James Gray fait partie d’un club très fermé : celui des réalisateurs qui peuvent se targuer de n’avoir jamais fauté. De Little Odessa à Two Lovers, Gray n’a en effet réalisé que des chef-d’œuvres. Des films remarquables, que ce soit dans le fond ou dans la forme, en forme de tableaux complexes et viscéraux, représentatifs d’une Amérique peuplée de personnes en pleine détresse, tiraillée entre le bien et le mal. Reparti bredouille une nouvelle fois du Festival de Cannes où il présenta cette année The Immigrant, Gray est un artiste rare et précieux.
Il tient bon, face à un establishment parfois difficile à contrer et continue de livrer des films réfléchis (5 films en 19 ans c’est peu), ambitieux et profonds. Cela signifie-t-il que The Immigrant, son dernier long-métrage, est également un chef-d’œuvre ? La réponse ne s’impose pas d’elle-même, peut-être pour la première fois dans la carrière du maître, mais demeure fondamentalement positive.
Le premier plan de The Immigrant, magnifique, montre la Statue de la Liberté de dos. Le bateau qui emmène Ewa, la jeune héroïne et sa sœur malade, se prépare à accoster. Un bateau qui fixe dans les yeux le symbole ultime d’une liberté promise à tous. Un premier plan qui n’est pas innocent et qui annonce le parcours chaotique d’une immigrée avide de paix et de sérénité sur laquelle s’acharne le sort. Et ce n’est pas un hasard non plus si Ewa tient le rôle de cette même statue dans la revue coquine de Bruno, ce bourreau aux allures de sauveur. Comme si le destin s’évertuait à brandir sous le nez de la pauvre malheureuse le but ultime, sans le lui céder, tandis qu’elle s’enfonce encore et toujours.
Il a un petit quelque chose de Sergio Leone chez le James Gray de The Immigrant. Le Leone d’Il était une fois en Amérique, qui en son temps, traitait aussi du revers de ce fameux rêve américain si convoité, mais pour autant tenu à distance des pauvres, par les nantis. Un rapprochement qui s’applique aussi sur un plan purement visuel, tant The Immigrant brille par la reconstitution minutieuse de toute une époque.
Conte tragique sur la rédemption et sur la quête de liberté et de paix, le dernier long-métrage de James Gray peine par contre étrangement à retranscrire la puissance des émotions qui animent ses personnages. Étrangement, car c’est bien la première fois que le réalisateur, également co-auteur du scénario, pédale un peu quand il est question de communiquer au public les ressentis qui traversent son récit. Et non, ce n’est en rien la faute de Marion Cotillard. Bien que souvent conspuée depuis son sacre hollywoodien et plus spécifiquement depuis sa mort polémique dans The Dark Knight Rises, l’actrice trouve tout simplement ici son meilleur rôle. Jamais elle n’en fait des tonnes et arrive en permanence à faire passer la détresse, l’espoir et la colère de son personnage bafoué par la seule force d’un jeu qui table en priorité sur la nuance. Il était peut-être légitime de redouter sa performance alors qu’elle interprète ici une immigré polonaise, parlant anglais avec un fort accent et forcée de faire faire le trottoir pour survivre (rôle idéal pour déclencher l’alerte à Oscars), mais non, Marion Cotillard fait le job avec honneur et pertinence, sans se départir d’un charisme certain et d’une sensibilité ambiguë à fleur de peau. Idem pour Joaquin Phoenix, à l’aise chez son réalisateur fétiche, qui à chaque rôle prouve qu’il peut absolument tout jouer. Pathétique, cruel et vicieux, il parvient même à rendre son personnage, pourtant détestable au possible, touchant. Même sentence pour Jeremy Renner, qui endosse les apparats du chevalier blanc et continue au passage de se construire l’une des carrières les plus passionnantes du moment.
Ce n’est donc en aucun cas à cause de ses acteurs que The Immigrant peine à entrainer l’émotion dévastatrice promise par son pitch. James Gray met peut-être trop de distance avec le public. Parfois, son récit s’enlise et peine à maintenir une rythmique capricieuse. Bien sûr parcouru de véritables moments de bravoure, démontrant si besoin était à quel point Gray est un génie, le film ne s’avère pas aussi émouvant qu’il aurait pu l’être. C’est assez étrange en fait car on reste dubitatif quand il s’agit d’identifier la cause du problème. Un problème mineur. Il faut relativiser, on cherche la petite bête. Sur le papier, The Immigrant reste l’œuvre la plus ambitieuse de James Gray. À l’écran, le film apparait un peu daté avant l’heure, ce qui d’un autre côté lui confère un charme vintage plutôt rare de nos jours. Un constat qui en emmène irrémédiablement un autre : et si James Gray arrivait davantage à s’accomplir dans les espaces confinés ? Comme il a pu nous le prouver avec son déchirant Two Lovers par exemple. La famille, auparavant centrale, est radiographiée sous un autre angle dans The Immigrant. Un angle plus classique et jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas une mauvaise chose. Car c’est avant tout un film profondément classique (et non académique) auquel nous avons à faire. Un film qui interroge un pays sur ses fondements les plus primordiaux. Une fresque qui trouve sa place dans la filmographie d’un cinéaste qui ne se repose pas sur ses lauriers et qui prend des risques. Un film qui se termine sur un plan qui restera dans les annales et qui devrait faire l’objet d’un cursus à lui tout seul dans les écoles de cinéma. Un plan à propos duquel nous pourrions parler pendant des heures…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Wild Bunch Distribution